Northwest café

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Munich, Northwest café, 19 Juillet 1978, 9h23

Contrairement aux craintes d'Ella, les deux fuyards avaient atteint leur destination sans embûche. Ils étaient attablés dans un renfoncement du Northwest Café, établissement situé à deux minutes de la gare. Le trio de poursuivants s'était évaporé dans la lourdeur de Munich. Toutefois, Ella ne s'illusionnait pas. Leur réapparition n'était qu'une question d'heures, de minutes, peut-être.

Elle soupesa les urgences.

Laisser choir Lilnorth ? Hors de question. On avait bien vu ce que donnaient les séparations prématurées. Faire front à deux n'était qu'un pis-aller, mais faute de grives ...

Continuer à l'inclure dans l'optique de objectif initial ? Même pas la peine d'y penser. Déjà avec l'aide de Tania, ça se jouait difficilement, mais alors maintenant ...

Contacter le vieux pour l'aviser de la mort de Tania et recevoir des consignes adaptées à la nouvelle situation ? Obligatoire, mais pas tout de suite. D'abord sortir du guêpier munichois.

Rencarder Lilnorth sur l'affaire ? Franchement, en l'état actuel de l'avancement des opérations, comment faire autrement ? A partir du moment où la dissociation de leur parcours ne s'envisageait plus, le laisser dans l'ignorance n'était pas tenable.

Justement, l'homme s'impatientait.

— Eh bien, Ella. j'attends d'apprendre pourquoi des assassins sont lancés à nos trousses, quelles sont leurs motivations, et quel rôle vous jouez dans cette affaire.

Elle soupira.

Ok ... je vais éclairer votre lanterne. Grant, connaissez-vous le Sunotorio ?

— Oui, c'est une république d'Amérique centrale.

— C'est exact. Depuis hier, le président du Sunotorio, Land Securia, est en visite à Paris. Il ne doit pas en repartir vivant. Le 22 Juillet, il sera abattu.

— Pourquoi ça ?

— Aucune importance pour nous. Des membres de la pègre ou des opposants au régime, ou une autre entité ravissante commanditent son assassinat. Nous sommes simplement censés l'éxécuter.

— Simplement, hein ?

— Oui. J'appartiens à une organisation qui vend ses services au plus offrant, dans tous les domaines de la criminalité, nommée espionnage pour adoucir la réalité. Dans les milieux autorisés, nous bénéficions d'une réputation sans faille. Or, il y a six mois, on nous a contactés pour ce contrat.

— Vous tuez pour de l'argent ?

— Pour quoi d'autre croyez-vous qu'on puisse tuer ? Ceux pour qui nous agissons doivent nous verser une rémunération phénoménale pour ce travail particulier. Une avance importante nous est déjà parvenue. Un coup énorme ! Pas moins d'une trentaine de nos membres sont sur la brèche, dont un tireur d'élite, des chargés de liaisons, des experts en filature, des faux témoins, des voleurs de voitures. Quant à moi, j'ai été mandée avec Tania pour vous protéger. Nous nous sommes partiellement acquittées de cette tâche puisque l'effectif s'est réduit de moitié ...

— Je ne vois toujours pas en quoi je suis impliqué dans cette mélasse ni contre qui vous me défendez.

— J'y viens... comment dire ? ... Je vous couvre uniquement parce que vous ne devez pas nous claquer entre les doigts pour le moment. Il fallait éviter à tout prix que vous fussiez tué avant le 22 Juillet, date de votre exécution programmée.

Grant se raidit, mais garda bonne contenance.

— Le même jour que le prestigieux président du Sunotorio. Quelle promotion ! J'ignore s'il faut s'en féliciter. Je suppose, en tous cas, qu'il ne s'agit pas d'une coïncidence.

— En effet, ça n'a rien d'un hasard. Nos commanditaires n'auraient été intégralement satisfaits que si nous étions parvenus à impliquer un citoyen américain afin de discréditer les Etats-Unis aux yeux de l'opinion internationale. Les rendre responsables de l'attentat par le biais de votre personne était l'idée première.

— Je ne suis pas le seul citoyen américain de Paris. N'importe lequel aurait pu faire l'affaire.

— Vous cochiez beaucoup de cases. Vous travaillez en relation avec l'ambassade. Vous êtes en contact permanent avec les cercles diplomatiques par l'entremise de votre ami Saim-John. Vous possédez la couverture parfaite du barbouze de base: une femme et un enfant.

