Chapitre 1: Ether

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Une explosion souffla le toit de la cabane de jardin qui servait accessoirement de salle de club de science. Violette eut tout juste le temps de se jeter à terre pour esquiver la déflagration. Tout le monde n’eut pas sa chance. Masamune Nishijima, l’instigateur de cette catastrophe, fut pris dans la déferlante. Le pauvre garçon fut expulsé du cabanon comme une vulgaire brindille avant de terminer sa course dans un chêne, à quelque dix mètres plus loin.

Lorsque le danger se fut enfin éloigné, la jeune femme osa finalement sortir de sa cachette pour constater l’ampleur des dégâts. Le soupir qu’elle lâcha suffit à faire s’effondrer la porte d’entrée carbonisée.

Dépitée, elle récupéra à l’extérieur le cadavre de son ami. Elle agrippa par le col de son uniforme l’étudiant aux cheveux bruns hirsutes retenus par un bandeau de sport, et le foudroya de ses yeux émeraude.

— Mais je rêve ! Comment on peut causer autant de bazar en testant une formule pour du thé vert ! s’égosilla Violette, rouge de colère. Qu’est-ce que tu as mis dedans cette fois ? Du sodium solide ? Ou non, laisse-moi deviner, de l’uranium enrichi ?

Masamune déglutit.

— Rien… Rien du tout, je te jure ! J’ai simplement utilisé des feuilles de menthe !

Le regard de Violette s’assombrit davantage. Si les émotions avaient pu tuer, le jeune homme serait mort sur le coup.

— Tu te moques de moi ? Des feuilles de menthe explosives ? Tu en as d’autres comme ça ?

— C’est la vérité ! Enfin… J’ai demandé à Édouard de me les apporter, du coup…

La Française, trop fatiguée pour continuer à chercher à comprendre l’inexplicable, relâcha son camarade et se prit la tête dans les mains, soudain victime d’une migraine subite.

— Toutes ces bêtises vont finir par faire fondre mon cerveau, grommela-t-elle. Et où est Soichiro encore ? On avait dit qu’on devait travailler sur les transporteurs dimensionnels à dix heures et il est seize heures !

— Tu devrais apprendre à te détendre, Violette, lui lança Masamune en époussetant sa chemise couverte de gravats. Un peu de thé te ferait du bien pour…

À bout de nerf, la blonde asséna un violent coup de poing dans la figure du pauvre étudiant qui, même s’il avait survécu à l’explosion, fut mis K.O sur le coup. Une fois calmée, la scientifique laissa la dépouille de son ami au milieu de la forêt et s’attela à nettoyer les débris.

Cela faisait huit mois que Violette avait intégré l’équipe technologique et historique de l’école Rikoukei, E.T.H.E.R, sous la supervision de Ryoko Seiu. Au départ, elle pensait avoir rejoint un banal club de sciences où elle pourrait discuter de ses théories avec d’autres passionnés de physique. Pourtant, la désillusion avait été brutale lorsqu’elle avait fini par comprendre qu’elle avait pénétré dans un asile de fous et qu’elle était la seule à être en mesure de les empêcher de déclencher un cataclysme. Si ses camarades avaient été en possession de l’arme nucléaire, très certainement que la planète aurait sauté de nombreuses fois par leur faute.

Le garçon qu’elle avait assommé se prénommait Masamune Nishijima, un simple amateur de thé, sans aucune compétence scientifique particulière. Au quotidien, c’était une personne toujours de bonne humeur, même lorsqu’il frôlait la mort, en témoignait le sourire crétin constamment figé sur ses lèvres. Sous son œil droit, une cicatrice descendait jusqu’à sa joue, relique d’une bagarre qui avait mal tourné, selon ses propres dires. De plus, il était tellement habitué aux explosions quotidiennes qu’il ne prenait plus le temps de se coiffer et ressemblait à un buisson vivant. La seule raison de son appartenance au club était son désir de créer le meilleur thé au monde grâce à la science.

Des pas sur le gravier tirèrent Violette de ses pensées. Sans même se retourner, elle lança un marteau derrière elle. Elle s’attendait certainement à ce que le nouveau venu le réceptionne en vol. Cependant, le bruit sourd qui parvint à ses oreilles, suivi d’un gémissement de douleur, lui confirma que l’outil avait atterri ailleurs. Cela ne la perturba pas le moins du monde. Toujours focalisée sur sa tâche, elle grommela :

— Six heures de retard, félicitations, vieux ronchon. Regarde dans quoi je me retrouve embarquée à cause de toi.

— Désolé gamine, mais j’étais occupé avec Édouard. Il s’est mis en tête d’infiltrer un gang yakuza pour dévoiler leur plan de domination du monde, répondit une voix grave, pleine d’ironie.

