Chapitre 3 - La chute.

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 Je réalise que je suis devant la porte de mon appartement, en me rendant compte que j’ai du marcher comme une folle de la boulangerie à mon domicile car je ne me souviens plus du trajet ni d’avoir croisé des individus. Je constate juste que je suis pieds nus, essoufflée et que ma cheville me fait un mal de chien. Je rentre. Le silence qui règne ici me permet de retrouver un peu mes esprits. Je regarde mes chaussures et les jette dans le couloir. Mon dieu, je suis complètement timbrée ! Je me sens tellement honteuse pour tellement de choses qui se sont passées au cours de la nuit et du petit matin. Aaahh, la boulangerie… Mais pourquoi suis-je aussi stupide ! Mes idées se brouillent j’ai du mal à garder mon calme. Je décide donc d’aller me faire du café. C’est ma drogue. Un café noir a toujours des effets miraculeux sur moi. Je pose mon sac sur la console à l’entrée et mes pâtisseries sans même y réfléchir. Je suis en mode « pilotage automatique ».

Arrivée à la cuisine, je retrouve tous les verres et la vaisselle de la veille restés sur la table ainsi que les quatre bouteilles que nous avons bu dans l’euphorie de la soirée. Un « putain » s’échappe de ma bouche. Lorsque je suis fatiguée, on peut dire que j’ai le juron facile. Quelle corvée, la vaisselle! Mais je me ravise. En fait c’est exactement ce dont j’ai besoin. Je dois m’occuper pour retrouver mon calme. J’ouvre la porte du lave-vaisselle mais ma migraine naissante me tétanise. Je prend un verre d’eau, ouvre un placard au-dessus de l’évier et cherche une aspirine. Mais au passage je fais tomber un flacon de sirop pour la toux qui se fracasse avec grands bruits sur le plan de travail. Ma tête est sur le point d’exploser. La journée va être longue… Ma quête porte enfin ses fruits, et je mets la pastille effervescente dans l’eau. J’attends qu’elle se dilue, sans bouger, sans penser. Je suis vraiment à côté de la plaque. Je bois le médicament. Et j’entreprends de nettoyer l’ignoble liquide gluant qui coule jusqu’au sol et tous les éclats de verre qui lui donne l’impression de scintiller. Je me concentre tellement sur cette tâche que je finis par sortir une demie douzaine de produits ménagers et par nettoyer, récurer et frotter toute la cuisine. Je range la vaisselle dans le lave-vaisselle et je le fais tourner. Je regarde ma montre, ça fait une heure et demie que je suis rentrée. C’est bien, le temps passe vite. Je me sers de nouveau un café que je bois rapidement, je me sens mieux. En voyant mon reflet dans la vitre de la fenêtre, je réalise que je suis toujours habillée avec ma robe, que je ne me suis pas démaquillée et que j’ai des cernes à faire peur. Je me dis qu’avec le maquillage qui a coulé, que je pourrais passer le casting pour un documentaire sur une famille de panda et qu’ils me prendraient sans hésiter dans le rôle de la maman panda tarée.

Je me déshabille et laisse tomber ma robe et mon string sur le sol. La magie de la ficelle disparait et je me fais couler un bain avec une tonne de mousse et m’enfouis dedans avec délice. J’y reste une bonne heure, et y sors totalement détendue. Je me sèche et j’enfile mon pyjama de grand-mère que m’a offert Lucas pour Noël car il moche certes, mais incroyablement confortable. Il est large et un peu difforme, en pilou violet qui le rend tellement doux ! Je suis certaine que c’est une idée de son père. Guillaume sait que je privilégie toujours le confort, quitte à paraître parfois ridicule. Puis je me jette sous la couette de mon lit et m’endors rapidement.

