Chapitre 3: Kabukicho

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La situation avait totalement échappé à Violette. Alors qu’elle était censée réparer l’abri de jardin, Édouard l’avait tout d’abord trainée à bord d’un ferry pour prendre leur président de club en filature. Et voilà que maintenant, elle se retrouvait à manger des Takoyaki dans une échoppe miteuse remplie d’alcooliques à trois heures de l’après-midi. Même si elle ne pouvait pas se plaindre de la qualité de la nourriture, toujours excellente, son cerveau rationnel était conçu pour faire des liens logiques entre les événements. C’est pourquoi, à ce moment-là, il menaçait à tout instant d’imploser face à l’illogisme de son camarade. De plus, une filature était supposée être une action discrète… alors pourquoi est-ce qu’Édouard l’avait amené dans le seul endroit où deux Européens avaient toutes les chances d’être le centre de l’attention ?

Tentant tant bien que mal de se contenir et de garder son sang-froid, Violette inspira longuement puis posa la question fatidique à son acolyte :

— Eh, espèce d’andouille… on ne serait pas venu ici juste parce que Flore et Masamune ont refusé de s’afficher avec toi en public, par hasard ?

— Comment ? Tu oses me soupçonner d’une telle infamie ? s’indigna l’autoproclamé savant fou. Nous sommes là pour récolter des informations !

— Oui, oui, certainement. Déjà, parle moins fort si tu ne veux pas que la police t’arrête pour trouble à l’ordre public. Et, ensuite, tu vas me dire que, derrière le poster au fond de la salle, il y a un mécanisme secret qui mène droit dans l’antre des yakuzas et qu’on va y retrouver Soichiro, comme par miracle ?

Édouard, comme un poisson hors de l’eau, ouvrit la bouche, et la referma, sans qu’aucun son n’en sorte. Violette, à bout, se leva et paya les consommations. Elle en avait assez vu pour la journée, et surtout, assez perdu son temps. Elle était venue à Tokyo pour étudier la physique dans la meilleure université du monde, pas pour manger des beignets de poulpe dans un sous-sol à l’hygiène douteuse.

Lorsqu’elle ressortit dans la petite rue bondée de passants, la jeune femme grimaça. De tous les quartiers de la ville, Kabukicho était bien celui qu’elle aimait le moins. Il y régnait une atmosphère oppressante. Entre les bars à hôtesses, les love Hôtels, les harponneurs et le bruit permanent, Violette ne se sentait vraiment pas à sa place. Elle avait besoin de calme et d’espace pour s’épanouir. Elle détestait plus que tout être oppressée. Et cela provenait en grande partie de son éducation durant laquelle la réussite à tout prix lui avait fait sacrifier de nombreuses choses, à commencer par ses amis au collège et lycée… Si elle avait voyagé à l’autre bout du globe, c’était justement pour se débarrasser de ce sentiment d’être un oiseau en cage, tout juste bon à divertir les foules.

Elle n’eut pas fait trois mètres qu’un grand gaillard en costume et à l’allure soignée s’approcha d’elle. À en juger par sa dentition bien trop éclatante, il devait abuser sur le fluor dans le dentifrice, pensa-t-elle.

— Tu es toute seule, ma belle ? commença-t-il d’une voix charmeuse.

— J’aurais aimé, soupira Violette. Malheureusement, non. Je suis avec l’idiot là-bas en blouse blanche qui cherche des yakuzas. Vous n’en auriez pas vu, par hasard ?

Fini la subtilité. La scientifique en avait assez de ces histoires. Tout ce qu’elle voulait, désormais, c’était mettre un terme à cette expédition au plus vite pour poursuivre sa thèse.

Toute la bienveillance qu’affichait l’homme s’effaça de son visage en un quart de seconde. Sortis de nulle part, trois nouveaux molosses rasés entièrement, tatoués au niveau du cou, et aux airs peu commodes encerclèrent la jeune femme. Cette dernière, nullement impressionnée, appela son ami :

— Eh, Édouard ! Tu les as, tes yakuzas ! Maintenant, interroge-les et, après, on rentre !

L’un des mafieux alluma une cigarette et posa sa main sur l’épaule de la Française.

