Théâtre des ombres

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 Mon esprit resta bloqué un long moment sur la fine lueur qui floutait ma vue lorsque je repris connaissance. Il faisait nuit noire.

Ma tête s'élevait avec élan dans les airs, avant de s'écraser sur un coussin en plume. Les cahots violents de la charrette me balançaient de gauche à droite manquant de me rendre malade. Comment ne m'étais-je pas réveillée plus tôt ? Les battements de mon cœur résonnaient dans mon crâne.

Je m'assis lentement, étourdie par les secousses du véhicule, sans attirer l'attention de l'homme assis à l'avant, derrière les chevaux. Mes mouvements dégageaient parfois quelques grincements. Néanmoins, ils étaient recouvert par le choc des coffres en bois et des caisses de vin.

D'épaisses cordes joignaient mes poignets et mes pieds déjà engourdis. Mon sang ne circulait plus dans mes mains. Tandis que je bougeais, les frottements du chanvre contre ma peau libéraient des gouttelettes de sang. Elles dévalaient la pente de ma main à toute vitesse. Arrivées au bout de mes doigts, elles entamèrent un saut périlleux vers le drap blanc qui recouvrait mes cuisses.

Je balayai l'intérieur de la charrette d'un simple coup d’œil. Il m'avait fallu quelques instants pour comprendre que l'homme me transportait dans son laboratoire privé. Tout était en vrac, des gadgets à mes pieds, mais aussi des flacons bruns en verre. Le loquet des coffres forts n'avaient pas été fermé. Comment pouvait-on être à ce point ignorant pour laisser traîner ses affaires en présence de sa victime, surtout quand un couteau était placé à quelques mètres de celle-ci ?

Mon premier réflexe fut de chercher mon arc. Seulement, même un apprenti hors-la-loi ne l'aurais pas laissé près de moi. L'homme n'était pas si simple d'esprit que ça.

Un à-coup me cogna la tête contre le bois qui soutenait la toile de la charrette, Je lâchai un léger gémissement. L'homme se retourna après un moment d'hésitation. Par chance, je m'étais remise dans ma position initiale. Je fermai les yeux. Comment allais-je m'en sortir maintenant ?

Mon orteil effleura la lame du couteau qui venait de se rapprocher par la secousse. Elle était tellement tranchante qu'elle me laissa une entaille sur la pointe de celui-ci. Je sursautai mais me tus. Où étaient passées mes chaussures ?

À l'aide de mes pieds, je saisis le manche en bois du couteau et me pliai pour l'attraper avec mes mains jointes.

Un flacon roula par hasard vers moi et se cogna contre ma cuisse droite. Par instinct, je jetai un coup d’œil à l'homme, mais ce genre de bruit n'avait pas l'air de l'inquiéter. Je soulevai la minuscule bouteille jusqu'à mes yeux. Il était écrit en une jolie calligraphie : Liqueur de Pavot.

Je me mordillais la lèvre inférieure pour ne pas lâcher des injures à l'égard du vieil homme. Ce flacon expliquait pourquoi il possédait ce pseudo laboratoire dans une charrette étonnamment grande. Il fabriquait tout simplement toutes sortes de drogues, d'élixir, ou bien de somnifères.

Il avait dû cueillir non loin de là quelques Somniphilis. Elle est la seule espèce de pavot trouvable en Atlantide. En temps normal, l'opium dégagé par cette plante est un latex où, lorsqu'il est séché de la morphine en est extraite. La Somniphilis a des propriétés tout à fait différentes et bien plus dangereuse. Même si l'opium de celle-ci sort en liquide, elle ne reste pas moins qu'une drogue interdite ici.

 Prise de panique et d'adrénaline, mes tremblements avait rendus mes mouvements maladroits et me faisaient perdre des secondes précieuses. À tout moment, l'homme pouvait se retourner, et si cela arrivait, Dieu sait ce qu'il pouvait se passer ensuite. Enfin détaché, je devais maintenant réfléchir efficacement. Je secouai pendant quelques secondes mes mains puis massai mes pieds pour les réveiller de leur long sommeil. Je gardai tout de même mon sang-froid car rien n'était gagné. Je pris soin de ne faire aucuns bruits lorsque je me mis debout.

L'homme se racla subitement la gorge, mon cœur s'emballa de nouveau. Nous étions si proches mais si loin en même temps. Cette sensation était indescriptible.

Crispé de la tête au pied, j'avançai une jambe, puis l'autre jusqu'à apercevoir une caisse ouverte.

J'empoignai une bouteille dans ma main, toujours en avançant vers lui, pas à pas. Je m'apprêtai à la lui éclater sur le crâne quand soudain elle vola en avant, hors de la charrette, par un simple coup de main de l'homme. Elle tapa le flanc du cheval avant de se briser sur le sol. Il se cambra, arrêtant la cavale du vieil homme.

  • Je vois que tu es réveillée depuis un moment. Combien de temps t'a t-il fallu pour élaborer ce plan ?, demanda t-il en se retournant.
    Sans un mot, je m'étais rassise.
  • Je vois. Tu ne veux pas parler, je comprends...

Il réfléchit longuement puis repris :

  • Connais-tu le théatre d'ombres ?, déclara-t-il. Je ne m'attends pas à une réponse de ta part. Si tu le permet, je vais continuer.

Il arborait fièrement un sourire audacieux. Je m’apprêtais à recevoir un discours débordant d'assurance à m'en rendre désabusée.

  • Le principe est tout à fait simple, assura-t-il. Prenons une source lumineuse que nous plaçons derrière un objet. Son ombre sera automatiquement projeter sur un écran.

Il schématisait la situation avec ses énormes mains qui bougeaient dans tout les sens.

  • Imagine maintenant que l'image c'est toi.

Il ricana.

  • L'écran serait donc le sol de cette charrette, sa toile et aussi mon dos par la même occasion. Nous sommes d'accord, pas vrai ? Alors la prochaine fois, fait attention à la lanterne derrière toi et ne t'approches pas trop du rebord, tu éviteras de dessiner ton ombre sur la route.

Soudain, un coup de feu retentit dans l'obscurité de la nuit. L'homme tomba à terre, dans un silence des plus macabres.

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