6 Les premiers temps (partie 2)

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Ses cheveux noirs ondulaient doucement au gré du vent fleuri, sa robe simple mais élégamment cousu dans un tissu bleu pâle, ornée de détails brodés au fil noir s’enroulant en minutieux motifs inspirés de la Grèce Antique, Aphrodite renaissait dans ces jardins, accompagnée par son fidèle serviteur Lucifer, le silence suivait leurs pas. Jamais les yeux ne se regardaient, encore moins les corps ne s’effleuraient, ces règles implicites avaient été établies depuis les premières minutes de leur rencontre, Sheryl les appliquaient avec rigueur, Jeremy se contentait de respirer. Ce tableau saisissant aurait dû être immortalisé, ce couple inattendu représentait quelque chose d’irréel, leurs deux essences se mélangeaient pour ouvrir les portes d’un nouvel univers, où seule la beauté inaltérable se mouvait en reine, sans avoir conscience d’elle-même ou du spectacle impossible qu’elle offrait au monde des humains, aussi aucun spectateur n’avait pu assister à ce phénomène incroyable.

Les sculptures qui se dressaient sur les murs du théâtre étaient achevées depuis plus d’un mois, laissant aux mains de Jeremy la possibilité de se reposer pour acquérir la guérison et au sang de sécher parmi les nymphes enchanteresses. Sheryl remarqua rapidement que le jeune homme exposait d’imposantes plaies, dû certainement aux nombreux travaux manuels qu’imposait le régime de la scène. Lui qui avait sauvé son corps d’une mort atroce, elle voulait pouvoir l’aider, ne serait-ce qu’un peu. Elle se rendait en ville tous les jours pour acheter de quoi préparer une solution bienfaisante pour les mains, qui activerait la cicatrisation des plaies sans laisser trop de dommages cutanés. Mais ses talents de guérisseuse ne pouvaient pas s’inventer, elle avait déjà étudié certains ouvrages précis sur les méthodes médicinales à la mode, sans délaisser les vieilles recettes à base de plantes, elle s’improvisait sorcière le temps que Jeremy ne la surveillait pas.

Durant un de ses nombreux essais, une des fioles se brisa sous l’effet de la surchauffe, quelques éclats de verre allaient se planter dans ses avant-bras, déjà le sang commençait à couler. Sheryl rugissait de douleur, maintenant ses membres devant elle sans pouvoir agir, des larmes chaudes brouillaient ses yeux, la souffrance la submergeait. Elle essaya de retirer un des morceaux incrusté profondément dans son bras gauche, d’un coup sec. Un hurlement terrible déchira l’air, arrachant Lucifer à ses occupations, le démon accourait aussi vite que possible là où le cri venait de se faire entendre.

– Sheryl qu’avez-vous ?! sa propre voix le surprenait transcendée par l’inquiétude la plus sincère.

Quand son regard capta la scène sordide, son sang n’avait fait qu’un tour. Elle se tenait là, debout au-dessus d’un chaudron en cuivre, un élément de décor qui apparaissait souvent dans ses pièces. Les parois du chaudron luisaient à la lumière vacillante des bougies, des traînées foncées et épaisses les recouvraient rappelant les fissures irrégulières d’un miroir brisé. Brisé comme les éclats bruts plantés dans les bras écarlates d’une jeune femme magnifique et en pleure. Ses mains crispées prêtes à attraper n’importe quelle proie au vol auraient pu être dotées de griffes affûtées. La souffrance était palpable.

Il ne perdait pas son sang-froid, avançant d’un pas assuré vers elle pour la faire asseoir avant que son corps ne le fasse pour elle. Evitant soigneusement de toucher ses bras mutilés, il remarqua la présence des fioles et autres ustensiles scientifiques, Sheryl ne lui avait jamais précisé son expérience pour les sciences et il en fut impressionné, peu d’humains encore moins femme n’exerçait cet art connu aux Cieux, le don divin de la guérison. Que faisait-elle donc avec tout ça ? Dans quel but ?

Le moment n’était pas aux réflexions mais à l’action, demandant à Sheryl de mordre fermement dans un tissu serré, il lui intima de fermer les yeux et que la douleur allait être encore pire, elle n’était pas prête. Le premier morceau de verre lui arracha un spasme et sa gorge la brûlait déjà tant les râles se succédaient, le deuxième plus lentement extirpé de sa chair s’accompagna d’un petit cri aigu étouffé par le torchon et des sanglots en cadence. Au bout du neuvième et dernier gros bout de fiole arraché, Sheryl n’était plus qu’une coquille vide, son corps à demi maintenu par le mur, la tête effondrée sur le côté, les yeux inanimés. Lucifer nettoya les bras rapidement, appliquant la crème que Sheryl avait préparé pour lui, bien content que sa protégée soit si douée pour la guérison, la simple vue de son plan de travail avait suffit à le rassurer. Une fois les plaies bandées, il porta sa belle jusqu’à sa couche, caressant ses cheveux doucement, il ne quittait pas son chevet même après que le soleil invitait au réveil.

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