I : Réveil

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Ma respiration était lente et laborieuse, je tenais uniquement debout grâce aux deux types qui me portaient. Au loin il me semblait entendre des détonations, sûrement les batteries anti-aériennes, finalement, la Garde avait tenu bon. Les voix semblaient distante elles aussi, j’avais l’impression d’avoir la tête sous l’eau, entendre était tout aussi difficile que de voir distinctement. Les deux hommes qui me soutenait m’apparaissaient comme des taches floues sur un mur blanc. Un orbe à la chaleur ardente me frôla avant de disparaître de mon champ de vision, une des deux silhouettes qui me portaient s’effondra lamentablement sur le sol, la tâche rose lui servant de tête avait disparue. Le corps sans vie manqua de m'entraîner avec lui dans sa chute, seule la force de mon deuxième support me maintenait debout. Je peinais à respirer, mais à chaque nouveau pas je me sentais revenir, j’avais la sensation désagréable d’avoir fait une sieste plus longue que prévu.

Au détour de ce qui semblait être un grand couloir presque aussi large qu’une navette de transport, on me laissa retomber comme un pantin.

— Désolé mon gars.

La voix était distante, la claque qui s'ensuivit beaucoup moins. Mon crâne glissa lentement sur la paroi jusqu’à ce que je parvienne à me redresser par mes propres moyens.

— Aller putain ! Debout… Système neuronal militaire, mon cul ouais !

Ma main bloqua le second coup avant qu’il n’atteigne son objectif. Ma vision n’était pas encore bien nette, mais je distinguais un peu mieux celui qui se dressait devant moi. L’homme semblait assez surpris que j’aie paré son attaque, il se redressa à son tour. Alors que mon corps peinait à sortir de sa profonde léthargie, une douleur traversa mon occiput. J’avais l’impression qu’on s’amusait à triturer mon cerveau avec un pique à glace. La silhouette devant moi posa un genou au sol, je pouvais lire une certaine forme de pitié dans son regard.

— Je n’ose pas imaginer ce que vous devez ressentir… Mais faut vous mettre debout, je dois vous sortir d’ici !

Je n'eus pas l’occasion de répondre, même si je craignais de ne pas être capable de m'en servir, il me tendit une arme de poing et me tira à lui. Un bras au-dessus de son épaule, il me porta tant bien que mal vers une sortie que je ne voyais pas. Nous avons croisé d'autres types, ceux-là semblaient se diriger vers l’origine des tirs. Quelques mètres plus loin je parvenais enfin à mettre un pied devant l’autre tout seul, mon soutien le remarqua et lâcha un peu sa prise. Un nouveau corridor s’étendait devant nous, au bout duquel se dressait une lourde porte sombre. Arrivé à sa hauteur elle s’ouvrit et un énième connard déboula pour se jeter sur nous, vibro-lame en main. Comme un robot exécutant sans cesse le même geste, mon bras se tendit et la détente de mon arme fut pressée. Le projectile de plasma fila et traversa la silhouette de part en part, laissant un orifice de la taille d’une main dans son abdomen. Son arme tomba au sol, suivie de sa carcasse.

— Merci…

Je répondis par un hochement de tête. Le cadavre qui gisait là était vêtu à la manière d’un militaire, bien que la tenue ne semblait pas réglementaire. J’avais vu pas mal de soldats, et de toutes sortes. Le gars avait beau porter un porte-plaque pectorale et des rangers, il était aussi comparable à un homme du rang que le cul d’une chèvre à une trompette. Sur son épaule gauche je remarquai un écusson représentant un crâne de corbeau, symbole que je ne connaissais pas. L’homme qui m’accompagnait remarqua l’attention particulière que j’avais pour le macchabé.

— Corps révolutionnaire, assassin, on a pas l’temps pour ça !

Sans me laisser le choix, il me tira de l’autre côté, une rafale crachée par son fusil d’assaut fit sauter la console de commande et la porte se referma à une vitesse peu sécuritaire, si bien qu’elle trancha net ce qui était dessous. La deuxième zone que nous traversions était baignée par le hurlement d’une alarme, le bruit strident et répétitif n'arrangeait en rien mon mal de crâne. Des images harcelaient mon esprit, je me voyais saisir à pleine main la poitrine ferme de Providence avant d’y plonger mon visage, je sentais son souffle chaud sur mon visage et ses doigts griffer mon torse, la douleur se fit plus vive, mon flingue me glissa des doigts et un voile m’enveloppa.

