Gardien d'âme

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« Un foyer dans lequel nous savons que tu pourras t'épanouir et grandir en toute sérénité ».

Cette phrase résonnait dans ma tête. Mes parents connaissaient-ils Mama Thésia ? Je n'en avais pas la certitude. Et Mama Thésia ? Les connaissait-elle ? C'était impossible. Mama Thésia avait toujours été franche avec moi... Du moins jusqu'à ce soir, je le croyais. Comment avait-on pu me cacher ce pan de ma vie ?

Le froid traversait les fenêtres de ma chambre. Le bar était toujours éclairé. Les rires me réveillaient parfois, mais il me suffisait d'ouvrir les yeux, de voir l'obscurité de la nuit, pour m'assoupir de nouveau. La cheminée située au pied de mon lit me réchauffait, mais l'intérieur de ma poitrine restait glacé. J'avais le cœur serré. Était-ce la tristesse ou le froid ?

Mes yeux se fermaient peu à peu quand soudain la terre se mit à trembler. Je me relevai en sursaut sur mon lit, la bouche entrouverte, les yeux à l'affût. De minuscules craquements de bois devenaient de plus en plus fort. Un tremblement de terre pouvait vite arriver au bord de notre continent, ce n'était pas ce qui m'inquiétait. Ce dont j'avais peur, c'était ces bruits assourdissants qui se rapprochaient de la maison. Quelque chose d'anormal se passait... Quelque chose d'étrange.

Je sautai hors de mon lit et m'approchai du couloir qui séparait ma chambre et celle de Mama Thésia. Elle ronflait tellement fort qu'elle n'entendait rien. Je refermai ma porte lentement. Mes pas faisaient craquer le parquet du couloir.

  • Mama Thésia ? chuchotai-je dans l'espoir qu 'elle se réveille.

Un choc magnétique me fit une nouvelle fois tendre l'oreille, puis la surdité absolue. Qu'est-ce qui se passait ? Après une énième tentative afin de réveiller Mama Thésia sans grand succès, je m'habillai à toute vitesse puis m'emparai de mon équipement d'archer. Dans mon élan, j'attrapais le minuscule coffre que je glissai dans mon sac à dos.

Je sortis à l'extérieur en courant. Je regardai à droite, puis à gauche. Personne. Je cherchais. J'essayais d'apercevoir ne serait-ce qu'une lumière de la cité. Je tournai sur moi-même. Plus aucun mouvement. Même dans le bar.

Brutalement, la sphère fit retentir de nombreux grondements. Une ombre se dessina à l'horizon de l'obscurité de la nuit. Sans doute était-elle à l'extérieur. . . En dehors de la sphère. Elle s'agrandissait de plus en plus. Une taille si gigantesque qu'il était impossible de la mesurer. Est-ce une baleine bleue qui rôdait autour de la sphère ? Ou un rorqual qui s'attaquait à celle-ci ? Et même si c'était cela, il était impossible qu'une bête fasse la taille de notre continent. Comment était-ce possible ?

Je sortis une flèche de mon carquois et la positionnai sur mon arc. Une position simple, de prévention, le temps d'aller chercher de l'aide. J'avais longuement cherché de l'aide : d'abord en criant pour réveiller les habitants d'Hima, ensuite en jouant du tambour sur les portes de leurs chaumières, en vain.

Brusquement, la sphère se mit à vaciller. Ce n'était pas normal. Nous n'avions jamais eu de problèmes avec les géants marins.

J'empruntai le chemin de la forêt, là où les feuillages des chênes s'agitaient. J'entendis de nouveau un bruit plus fort que jamais. Au fond de moi, j'avais peur que la sphère soit endommagée, et qu'elle ne finissent par lâcher. Je ne savais pas quoi faire : j'étais impuissante face à ce qu'il se passait. Personne n'entendait. Personne ne voyait. Personne...

