Sulens - 26 juillet 2017

10 minutes de lecture

Ascension du Sulens – 1839m

Départ de Serraval, Le Mont, depuis la GAEC Fougères (reblochons et jus de pommes bio !).

Niveau : Moyen (pas de difficultés technique mais certains passages raides).

Après deux semaines de repos, me revoilà partie pour grimper un sommet : Le Sulens. C'est toujours avec le sourire que je prépare mon sac, tentant de ne rien oublier. Je m'imagine déjà les paysages grâce au topo lu quelques minutes plus tôt, histoire de garder l'itinéraire en tête, n'ayant pas de carte de ce massif. Il faudra d'ailleurs que je m'en procure une.

Le Sulens, j'en ai vaguement entendu parler : une fois à l'office de tourisme, une autre par des collègues ainsi que par ma voisine qui marche beaucoup. Les avis à son propos sont unanimes : c'est magnifique. Eh bien, allons-y, Alonzo !

Bon, mon départ est retardé par une invasion d'asticots s'évadant de la poubelle avec la même conviction que celle des bébés tortues de mer désirant rejoindre leur habitat. Poubelle javellisée, périmètre sécurisé et passé au peigne fin, c'est reparti pour une nouvelle dose d'engouement et de sourire. Je n'ai qu'une heure de retard (parce que ça rampe partout, jusque dessous les meubles ces bêtes-là) et encore amplement le temps d'aller découvrir le Sulens.

Le trajet est avalé en un rien de temps par la Suprême Clio, maintenant habituée à braquer à droite puis à gauche dans les lacets montagneux.

« Elle passera ici... Elle repassera par là... » doivent penser les quatre vaches postées au début de la randonnée alors que j'ai du mal à savoir où je vais bien pouvoir garer ma voiture. Je décide finalement de la poser en enfilade au bord de la route, espérant ne pas me prendre une prune en rase-campagne-montagneuse.

À peine ai-je marché cent mètres que la poésie de la randonnée m'accompagne déjà, ce couple de retraités jouant gaiment du trombone pour madame et de l'accordéon pour monsieur. Toutes les notes ne sont pas justes et ils leur arrivent de réaccorder leur instrument en plein morceau mais, qu'importe, ils jouent avec du cœur. Les sons résonnent au travers des champs, même les quatre jeunes laitières ont l'air d'apprécier leur musique.

Continuant mon chemin, le claquement des pointes de mes bâtons contre le sentier caillouteux remplace les douces notes, brisant le silence de la nature. Avançant rapidement, ce n'est qu'une fois que mon cœur se met à tambouriner contre ma poitrine que je me rends compte que le temps est parfait : légèrement voilé pour atténuer les rayons de soleil brûlants de la saison et pas trop humide, malgré la pluie incessante de la veille. Il fait bon, je respire facilement, mes muscles me le font savoir, me poussant toujours vers l'avant. Je prends le temps de tourner la tête, tantôt côté vallée pour admirer les imposantes formes des montagnes dont les monts sont couverts par d'épais nuages gris, tantôt côté mont, espérant dénicher une bête dans la forêt. Étant donnée l'heure, c'est peine perdue, mais sait-on jamais.

Finalement, je n'en croiserai pas.

Je rencontre un premier groupe là où les différents points de départ se relient, s'étonnant de me trouver seule. J'en ai l'habitude aujourd'hui, j'ai même développé une réponse toute construite qui, du haut de mes cent-soixante centimètres, a tendance à faire sourire, mais surtout à décomplexer : « J'ai des bâtons et je sais et n'hésiterai pas à m'en servir ! ». J'accorde que c'est ringard, complètement obsolète mais, ma foi, ça laisse sans voix et me permet de reprendre ma route.

Enfin le sentier assez large pour qu'une voiture circule me mène aux alpages à traverser pour atteindre le sommet. Les alpages, ce sont ces immenses champs délimités par des clôtures parfois électrifiées. C'est l'occasion de croiser un tas de fleurs, parmi lesquelles certaines ont des longues tiges, leur permettant de se balancer au gré du vent. D'ailleurs, la longueur de ces tiges est ici inversement proportionnelle au diamètre des fleurs, donnant l'impression qu'elles sont ridiculement petites. Je dois me reconcentrer, la montée de la pente abrupte étant rendue difficile à cause des pluies de la veille. Le terrain est glissant, mais loin d'être impraticable et, avec un peu de prudence, je réussis à traverser le petit bosquet suivant, rejoignant le champ d'après, sans encombre. J'ai été attaquée par une brindille sauvage qui a réussi à faire sursauter l'aventurière que je suis, mais je garde cette histoire pour un autre récit. Je ne tiens pas à véhiculer trop d'émotions.