C’est la sonnerie de mon téléphone qui me réveille. Je ne sais plus où je suis ni quelle heure il est. Il me faut quelques secondes pour comprendre. La sonnerie du téléphone cesse et je regarde l’heure sur mon réveil, il est 14h12 et j’ai un petit creux. Et je me souviens alors que j’ai acheté une tarte aux framboises et une autre au citron. J’en salive d’avance. J’ai toujours eu un faible pour les pâtisseries surtout les lendemains de soirée bien arrosée. Je cours presque jusqu’à la cuisine et ne les trouvant pas, je me dirige vers l’entrée. Je ne les ai tout de même pas oubliés à la boulangerie ! Enfin je vois le petit paquet emballé. Et brusquement, je me souviens de tout ce que j’ai tenté d’oublier depuis mon arrivée. Je soupire. Je m’installe confortablement sur le canapé de mon salon, je prends mon téléphone et vois un appel en absence de Clotilde et allume la télé. Juste pour le fond sonore mais je ne regarde pas vraiment. Je décide de savourer mes tartelettes je rappellerais Clotilde après.

- Allô Marie ? C’est Clotilde ! Bien rentrée ? Alors petite cachotière, tu as disparu avec un bel inconnu hier soir ! Il faut TOUT que tu me racontes, je veux connaître le moindre détail.

Ma tête est encore lourde, cela fait longtemps que je n’avais pas pris une cuite pareille. J’ai les yeux qui pleurent, mes oreilles sifflent et chaque sonnerie de mon téléphone m'a donnée l’impression que l’on me plantait un poignard dans la tête. C’est pour ça que j’ai cédé, et que j’ai décroché après deux nouveaux appels de ma meilleure amie. Alors que je ne demande pas la lune, tout de même ! Je veux juste pouvoir finir mes desserts jusqu’à atteindre l’orgasme gustatif à défaut d’autres choses ! Mais elle est plutôt du genre têtu et surtout, inquiète, voire hypocondriaque pour les autres...

- Salut Clotilde. Arrivais-je à articuler.

Comme si elle sent ma mauvaise humeur se pointer, elle change légèrement de sujet.

- C’était vraiment une super soirée ! Qu’est-ce que je me suis amusée ! Baptiste a fait une touche ou deux mais il n’avait que l’homme « du métro » en tête et il nous a raccompagné lorsqu’on a vu que tu étais en bonne compagnie.

Je l’entends sourire, ou en tout cas j’ai vraiment l’intuition que c’est ce qu’elle fait pendant ce silence qu’elle décide de rompre comprenant que je ne répondrais pas tout suite.

- Moi aussi, j’ai une gueule de bois carabinée, mais je ne regrette pas. La soirée et la nuit ont été fantastiques. On a tellement peu l’occasion de se retrouver sans les filles… C’était comme au début. En plus, on a fait une grasse mat, on s’est réveillé vers midi. Ça devait bien faire une éternité que cela ne nous été pas arrivé.

- C’est vraiment bien Clotilde. Vous pouvez encore profiter un peu de vos vacances. Vous allez chercher les filles à quelle heure ?

- Vers 18h00 normalement, mais je vais voir avec ma mère si elle peut les garder une journée de plus ! Bon alors tu te décides à me raconter ce que t’as fait de ta nuit ? Ça ne doit pas être si terrible…

- Oh, ce n’est pas grand-chose. Le gars avec qui vous m’avez vu, m’a gentiment raccompagné chez lui… Il était sympa mais on était un peu pompette tous les deux...Alors qu'on est arrivé, comment te dire...

- Ne tourne pas en rond, dis-moi!

- Mais oui, je vais te le dire car je sens bien que tu ne vas pas le lâcher la grappe sinon!

- Je sais qu'inconsciemment tu n'attends que ça, ne me fais pas passer pour une commère alors que je te le demande pour ton bien.

- Bon on était là dans son salon et j’ai été prise d'une énorme fatigue. J'avais vraiment trop bu hier! Ce qui m'a vite rassuré c'est que lui n'avait plus l'air motivé non plus. Alors en grand gentleman il m'a proposé de dormir sur son canapé et il allait se coucher dans son lit!

Je ris du ridicule de la situation. Elle aussi.

- Tu as fait fort ma puce cette fois-ci ! Mais ce n’est quand même pas dramatique ! Ressaisis-toi.