— J’imagine que c’est une excuse valable…

Commençant à avoir des fourmis dans les jambes, Violette se releva et fit face à son interlocuteur qui n’était autre que Soichiro Namatame, le président actuel du club de science. Il était également seul membre en dehors de Violette à posséder un minimum de bagage scientifique.

Comme tous les jours, sa barbe dessinant les contours de son visage anguleux semblait avoir été taillée avec un sécateur tandis que, sur son front tombaient quelques mèches de cheveux bruns rebelles. Malgré son air renfrogné, et son humour quasi inexistant, ses yeux bleu saphir dégageaient un charisme certain qui ne laissait pas sa cadette indifférente.

Tout en frottant la bosse créée à l’avant de son crâne par le marteau volant, Soichiro proposa son aide.

— Nos recherches devront attendre qu’on ait nettoyé ce bazar, n’est-ce pas ?

— Malheureusement, oui, grogna Violette. Comme si on pouvait se permettre de perdre davantage de temps alors qu’on n’a plus que six mois pour rendre notre projet et qu’on tourne en rond depuis le début de l’année. Je vais devenir folle, ici !

— Tu dois déjà l’être pour ne pas t’être encore enfuie, railla son ami. Je crois que tu es la seule à avoir tenu aussi longtemps avec ces énergumènes.

— Notre thèse ne va pas s’écrire toute seule. C’est peut-être la découverte du siècle, je ne vais quand même pas passer à côté pour une poignée d’idiots. On m’a toujours appris qu’aucun obstacle n’est insurmontable si on désire vraiment parvenir à nos fins. Donc, si pour révolutionner la science, je dois endurer ce supplice, alors soit, je…

Violette s’arrêter net dans sa phrase, écarquilla les yeux, puis recula précipitamment. Juste à temps pour éviter qu’un pan entier de mur s’effondre sur elle et l’enterre vivante. Si jusque-là, elle se disait que les réparations seraient terminées le lendemain, tous ses espoirs venaient d’être anéantis.

La mine décomposée de la blonde tira un sourire moqueur à Soichiro.

— Tu penses qu’on nous prendra quel pourcentage de notre budget pour ça, cette fois-ci ?

— Parce qu’il nous reste du budget ? Je croyais qu’on avait liquidé tout pour les dix prochaines années, soupira Violette, plus dépitée que jamais.

— Ah, tu as raison, gamine. J’avais oublié ce détail. Tant pis, ça sera mis sur la facture de la onzième année, alors.

— Tu ne peux pas réparer ça avant que l’administration nous tombe dessus encore une fois ?

— Je pourrais, oui… Mais la course poursuite avec Édouard m’a épuisé. Je m’en occuperai plus tard. Pour le moment, ma priorité est de terminer mon exposé pour demain.

Le président, sans ajouter un mot de plus, tourna les talons et laissa la jeune femme seule au milieu des décombres. Voyant qu’au loin, le Soleil commençait à teinter la baie de Tokyo d’un rouge écarlate, Violette décida de s’arrêter là. Elle ramassa ses quelques affaires qui avaient survécu au désastre, posa une couverture sur les épaules de Masamune, toujours évanoui, puis prit le chemin du retour.

Comme chaque jour, la blonde fit un détour par la plage pour admirer de l’autre côté du rivage les lumières des gratte-ciels de la capitale. L’académie Rikoukei se trouvait sur l’île artificielle d’Odaiba, et en occupait une majeure partie. Elle se composait du bâtiment principal, ressemblant à s’y méprendre aux prestigieux collèges anglais, ainsi que des dortoirs répartis sur l’île en fonction des départements auxquels ils étaient rattachés. La vie quotidienne y était assez agréable. Les étudiants ne manquaient de rien grâce aux nombreux commerces à proximité et, pour se rendre en centre-ville, il suffisait d’emprunter l’un des ferrys qui effectuaient toutes les vingt minutes la liaison avec le quartier Asakusa.

De plus, même si ses fréquentations laissaient à désirer, Violette ne pouvait pas se plaindre des cours qu’elle suivait. Tous les enseignants possédaient un niveau exceptionnel et il ne se passait pas un seul jour sans que la Française n’apprenne une nouvelle notion qui lui était inconnue jusque-là. Cependant, la matière qu’elle préférait était celle du professeur Seiu, son superviseur de club : l’introduction au Kvantiki. Ce domaine, relativement récent dans la physique, reposait sur l’existence d’une particule hypothétique, le Kvantion, capable de défier les lois établies jusqu’ici par la mécanique classique. Pour la plupart des autres élèves, ce cours était le plus ennuyeux, et le plus compliqué, mais pas pour Violette. Le jeune génie avait très vite développé une véritable passion pour les applications futures de cette théorie, pour l’instant très abstraite et cantonnée au monde parfait des mathématiques.