— En voilà une qui ne doit pas être très maligne. Je pense que le boss serait content de voir ce qu’on lui ramène, ricana-t-il de sa voix gutturale.

Vive comme l’éclair, Violette se saisit du bras de son agresseur.

— Je vous prierai de ne pas me toucher. Je ne vous en ai pas donné la permission. Et merci de ne pas m’insulter. J’ai beau vivre avec des abrutis, j’ai encore toute ma tête. Maintenant, Édouard, tu te dépêches, ou alors, je te laisse te débrouiller avec eux !

L’intéressé, livide, recula d’un pas en claquant des dents. Il devait vraiment être terrifié pour avoir abandonné ses grandes tirades.

— C’était bien la peine. Tout ça pour ça, soupira la blonde. Allez, on rentre. J’en ai plus qu’assez de tout ça.

Avec une facilité déconcertante, la scientifique mit à terre le colosse qui avait osé s’approcher d’elle. Toutefois, au lieu d’impressionner les autres délinquants, celui qui semblait être le chef prononça une phrase qui la fit s’arrêter net.

— Une minute… Une Européenne blonde toujours vêtue de blanc et qui possède une bague d’argent à la main gauche… Est-ce que ça serait elle, Violette Pend…

D’un mouvement rapide, l’étudiante asséna un violent coup de pied dans l’entrejambe de celui qui l’avait abordée en premier. Le pauvre homme s’effondra sur le sol, en larmes.

— Je ne vois pas de qui vous parlez. Maintenant, adieu.

— C’est forcément elle ! Reste-là, poupée, tu ne t’échapperas pas aussi facilement !

Un coup de feu retentit. Les passants, affolés, s’enfuirent sans demander leur reste tandis qu’à quelques centimètres du pied de Violette, une balle d’acier s’était plantée dans le les pavés.

— Tu vas nous suivre sans faire d’histoire, si tu ne veux pas qu’on amoche davantage ton joli minois. Sérieusement. Si on m’avait dit qu’elle se jetterait d’elle-même dans la gueule du loup ! À moi la prime pour…

Le délinquant ne termina pas sa phrase. La chaleur avait subitement augmenté d’un cran. L’anneau qui ornait le doigt de Violette avait viré au bleu tandis que des étincelles en jaillissaient comme d’une fontaine. Une épaisse brume envahit la rue. Au loin, un hurlement de bête se fit entendre.

— Je vais vous le demander encore une fois avec politesse. Laissez-nous tranquilles ou je peux vous assurer que mon nom sera la dernière chose que vous prononcerez de votre vie, lança la Française d’une voix lente et autoritaire.

— C’est… C’est du bluff, hein ? Tu es magicienne, poupée ? Désolé, mais ça ne prend pas avec nous, rétorqua le yakuza, peu serein. Les ordres sont clairs. Si on la croise, nous devons ramener Violette Pen…

Aoi Hono !

Un éclair aveuglant s’abattit sur la ruelle déserte. Une bourrasque de vent souffla les panneaux publicitaires et les vélos posés là comme de vulgaires brindilles. La brume se condensa en une unique entité, un majestueux renard au pelage blanc comme la neige, recouvert d’un manteau de flammes azurées. Haut de près de deux mètres, sa simple vue suffit à faire détaler les deux loubards comme des lapins.

D’un claquement de doigts, la créature disparut sans laisser aucune trace de son passage, comme si elle n’avait existé.

— Visiblement, mon nom n’a pas fuité que dans l’école. Il va falloir que je discute sérieusement avec le professeur. Je crois qu’on ne s’est pas bien compris sur le concept de fausse identité, marmonna la jeune femme en époussetant sa veste. Eh, le savant fou ! C’est fini, on rentre ! Alors, dépêche-toi ou tu vas devoir prendre le ferry tout de s…

Elle s’arrêta net, et écarquilla les yeux de stupeur lorsqu’elle constata l’état de son camarade. Ce dernier était prostré dans un coin, le regard vide, la respiration saccadée. Affolée, Violette se précipita vers lui.

— Eh, Édouard, tout va bien, calme-toi. Ils sont partis. Le monstre que tu as vu était juste mon partenaire. Tu n’as rien à craindre de lui et…

— Les yakuzas… Les flammes mauves… Papa, Maman… Ils ont… disparu.

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