- Attends ce n’est pas tout. Au petit matin je me réveille et je découvre une déco un peu vintage. Genre année 60, tu vois? Il y a avait même de la tapisserie au plafond…Pas un bruit. Ça m’a donné une drôle de sensation alors j’ai essayé de partir discrètement. Mais je l’ai croisé qui sortait de sa chambre et il m’a dit qu’il allait me faire un café. Je me suis retrouvée à la table de sa cuisine face à lui et j'ai réalisé que parmi toutes les babioles sur les étagères, il y avait quand même beaucoup de photographies de lui et d'une autre femme sur ses murs...

- Quoi le mec était marié? Attends tu ne vas pas me dire que sa femme était là aussi?!

- Mais non pas du tout! Qu'est-ce que tu vas chercher comme histoire! Il m'a rapidement dit qu'il s'agissait de sa mère!

- Ou-la-la. Dit-elle en détachant chacune des syllabes.

- Comme tu dis! Après m’avoir servi un café, délicieux, cela dit en passant, il me demande tranquillement, comme si de rien n’y était, de rester encore un peu avec lui pour qu’il me présente à sa mère car elle ne devrait pas tarder à se réveiller… Que ça l’arrangerait bien… Sinon elle ne le lâcherait pas du repas.

Clotilde éclate de rire et fais le cochon. Je l’entends appeler Paul.

- Non s’il te plait ne dis rien à Paul, je me sens assez minable comme ça !

Elle reprend son calme mais je la soupçonne d’avoir mis le haut-parleur.

- Bon après ? Qu’est-ce que tu lui as répondu ?

- J'étais encore sous l'effet de l'alcool, la situation me paraissait totalement surnaturelle alors je l'ai simplement remercié de m'avoir permis de dormir sur le canap et je me suis enfuie en courant! Mais c'est pas tout...

- Quoi, il t’a séquestré ou un truc comme ça ?

- Oh non, je n’ai même pas vu sa tête lorsque je suis partie. C’est juste que j’ai eu une soudaine envie de gâteau sur le chemin du retour et que je me suis arrêtée à la boulangerie au coin de ma rue. Et que je suis ridiculisée en beauté !

- Tu me fais rire avec tes envies de gâteau ! Allez, continue…

- Pour bien replacer l’évènement dans son contexte il ne faut pas oublier qu’il était un peu plus de six heures du mat, que j’étais sans doute encore saoule et surtout que par votre faute, je devais ressembler à une prostituée !!!

- Tu étais magnifique ! Disent en cœur Paul et Clotilde.

- Paul, la suite va être très gênante alors bouche-toi les oreilles !

Il rit en me jurant qu’il n’écoute plus.

- Mon dieu Clotilde ! Dans cette boulangerie, je devais sans doute encore sentir l’alcool à plein nez!

Je prends une pause de quelques secondes et continue. Clotilde m’encourage comme si connaitre la chute de mon histoire lui est vitale.

- J’ai donc pris deux tartelettes. J’avais vraiment faim ! Mais au moment de payer, je ne trouvais plus mon portemonnaie, j’ai du vider mon sac devant la boulangère et quand j’ai enfin mis la main dessus, une pièce est tombée par terre…

- Jusque là tout va bien non? T’es un peu maladroite mais c’est rien…

- Attends la fin! Je me suis penchée pour la ramasser puis d’un coup j’ai repensé aux capotes qui étaient dans mon sac ! Non mais quelle conne je fais ! Et la boulangère qui riait, j’ai commencé à paniquer. C’est là que j’ai entendu un rire d’homme! Je n’avais même pas vu qu’il y avait quelqu’un d’autre ! Et…

- Et ? Demande Clotilde n’en pouvant plus.

- En me retournant pour voir à quoi pouvait bien ressembler le type qui se foutait de moi, je me suis totalement vautrée à ses pieds à cause d’un de mes talons qui s’est cassé. Je me suis retrouvée les fesses à l’air… Autant te dire qu’il a du voir la lune. J'ai tellement honte!… Je ne devais ressembler à rien !