La vue dégagée est déjà superbe et c'est avec plaisir que je la vois évoluer au fil de mon ascension. Arrivée à un point où, d'après les indications précises du topo, j'aperçois un chalet à une bonne centaine de mètres plus bas, supposément habité à l'année, je prends à droite. La pente se radoucit, me permettant de reprendre mon souffle et d'apprécier les étranges formes des arbres me surplombant de peu.

Les alpages, c'est aussi avoir l'opportunité de marcher dans les pas des vaches, ces êtres dociles apportant la matière première nécessaire à la fabrication du fromage, et de traverser leur litière. Non, sérieusement, une telle concentration de bouses au même endroit, ça ne peut qu'être leur litière. Couplée à la boue, mes chaussures en restent presque collées au sol tant ce mélange de matières est gluant. Heureusement, je n'ai pas chaussé les basses qui m'auraient laissée en chaussettes. Et ce n'est pas le moment. Comme si les difficultés n'étaient pas assez nombreuses, voilà qu'il me faut passer par-dessous une clôture à deux reprises, le sentier continuant juste après. J'avoue dramatiser un peu la situation, mais j'étais loin de désirer me rouler dans la gadoue. Je continue de grimper dans la boue jusqu'à atteindre une petite ferme d'alpage vendant du reblochon sur place, malheureusement vide.

Cette déception n'est que provisoire car, en levant la tête, je perçois mon objectif : le sommet Sulens. C'est reparti ! Une nouvelle bouffée d'énergie ravale mon appétit grandissant — deux biscuits dans l'estomac, c'est peu — et voilà que je commence à grimper la dernière partie de cette belle randonnée.

Sa première moitié, de retour sur un large sentier pierreux, me coupe tout de suite les jambes. Je n'ai pourtant pas démarré trop vite, mais le dénivelé est soudain plus fort et, après avoir peiné à garder mon équilibre dans la boue sans pour autant avoir ralenti mon rythme, mon corps me rappelle à l'ordre. Mon estomac également. Si près du but, il m'est pourtant hors de question de m'arrêter avant d'avoir atteindre le sommet. Je ralentis, encore, réduit la taille de mes pas, je piétine presque. Mais la maîtrise de mon souffle me revient tranquillement, mes jambes reprennent aussi de leur vigueur.

La dernière ligne droite se profile et voilà que je me retrouve au milieu des vaches. Je croise soudain plus de randonneurs, sans doute partis d'un autre point de départ, celui du col du Plan du Bois. Aux sons des cloches se mêlent leurs paroles toujours douces, sans cris. La pente raide a semble-t-il coupé le sifflet des enfants.

Les vaches mesquines se dressent sur l'unique sentier à peu près praticable, le ravinant et, surtout, le bloquant. « Pas de soucis Mesdames, je vous contourne. » pense-je. L'esquive de leurs déplacements imprévisibles et peu avisés pour moi me fait presque oublier que je suis à quelques pas seulement du sommet.

Je passe au-dessus d'une clôture et, enfin, j'y suis. La vue est stupéfiante : un panorama à 360° offre aux arrivants et à moi une palette de montagnes complètement différentes les unes des autres. D'abord, on a une crête où de nombreuses avalanches ont dû sévir, étant donné la pauvreté de la végétation sur le versant. Ensuite, un chevauchement de différents monts, les plus proches laissant la majesté des plus lointains s'exprimer librement. Le Mont Blanc se situe quelque-part par-là, mais les nuages le dissimulent. En continuant le tour, on aperçoit les montagnes très lointaines accueillir des vallées urbanisées en leur sein. Enfin, une vue que je connais bien, celles du fauteuil de la Tournette et du plateau des Glières encadrant ce creux par lequel je passe tous les matins pour rejoindre mon travail. Il m'est à la fois très familier par sa forme et étranger par son point de vue. C'est le côté fascinant des montagnes : le même paysage change à mesure qu'on en découvre une nouvelle facette. De fait, on ne s'en lasse jamais.

Après une pause repas à batailler avec quelques abeilles, m'être fait accepter par l'une d'entre elles et revêtit une petite veste le vent s'étant levé, il est temps de reprendre la route. Bien sûr, cette vache qui a, pour on ne sait quelle raison, soudain peur de moi (peut-être parce que je viens de franchir sa clôture) n'hésite pas à me faire remarquer par un bond en arrière auprès de la famille en train de se repaître. Tant pis pour la discrétion. La descente de la crête s'avère un peu plus compliquée que la montée, sa légère raideur se complexifiant à cause de la boue. Mais, comme on dit, petit à petit, l'oiseau fait son nid et c'est sans trop de difficultés que je rejoins le Petit Sulens, juste en face, par lequel je décide de redescendre pour varier un peu les plaisirs et les paysages. De plus, d'après le topo lu ce matin, cette descente s'avère être moins raide que le chemin par lequel je suis montée. Mes genoux me remercient déjà pour cette sage décision.

