Sur le pied de guerre

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Paris, 1er arrondissement, 19 Juillet 1978, 9h00

Au quai des orfèvres, tous étaient sur le pied de guerre. Le gros Gaston avait convoqué ses collaborateurs pour une réunion extraordinaire. Au programme : Securia à l'hôtel, Securia et sa femme, Securia et le cortège, Securia et ses exigences, Securia menacé, Securia...

L'ensemble des inspecteurs pointait là : il y avait Blanie, les traits tirés, son collègue Christophe, Martineau, revenu de ses rondes nocturnes, il y avait l'élégant Daland, et puis encore Bob Ginscry et sa voix de velours, René Bomondi, aux allures débraillées de rustaud monté dans la capitale, il y avait enfin le très digne Paul Crousodon, représentant du ministère des relations extérieures, toisé par la majorité de l'assistance, les hommes de terrain haïssant intrinséquement les théoriciens porteurs de consignes inapplicables.

Le commissaire Gaston Robinson prit la parole :

— Messieurs, vous n'ignorez pas la raison de votre présence ici ce matin. Croyez bien que j'en suis navré pour vous, mais les prochains jours risquent d'être déterminants en ce qui concerne la protection de Securia. Un dernier coup de collier à donner. J'attends donc de votre part une disponibilité absolue, jour et nuit, pour les soixante-douze heures à venir.

Anticipant les grimaces de ses hommes, il poursuivit :

— Je sais à quel point tout ça vous est désagréable, mais il est hors de question que Securia subisse le moindre avatar tant qu'il restera sur notre sol. Nous devons, par conséquent, tout mettre en œuvre pour le couvrir, qui plus est, discrètement, jusqu'à son départ, qui ne tardera pas, Dieu merci. Une chance que sa présence ne coincide pas avec l'arrivée du tour de France. Il s'en sera fallu de peu... Pour l'instant, c'est mer d'huile, si l'on excepte l'habituelle floppée de menaces et de lettres anonymes. Un bon paquet, cette fois. Ca donne une idée de la popularité du bonhomme. En tous cas, cela est bénin. Je n'en dirais pas autant de la balade que les officiels veulent lui faire faire dans les rues de Paris. J'avoue que je saisis mal cette initiative de jouer au montreur d'ours avec un type aussi menacé. Monsieur Crousodon, dépêché par le ministère, pourra peut-être vous l'expliquer. Personnellement, je n'en ai aucune idée.

Le théoricien haussa les épaules sans répondre, laissant le gros Gaston continuer son exposé.

— Ce que je sais, en revanche, c'est que l'itinéraire choisi est complètement alambiqué. On aurait souhaité nous compliquer la tâche qu'on ne s'y serait pas pris autrement. La CX passera par des voies dont l'îlotier le plus expérimenté n'a jamais entendu parler. C'est pourquoi il ne nous suffit pas de faire escorter la voiture par une escouade de motards bien voyants ni de poster quelques tireurs isolés sur les toits. Il va falloir patrouiller sur les lieux la veille et l'avant-veille, traîner aux basques de Securia jusqu'au jour J , lui coller quelqu'un au cul de minuit à zéro heure, surveiller les allées et venues de son entourage, ne négliger aucun détail, manger avec Securia, dormir avec Securia ... Quelque chose vous amuse, Bomondi ?

— Oui, patron, je me demandais si cette protection rapprochée s'appliquait également à Madame Securia.

La moustache poivre et sel de Robinson frémit.

— Gardez votre humour de pécore pour le café du commerce, mon vieux. Nul doute que vous ferez beaucoup rire les consommateurs. Je me permets de vous faire remarquer que l'échec n'est pas envisageable dans cette affaire. Nous pourrions vite nous retrouver sur la sellette. Or, je me plais dans la police. L'heure de la retraite approche, mes collaborateurs sont des gens sympathiques, la cantine propose des menus excellents, et je n'ai plus l'âge de me chercher une autre activité. Tenez-vous le pour dit... Dois-je, en outre, vous rappeler que nous n'avons pas très bonne presse en ce moment, depuis le moi de mai et l'évaporation dans la nature d'un certain Mesrine, je suis sûr que le nom vous parle...

— Quel est l'objet exact de la réunion d'aujourd'hui ? relança doucement Alain Daland.

— Mon cher Daland, — œillade furibarde à Bomondi — je vous remercie de votre intervention. J'ai défini les tâches qui vous incomberont : Martineau conserve le contrôle de l'équipe de nuit qui s'est fort bien acquittée de son boulot pour l'instant ; vous, Daland, vous serez détaché avec Ginscry à l'ambassade sunotorienne, il y a peut-être des renseignements à glaner dans les parages. Blanie se chargera de filer Mme Securia ; Christophe refera le trajet du cortège et répertoriera une dernière fois les coins potentiellement favorables à un attentat ; Bomondi centralisera les informations.

— Mais patron, la sécurité de Lara Runnert est déjà assurée par deux gardes du corps.

— Comprenons-nous bien , Blanie. Je me fous éperdument que Lara Runnert ait deux gorilles à sa disposition, d'abord parce que la viabilité de ce genre de milice privée reste à démontrer, ensuite ... elle doit ignorer que vous la suivez. Votre mission relève autant de l'observation que de la protection, sinon davantage. En conséquence, vous ne la lâchez pas d'une semelle dès qu'elle met le nez dehors.

— Tu n'es pas le plus mal loti, murmura Christophe.

Robinson termina son allocution.

— Messieurs, je vous remercie de votre attention. Vous pouvez dès à présent rejoindre les postes qui vous ont été attribués. Pour ce qui est des formalités, adressez-vous à Doris. Son bureau a été transféré au rez-de-chaussée. Rendez-vous ici-même après-demain, pour faire le point, neuf heures. Bonne chance.

Les inspecteurs sortirent un à un du bureau. Le gros Gaston se retourna vers le bureaucrate.

— J'ai une totale confiance en eux. Ils n'en ont pas forcément l'air, mais ce sont des flics efficaces. Tout se passera bien.

— C'est à espérer, conclut fraîchement l'austère inutile.

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