7 Jeremy

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Il s’appliquait proprement pour dissimuler une vérité menaçante à Sheryl, elle était sa perle précieuse, son saphir enneigé, elle ne devait le voir que comme un bienfaiteur. Il savait être bon réellement, avec elle du moins, sans cette humaine mystérieuse dans sa vie, depuis longtemps la tendresse ou l’affection l’aurait quitté. Quand il ne demeurait pas aux côtés de Sheryl, l’observant avec un œil propriétaire, il enrôlait la cape du malin.

Son plan se mettait en place, aussi vaste que la fumée du cigare entre ses lèvres qui décrivait des vagues irrégulières, avant de se perdre dans l’oubli. Son rendez-vous de la soirée ne tardait pas à montrer le bout de son nez, un nez marqué par l’âge, environ une cinquantaine d’années. L’homme était vêtu simplement sans omettre un aspect strict, qui tranchait sur sa nature autoritaire, digne d’un politicien, ainsi se dévoilait le ministre Raphael. Maxim D. Raphael pour être plus précis, était le ministre des affaires financières du continent, bras droit de Jeremy Ophal, officieusement dirigeant de toutes les contrées environnantes, et ce depuis une petite décennie. Les deux hommes planifiaient l’effondrement de la chaîne de banque d’une colonie au nord du pays, ils couperaient les vivres pour laisser le château de cartes tomber de lui-même, provoquant à coup sûr une guerre civile qui finirait par toucher le cœur de la capitale de leur voisin. Cette réaction en chaîne allait permettre d’insuffler un souffle pourri dans le cœur des Hommes. Dieu ne vous sauvera pas, vous êtes seuls face à vos actes ignobles, joignez-vous à moi pour le grand final en enfer. Ce n’était pas son premier coup d’essai, Jeremy collectionnait les guerres depuis plus de vingt ans, parfois de manières peu conventionnelles, en partageant le lit de roi ou encore en s’improvisant ingénieux artificier dans l’armée, appuyant sur la bonne touche pour déclarer les hostilités à des alliés de longue date, perpétuant le chaos pour son propre plaisir.

Bien entendu, ce pouvoir ne s’était pas acquis tout seul, le diable avait œuvré avec zèle pour obtenir la direction de ce manège déréglé. Il avait commencé timidement par se faire un nom, devenant un noble fortuné dont les recettes florissaient dans un théâtre jusqu’alors méconnu et dont toute la ville se précipitait pour acheter des places. Cela attirait l’attention des collaborateurs du maire, qui vinrent voir par eux même le profit que représentait cet homme sorti de nulle part. Deux ans plus tard, Jeremy se présentait aux élections pour devenir le prochain député de la ville, qu’il remporta haut la main, enfin pas lui à proprement parler, mais le visage qu’il avait formé à ce post, un certain Mr. Raphael.

L’homme vivait dans les bas-fonds de la ville encore un an auparavant. Mr Raphael, diplômé d’une des plus grandes écoles du pays, possédant à son actif la gestion de deux bureaux d’avocats, avait tout perdu le jour où l’argent qu’il avait détourné pour entretenir une maîtresse, avait été révélé au grand jour. Sa femme, fille d’un comte à qui il devait sa fortune et sa réussite financière au premier plan, n’avait pas hésité à demander l’annulation du mariage, la nullité du partage des biens, précipitant ainsi son ex-mari dans la misère noire et pathétique. Ce qu’il fallait savoir, c’est que le diable avait chuchoté à l’oreille de la comtesse l’idée que son mari la trompait, et s’était assuré de l’amour irrationnel de Mr Raphael pour une prostituée qu’il avait sélectionnée avec soin.

Par la suite, Jeremy avait sauvé le malheureux d’une mort certaine, quand le feu avait ravagé les toits de la bâtisse où il dormait, ne trouvant aucune issue pour sortir du brasier. Lucifer sous sa forme démoniaque, avait créé un passage assez discret pour venir secourir Raphael. Il émergeait des flammes sous l’apparence de Jeremy, plein de bonté, aidant l’homme à quitter le bâtiment sans se brûler, réussissant ainsi à se mettre dans la poche un nouvel allié intéressant dont les compétences allaient servir à disperser les humains loin de Dieu.

C’était à force de fausses coïncidences, de tromperies fourbes que le diable montait à la tête du continent tout entier. Diriger le réseau de banques lui permettait de garder les hautes instances entre ses griffes, maintenir un climat de tension parmi le beau monde politique. Le roi monétaire primait sur le roi des cieux, on achetait la bible avec de l’argent, on vendait son âme au rabais, et la pauvreté engendrait de plus en plus de nouveaux miséreux, les premiers clients du diable.

Ce qui restait étrange, provenait de l’habilité discrète dont Lucifer savait faire preuve pour gagner contre le Créateur. Son apparence féroce s’amusait à émerger de son humanité par moment, quand son esprit malade s’égarait dans les eaux épaisses et noires de la folie enragée. Son visage laissé jeune par le temps, mettait mal à l’aise la plupart de ses collaborateurs, qui après huit années passées sous son joug, nourrissaient une peur sourde, un pas de travers pouvait leur coûter bien plus que la vie. Il était le pouvoir, la destruction préméditée portait le doux visage de Jeremy.

Depuis toutes ces années à contempler l’humanité, son dégoût ne cessait de grandir, tandis que les parcelles d’espoir envers eux se voyaient toujours repeint de déception, cela avait débuté avec Ethan, se poursuivait avec Sheryl. Personne n’avait découvert son secret céleste, ou du moins, en avait conscience. Parfois, il était plus facile de choisir l’ignorance à la connaissance. Cependant la facilité n’avait pas sa place au sein de la maison du maître du mensonge.

Elle savait que son bienfaiteur n’était pas quelqu’un de bien, malgré qu’il pouvait être si bon pour elle. Il avait veillé sur sa santé après l’accident, elle essayait de lui rendre la pareille en préparant de quoi soigner ses mains, finissant par se blesser. Jeremy s’était précipité pour l’aider, sans rien demandé en retour, alors pourquoi maintenait-elle son impression première ? De quoi avait-elle peur, il ne s’était jamais montré violent et toujours courtois, malgré qu’il pouvait devenir envahissant. Elle pensait à son regard quand il la contemplait, à son expression avide parfois, à ce monstre délirant aux portes de la mort, au son glaçant des sabots sur le pavé humide. Trop de choses incriminaient Jeremy sans pour autant pouvoir se prouver, mais le pire dans cette histoire, était que son cœur commençait à s’emballer en sa présence, la propulsant dans le même état que dans cette pièce chaleureuse, celle où son défunt mari l’avait embrassé jadis.

Sheryl ignorait que l’homme qui attisait ses faveurs, était celui qui allait la précipiter en enfer.

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