***

De nouvelles détonations retentirent… Nous étions dans ce qui semblait être un mess, le sol était couvert d'impacts, de corps sans vie et de sang frais. On m’avait installé en arrière sur une civière médicale. Autour de moi des fantômes s’agitaient pour me planter un énième cathéter dans le bras. Une paire de fins tuyaux souples remontait le long de mon torse jusqu’à plonger dans mes narines. Être intubé n’avait rien de particulièrement agréable j’arrachais donc le matériel médical, tout cela sous les injures du médic qui avait sûrement passé pas mal de temps à m’installer tout ça. Je me redressais tant bien que mal sur le brancard, poussant négligemment le matériel dont on m’avait affublé.

— Si on est là c’est pour vous, alors gardez-ça sur vo…

— J’sais même qui t’es connard, alors lâche-moi.

Il continua à marmonner de plus belle, mais je ne l’écoutais déjà plus. Je marchais au milieu des corps et des types blessés, mon mal au crâne s'était dissipé et je voulais retrouver celui qui m’avait conduit jusque-là. Mes pas me conduisirent finalement au seul type dressé au milieu des autres. Visiblement, c’était lui le chef, et mon ''sauveur” de surcroît, même si je n’aimais pas ce terme-là. Penché au-dessus d’une table, il scrutait un holo de l’endroit où nous étions, le mess n’était qu’une petite pièce au milieu de l’immensité de la structure. Son regard se posa sur moi, suivi d’un hochement de tête.

— Vous avez une sale mine.

— Et vous, qui êtes vous ?

— Caporal Farenn, de la Garde Ducale, nous sommes ici pour vous sauver les miches, ordre de la Duchesse.

J’avais comme un mauvais pressentiment. Jusqu’alors, les questions étaient restées dans un coin de mon esprit, sans doute car mon organisme tout entier peinait à faire la moindre petite action. Maintenant que j’étais capable de me mettre debout et de me déplacer sans me vautrer, mon cerveau fonctionnait tant qu’il pouvait. Je n'étais pas au courant d'une noblesse ducale sur Helion.

— Où ?

— Sur l’autonome Velkor-5.

La douche froide. Velkor-5 était une petite planète perdue à l’autre bout du système, suffisamment loin pour que Helion III, la planète en état de siège, ne soit qu’une minuscule étoile brillante dans le ciel.

Je gardais un masque impassible, il continua.

— J’imagine que vous avez des tas de questions, mais nous n’avons pas le temps. La Duchesse vous expliquera tout en personne, moi, je me charge de vous sortir d’ici.

— C’est quoi “ici” ?

— Une base d’entraînement, enfin plutôt une plateforme importante de notre logistique médicale, c’était l’endroit idéal pour vous. Manque de chance, les révolutionnaires ont décidé d’attaquer la base, donc nous sommes là pour enrayer la menace, et vous conduire en sécurité.

J'avais la sensation d'être un débile profond et de ne pas comprendre ce qui semblait pourtant clair. Le mot révolutionnaire ne m’évoquait en plus rien de bon c'était, à mon sens, un peu trop fourre-tout, on traitait trop facilement le premier connard se battant contre les règles établies de révolutionnaire, dans beaucoup de cas, "fouteur de merde'' était pour moi un mot moins savant et bien plus approprié. Je n'ai pas tenté de débattre, je voulais moi aussi sortir d'ici.

— Qu'est-ce qu'on attend ? Ai-je finalement demandé.

— La cavalerie. On s'est fait coincer ici, on a quelques unités en éclaireur, accompagnées de tourelles araignées. Mes hommes sont parvenus à verrouiller certains accès, mais les forces présentes sont plus importantes que ce que nous pensions. Sans aide extérieure, on risque de tous y passer.

— Dans ce cas je peux avoir une arme ?

Les soldats présents me dévisagèrent comme si je venais d'insulter la génitrice de leur caporal. Le gradé exhala un soupir de lassitude avant de reprendre sur un ton plus détaché.

— Je ne suis pas certain de vouloir vous donner une arme, pas maintenant, on a assez de problème comme ça.

— Mais quand il s'agit de vous sauver le cul dans un couloir, là vous m'en filez une sans que je demande ?

— Situation à risque. Pour le moment on s'occupe de votre sécurité, les flingues sont pour mes hommes.

J'ai manqué de l'insulter, mais j'avais comme la sensation que ça ferait tâche sur mon CV. Les questions virevoltaient dans mon esprit, au point que j'avais l'impression que chacune d'entre elles me brûlait les lèvres. Silencieux, je tournais les talons, je ne pouvais de toute façon pas aller bien loin, j’étais entouré de types armés jusqu’aux dents alors qu’il ne me restait que mes poings. Sans autre choix, si je voulais avoir des réponses, j’allais devoir rester assis sur mon cul avec l’espoir de voir une deuxième équipe venir secourir la première.

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