Sur la route, un homme seul me rejoint, son groupe l'attendant un peu plus bas, et nous échangeons alors nos impressions sur ces paysages dont l'horizon ne se termine pas et sur les techniques de marche qu'il aime transmettre aux débutants. Nous complétons ainsi nos informations respectives et, une fois son groupe rejoint, nos chemins se distancient, les laissant à leurs échanges de téléphones pour savoir qui aura la plus belle photo. La pente se raidit, mais reste très praticable, la verdure encadrant le sentier étant sèche. Sur ce versant, je croise plus de papillons et même deux sauterelles aux couleurs chatoyantes, inhabituelles pour moi. La nature est toujours une source d'extase, au sens le plus simple du terme.

Je voulais du changement, me voilà ravie : je pénètre un champ de chèvres. Malgré leur nombre important, les sons de leur cloche s'avèrent être moins agressifs pour mes oreilles. Aussi, voilà qu'un magnifique patou des Pyrénées me rejoint, sans doute pour m'avertir de ne pas toucher au troupeau. De mon côté, malgré son approche amicale, je n'ose pas le caresser. Il s'agit d'un chien de garde et il m'est impossible de prévoir son comportement, d'autant plus qu'il ne la réclame pas, la caresse. Par contre, le voilà qui s'assied sur ce qui pourrait s'apparenter à un promontoire, observant son troupeau avec attention. Il m'est impossible de repousser cette pensée : « Je me trouve dans le monde d'Heidi ». C'est avec la chanson du générique de la petite fille des montagnes dans la tête que je reprends ma route, ralentie par les chèvres qui se couchent sur mon chemin. Heureusement, une chèvre, ce n'est pas bien courageux face à l'inconnu et elles finissent toutes par s'écarter lorsque je m'approche un peu trop près, doucement pour ne pas les brusquer. De fait, elles sont parfois trop près et, s'il leur prenait l'envie de me donner un coup de tête, la chute serait drôlement lourde et interminable. Tout à coup, l'une d'elle ne s'écarte pas du sentier étroit. Au contraire, elle le suit à mesure que j'avance, comme pour me guider. J'ai bien conscience que la biquette ne me guide pas et qu'elle doit se demander pourquoi, moi, je la suis. Mais un peu de poésie ne fait pas de mal de temps à autre et je me laisse donc guider, le temps de quelques pas, par la ruminante.

À la fin de la pente et après être passée devant les ruches — je suppose qu'il s'agit de celles des abeilles rencontrées plus tôt —, je suis de retour sur le large sentier. La fin n'est plus très loin et me voilà face à un dilemme imprévu : droite ou gauche. Mon intuition me dit droite. Les montagnes face au versant me disent droite. Mais, pour une raison franchement inconnue, je prends à gauche. Peut-être un accès de curiosité ou un manque de confiance en mes capacités d'orientation. Il me faut clairement me procurer la carte de ce morceau de région. À mesure que j'avance, je sais que j'ai pris la mauvaise décision, je me le répète, même à voix haute pour me le dire. Mais je continue d'avancer, espérant tomber sur une bonne surprise.

Un petit kilomètre plus tard, me voilà arrivée dans une ferme : génisses, lapin, poules, cochons, la totale. J'en croise l'agriculteur qui me certifie donc que ma première intuition était la bonne. Mon erreur ne me décourage pas : j'ai encore les jambes pour marcher un petit trois kilomètres, il me reste un morceau de mon déjeuner si jamais j'ai un coup de mou et ce monsieur avec lequel j'ai échangé deux trois mots était drôlement sympa, quand même. Allez hop, on arrête les bêtises, l'heure tourne et je n'ai pas prévu de quoi marcher de nuit. Peu avant de rejoindre le chemin par lequel je suis montée, je croise la chèvrerie de la Closette, dont les fromages ont été plusieurs fois primés et je salive à l'idée d'en goûter et d'en acquérir un. Pas de pot, j'arrive à la mauvaise heure et il me semble que personne n'est là. Ce sera pour une prochaine fois !

Finalement de retour à la voiture dans laquelle je dépose mes affaires, je rejoins à pieds la GAEC produisant des reblochons bio. J'en acquiers un, en plus d'une bouteille de jus de pommes qui me fait de l'œil, moi qui suit en quête de réhydratation. J'échange quelques mots avec le fermier, un homme généreux et sympathique. Je n'ai plus qu'à reprendre le volant pour rentrer goûter tout ça !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Gaegali ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0