Je poussais les fougères et les branches des arbres. J'escaladai les rochers. Je tendais l'oreille au moindre bruit. Je scruptais de temps à autre la résistance de la sphère. Je me demandais même parfois, si tirer une flèche dans cette masse noire pourrait résoudre le problème. J'étirais alors la corde de mon arme par prévision, sans grande conviction.

L'ombre se déplaçait au-dessus de ma tête mais elle n'avait pas encore submergé le continent par sa taille. Elle grossissait petit à petit. Dans ce silence extrême, il n'y avait plus que l'eau, cette chose et moi.

C'est alors que des silhouettes humaines traversèrent la sphère. Je paniquai : dans l'eau, elles n'avaient rien à craindre, mais une fois la barrière traversée, il ne restait plus que le videet la mort assurée.

Je me mis à courir à toute vitesse, au point de ne plus sentir mes jambes. J'enjambai les racines qui ressortaient du sol. J'écartai violemment les branches qui se trouvaient sur mon chemin. Je ne pensais plus à rien. J'avais environ, un ou deux kilomètres à parcourir. J'étais alors certaine de ne pas arriver à temps pour les aider, même avec toute la volonté du monde : j'étais trop loin.

Les nerfs à vifs, les larmes me montèrent aux yeux. Pourquoi j'étais la seule à voir tout cela ? Pourquoi avais-je l'impression que tout le monde dormait à poings fermés. Et si c'était un rêve ?

Bien que la nuit assombrissait le paysage, comment cette ombre pouvait la rendre encore plus noire qu'elle ne l'était déjà ? En un claquement de doigt, lorsque celle-ci eut recouvert l'ensemble du continent, un magnifique spectacle se révéla à moi. Je m'arrêtai net, stoïque, les yeux ébahis. La faune et la flore atlante se réveilla tout autour de moi. Les insectes suspendus aux arbres, les pierres, mais aussi les champignons, libérèrent une lumière bleutée. Le plumage des oiseaux scintillait de mille feux. L'Atlantide était devenue une étoile sous-marine.

J'ignorais tout cela. Je me demandais même si quelqu'un savait.

J'aurais pu m'arrêter là, m'asseoir et apprécier ce moment, mais des Hommes avaient besoin de mon aide. Je devais vérifier leur état et j'espérais au fond de moi que leurs corps ai été amortis par le branchage des arbres.

  • Pourvu qu'il y ai des survivants, chuchotai-je. 

C'est lorsque je repris mon chemin qu'une meute de loup me ralentit. Ils étaient calmes et n'avaient pas l'air de s'inquiéter de ce qu'il se déroulait autour d'eux. Je n'en avais jamais vu d'aussi proche. Mon premier réflexe fût de m'arrêter pour ne pas prétendre vouloir les défier. Je les fixais de mes yeux verts, continuer tranquillement leur route. Sauf un, qui lui était bien décidé à rester..

Il était grand et volumineux, tout le contraire de mon corps mince et petit. Mais je ne reculerais sans aucun prétexte. Il me regardait et jeta des coups d'œil furtif à mon arme que j'avais dans les mains. Il comprenait ce que j'avais l'intention de faire, et cela me fendait le cœur. J'avais peur, je voulais me protéger.

Il se leva puis montra ses crocs tout en courant dans ma direction. J'étendis mon arc et plaçai la pointe de ma flèche au centre de son front. Je stabilisai ma position et fermai les yeux pour résister aux larmes qui tentaient de s'échapper. Je tendis le fil quand j'ouvris les yeux. Qu'allait-il m'arriver si je loupais ma cible ?

Il était tout proche, prêt à m'attaquer. Mon doigt tendait la corde avec conviction que sa mort servirait à ma survie. Il continua à courir avec la même intensité, s'élança sur moi, et par un réflexe tout à fait naturel, je me mis à prononcer des paroles inconnues. Si familières mais si étrangères.

  • Hërou lykosbeq ahëmet, héka sëchem tep épidexum ouas me mout nëter.

Il sauta. La flèche le traversa sans que je me rende compte de ce que je venais de faire. Mon front me brûlait.