De plus, votre normalité devait nous permettre de mettre le grapin sur vous sans trop de peine. Mais tout est parti en vrille, dès le début. Votre fiche signalétique, que j'ai consciencieusement étudiée, vous dépeint comme un bureaucrate terne et sans histoire. Vous vous rasez à la main , vous chaussez du quarante-deux, vous allez au cinéma une fois par semaine, vous préférez les costumes gris, et vous ne mangez jamais au restaurant. Difficile de faire plus banal.

— Je vous remercie... Vous avez effacé mon identité, ravagé mon appartement, enlevé mes proches, vraisemblablement aussi Saim-John, vous projetez de me rayer de la carte dans un avenir immédiat, et pour faire passer la pilule, vous dressez de moi un portrait flatteur. Vous êtes absolument délicieuse.

— Je n'ai pas livré là mon impression personnelle. Je crois vous avoir prouvé que je ne vous trouvais pas désagréable.

— Très gentil de votre part, minauda Grant, dites-moi plutôt pourquoi le plan rend mon élimination nécessaire. Ca peut m'interesser, accessoirement.

— Les gens qui nous financent voulaient qu'on découvre votre cadavre sur les lieux de l'attentat, près des douilles fatales si possible. La découverte de votre corps par la police et l'émoi qui se serait ensuivi aurait de surcroît laissé à notre tireur le temps de s'esquiver.

— Comment justifier que l'auteur de l'attentat que je serais devenu soit mort à l'endroit même de son forfait ?

— Quelle importance ? Vous connaissez les raccourcis de la presse. La simple présence de votre corps aurait suffi à éclabousser les USA, peut-être même la CIA.

— Pourquoi attendre d'être sur les lieux du crime pour me buter ?

— Vous êtes ridicule... A cause de l'autopsie. Le légiste le plus incompétent aurait détecté l'anomalie. Votre exécution se devait de se superposer à celle de Securia.

— Vous n'avez pas éclairci un point. Qui sont les trois nettoyeurs qui nous collent aux basques ? Les deux masques et l'androgyne ?

— Une sorte de contre-espionnage. Vraisemblablement, Securia a eu vent de nos projets... anyway, c'est comme ça que je m'explique leur présence. Comme il n'a pas voulu renoncer à son séjour parisien, de crainte d'un incident diplomatique, que sais-je ? Ses services ont dû dépêcher des brochettes de tueurs un peu partout.

Des trois qui nous traquent, l'androgyne est le plus dangereux. En réalité, c'est une femme : Bess Lookuir. Leur objectif est exactement l'inverse du nôtre. Sachant que vous constitutez un rouage essentiel de la machination, ils espèrent vous supprimer le plus discrètement possible, avant de déposer votre macchabée dans un endroit très fréquenté, ruinant de cette façon une partie de nos intentions en éliminant le bouc-émissaire prévu... avec tous les dommages collatéraux que cela implique. Votre ami Granyt, par exemple, a probablement été envoyé ad patres à l'heure qu'il est.

Grant médita quelques minutes.

— Vous parlez de cette affaire au passé. N'est-elle pas toujours possible ?

— On ne peut stopper le mécanisme de l'attentat; par contre, je vais vous en exclure. Je trouverai un moyen. Ne me demandez pas pourquoi.

— Je ne peux pas raisonnablement concevoir que le charme du terne employé de bureau ait opéré. Quels sont les motifs qui vous dictent une telle générosité ? Le fait de m'avoir dévoilé le fond de l'affaire ?

Elle tourna vers lui des yeux devenus translucides.

— Pensez ce que vous voulez. Nous sommes embarqués dans la même galère. Nous allons certainement avoir besoin l'un de l'autre. De toute façon, vous êtes obligé de me suivre tant que nous tenons vos proches.. Je vais aviser ma base que vous avez échappé à mon contrôle. L'opération se poursuivra sans vous. Préparez-vous à une planque de longue haleine.

— Qu'est-ce qui me garantit que vous n'allez pas vous jouer de moi ? Que vous ne complotez pas mon retour sur Paris pour m'y transformer en beau cadavre ?

Les yeux d'Ella s'éclaircirent encore.

— Rien... absolument rien.

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