A ce moment je comprends que j’ai perdu Clotilde pour quelques minutes, elle n’a pas pu retenir un autre fou rire, ça ressemblait au brouhaha d’une partouze dans une porcherie ! Je pense même qu’elle pleurait ! Je prends mon visage dans ma main libre, comme pour trouver le moyen de survivre à toute cette humiliation. Des fois j’ai envie de me mettre des baffes. Paul saisit le combiné :

- Marie, c’est vrai que c’est « un peu » embarrassant mais dis-toi que tu as donné sans doute beaucoup de joie et de plaisir à cet homme ! Qu’est-ce qu’il devait être ravi ! Il rit à son tour.

Comme à son habitude, il essayait de me réconforter comme il pouvait mais il ne savait pas tout.

- Il y a autre chose… Dis-je avec une petite voix.

Les rires s’arrêtent d’un coup, et je sens que j’ai de nouveau toute l’attention de mon auditoire.

- Ce gars, c’est le père du meilleur ami de Lucas ! Je l’ai reconnu tout de suite. Il a dû me prendre pour une furie, une malade, une alcoolique ou bien pire !!!

- Frédéric ? Me demande Paul.

- Tu le connais ?

Je ne m’attendais pas à cette question. Ce peut-il que le monde soit aussi petit ? Bien évidemment ! On vit tous dans le même quartier, nos enfants vont ou iront dans les mêmes écoles, nous fréquentons les mêmes commerces etc… Pourtant, je n’ai pas croisé Fred souvent. Autant dire quasiment jamais depuis que nos fils sont amis, cela fait environ 2 ans.

- Oui, on fait du volley ensemble tous les jeudis soir ! Je le connais très bien, je pensais que Guillaume te l’avait dit.

- Ben non tu vois ! S’il te plait Paul, dis-moi s’il te parle de ce qui s’est passé à la boulangerie la prochaine fois que tu le vois.

- Pas de souci Marie, mais je te rassure tout de suite : ce gars est vraiment un mec bien. Il est droit dans ses bottes et très compréhensif.

- Tu n’aurais pas pu tomber sur un homme plus discret ! Au sens propre comme au figuré. Surenchérit Clotilde.

Elle rit. Je ne suis pas convaincu par ce que je viens d’entendre. Fred est le genre d’homme intimidant. Il est très grand me dépassant facilement d’une tête. Cela ne m’étonne pas qu’il fasse du sport vue sa carrure impressionnante. Il a des cheveux très courts et une partie de son crâne commence à se dégarnir. Les rares fois où je l’ai croisé au collège de Lucas, il était toujours en costume et il me fixait avec ses yeux perçants et son léger sourire à la commissure des lèvres me laissait perplexe. Je n’ai jamais su s’il se moquait de moi ou si je lui faisais tellement de peine qu’il compatissait. Il n’est pas très bavard contrairement à son épouse, et je ne sais jamais ce qu’il pense. Je repense à la fois où je les avais tous les deux rencontrés, et avec quelle impolitesse on s’était comporté avec Baptiste ! J’avais été tellement mal à l’aise lorsque Baptiste, ce grand nigaud, avait déshabillé du regard Fred en lui souriant bêtement et puis s’était mis à se moquer ouvertement de Lucie, sa femme. Elle ne s’était rendu compte de rien, trop heureuse de discuter avec nous. Et pour finir, ne tenant plus, j’avais bafouillé quelques excuses et nous étions partis comme des voleurs. Je réalise que de toute façon, il devait déjà me prendre pour une folle. Et je suis persuadée qu’avec ce qui s’est passé ce matin, la situation ne va pas s’arranger. Il a vu mes fesses. C’était tellement pitoyable ! Pourtant dans la boulangerie, il m’a semblé différent. Plus accessible. Sa tenue était sans doute plus décontractée. J’ai pu voir ses mollets impressionnants. C’est vrai qu’étalée par terre, la vue avait été imprenable ! Plus j’y pense, plus j’ai honte de moi. Je ne sais plus, j’ai les idées totalement embrouillées. Et pourquoi je pense à ses mollets ? Et pourquoi la pensée qu’il ait vu mes fesses commence à m’exciter ? Je suis une incorrigible grosse cochonne… Je dois me calmer. Il faut vraiment que je récupère de toutes ces émotions.

Je mets fin à la conversation avec mes 2 amis, prétextant une migraine et je raccroche heureuse d’avoir pu me confesser. Je me sens réellement plus légère. Amen.

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