  • Syndësidén boren naspasei.

Il retomba derrière moi.

  • Tha terrapefseï.

Je n'entendais aucun souffle. Pas de mouvement de vies. Je me retournai dangereusement alors que mes larmes coulaient à flots. Tout se chamboulait dans ma tête. J'étais au bord de la crise de nerfs. Je ne comprenais rien de ce qu'il m'arrivait. C'était comme si je redécouvrais l'Atlantide.

Il était là, à me fixer avec un air inoffensif. Les yeux d'un bleu translucide. De magnifiques billes qui s'étaient éclairées par un simple regard échangé ensemble.

  • Je suis désolée, sanglotai-je abasourdie.

Il était encore allongé, saignait d'un sang noir ébène. A mon grand étonnement, il ne montrait aucun signe de souffrance. J'approchai en prenant garde, lentement pour ne pas le perturber. Mon cristal frontal s'éclaircit m'aportant une douleur atroce.

Le loup m'observait. Il ne bougeait pas. À son cou, il portait à l'identique mon pendentif. Mon Gardien d'âme. Je lui retirai d'un coup sec la flèche qui l'avait seulement blessé. Je ne savais pas si je devais être heureuse de sa survie ou écœurer par le bain de sang qui gisait autour de lui. J'effleurai son peulage de ma main. Il se laissa faire. Soudain, son sang devint blanc avant d'arrêter immédiatement de couler.

Il se remit sur pied, attendit quelques secondes avant de me laisser partir peu de temps après, seule face à cet instant surréaliste.

 Lorsque je fus arrivé, les alentours étaient toujours aussi silencieux. L'Ombre avait déserté et deux hommes se trouvaient au sol. Je tendis l'oreille pour entendre leur respiration. Mais à part le bruit sous-marin, je n'entendis rien.

Je levai les yeux vers la sphère. Elle était intacte, comme si une aiguille était rentrée dans une bulle sans que celle-ci ne la perce. Auparavant, je n'avais jamais mesuré le mystère que représentait cette barrière magnétique à mes yeux.

Alors que j'étais perdue dans mes pensées, un homme m'agrippa la jambe. Je fus d'abord surprise puis m'abaissai vers lui. Je lui pris la main et l'examinai. Ses yeux étaient entrouverts. C'était un vieux monsieur avec une barbe mal rasé. Il empestait le poisson.

Il mit sa main sur ma joue, le regard en même temps vide et brillant.

  • Vous avez mal quelque part monsieur ?

  • Fais attention à toi, peina-il à dire.

Je posa mes mains sur la sienne :

  • Je vais trouver de l'aide, ne vous inquiétez pas.

Il s'endormit tout de suite après. Comment avait-il pu survivre à la chute libre ?

Je me relevai. Je devais prévenir quelqu'un. La cité se trouvait sur l'ancienne côte Sud-Est du continent. C'était elle qui avait le pouvoir de les sauver. Ici, on ne se soignait qu'avec des soupes et des plantes. Rien qui pourrait guérir un homme d'une chute de plusieurs kilomètres en dessous de la sphère.

Subitement, un froissement de feuilles brisa le silence pesant qui s'était installé. Était-ce une nouvelle fois le loup ? Mon cœur se mit à battre à toute vitesse. J'avais peur. L'angoisse me rongeait les membres. Un souffle contre ma nuque me fit frissonner.

  • Bonne nuit Leïna.

Je me retournai brusquement vers l'homme qui venait de me nommer. Dans cette nuit noire, je ne pouvais distinguer son visage. Seul une mystérieuse ombre se dressait devant moi.

  • Qui êtes-vous ?

Il me prit rapidement par la taille pour me retourner, me plaqua contre lui et posa violemment un mouchoir sur mon nez et ma bouche. Au fur et à mesure que je respirais, mon corps se calmait. Mes yeux devinrent lourds. Je me laissai tomber dans ses bras, et m'endormis peu à peu.

  • Un traqueur du présent.

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