Après vingt minutes de marche le long de la plage, perdue dans ses pensées, la blonde arriva finalement chez elle. À cause de son statut particulier, elle ne logeait pas dans les dortoirs avec les autres. Elle possédait sa propre villa, légèrement à l’écart. Du moins, c’était ce qui avait été convenu lorsqu’elle s’était inscrite…

Lorsque Violette inséra la clé dans la serrure, un frisson lui parcourut l’échine, sans raison apparente. Son intuition, qui ne la trompait jamais, lui hurlait de faire demi-tour avant qu’il ne soit trop tard. Cependant, un bruit sourd à l’intérieur la cloua sur place.

Un voleur ? Non. La porte était toujours fermée à double tour et toutes les fenêtres étaient intactes. Un animal sauvage, alors ? Tout aussi improbable pour les mêmes raisons. Avec un peu de chance, ce n’était qu’un coup de vent ou une casserole mal rangée. L’étudiante eut beau imaginer tous les scénarios, elle savait pourtant pertinemment ce qui l’attendait, et elle aurait préféré devoir affronter une centaine de cambrioleurs seule que d’accepter la réalité.

Lorsque le fracas de verre brisé résonna jusqu’à ses oreilles, c’en fut trop pour elle. Violette, d’un coup de pied, ouvrit la porte avec une telle violence que la pauvre planche de bois sortit de ses gonds.

— Édouard, Flore, pour la deux millième fois, je vous ai dit qu’il n’y a aucune relique du Népal chez moi ! Alors dégagez, et plus vite que ça !

Les deux intrus, pris sur le fait, se figèrent. Les jumeaux, d’origine belge, étaient les deux derniers membres du club de sciences, et également les plus étranges. Édouard Delacour, du haut de son mètre soixante-seize, dépassait à peine Violette en taille. Il avait pour habitude de tirer ses cheveux vers l’arrière de manière ridicule à l’aide d’un gel poisseux à la forte odeur de menthe. Quelques poils de barbe mal taillée au niveau du menton venaient souligner son aspect négligé. Il arborait, comme toujours, un air totalement abruti, renforcé par sa blouse délavée et trouée, bien trop grande pour lui.

Sa sœur était légèrement plus présentable. Elle faisait au moins l’effort de coiffer ses cheveux bruns mi-longs, et de s’habiller correctement. En effet, elle portait une tenue tout ce qu’il y avait de plus classique, composée d’un simple débardeur blanc et d’un jean bleu. À première vue, elle semblait bien plus normale que son frère. Toutefois…

— Qu’est-ce que je t’avais dit, triple andouille ! On perd notre temps ici, on ne trouvera rien d’intéressant dans sa chambre. Si Violette est vraiment une agente népalaise, elle doit cacher les preuves ailleurs, lança-t-elle tout en pinçant l’oreille de son jumeau.

— Édouard Delacour ne se trompe jamais ! rétorqua sèchement l’idiot en chef. Toi, femme aux cheveux de paille, un jour, nous percerons ton secret, sois en assurée ! Lorsque ça sera fait, l’organisation tombera et…

— Et si, au lieu de parler dans le vide, vous alliez récupérer votre pote Masamune ? Je l’ai laissé devant la cabane dans le coma et, demain, c’est lui qui est de corvée de nettoyage, donc ça m’arrangerait qu’il soit réveillé d’ici là.

Sans se faire prier davantage, Édouard ouvrit une fenêtre et sauta à l’extérieur tandis que sa sœur le regardait avec des yeux ronds. Violette, que ces choses n’étonnaient même plus, se contenta de déposer son sac sur le canapé et monta à l’étage pour prendre une douche afin de se débarrasser de toute la poussière de l’explosion.

— Au fait, Violette, j’ai failli oublier ! l’interpela Flore avant qu’elle ne s’enferme dans la salle de bain. Il y avait une lettre pour toi devant ta porte, je l’ai posée sur la table du salon.

— Personne ne t’a jamais appris de ne pas toucher au courrier des autres ? Encore plus quand tu n’as rien à faire là ?

— Je voulais simplement éviter que mon andouille de frère croie qu’il s’agisse d’une missive du Népal qui t’ordonne de nous éliminer, ou quelque chose comme ça.

Intriguée, la Française attendit que son amie eût quitté elle aussi les lieux pour ouvrir cette mystérieuse enveloppe. Première chose étrange, il n’y avait pas d’expéditeur, ni même de timbre. Ce qui signifiait que la personne qui l’avait envoyée avait dû la déposer elle-même.

Pensant d’abord à une lettre d’un admirateur secret, ou une autre futilité du genre, Violette déplia la feuille de papier sans grand intérêt. Cependant, lorsqu’elle lut l’unique phrase écrite à la main, son sang se glaça :

« Je connais ton identité, héritière ».

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