Chapitre 14 - Les excuses.

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Nous avons rejoint Lucie chez ses parents dès le lendemain. J’ai prévenu Guillaume et les parents d’Anatole de venir  en début d’après-midi récupérer leur progéniture. Le trajet fût silencieux et interminable. Chloé et Mattéo étaient vraiment inquiets. Et pour tout dire moi aussi. Même si j’ai culpabilisé lorsque pendant une fraction de seconde je me suis dit que toutes mes emmerdes disparaitraient avec Madeleine. J’ai honte d’avoir pu penser ça. Lorsque nous nous garons, personne n’est là pour nous accueillir. Ce n’est pas bon signe. Nous nous dirigeons vers la grande pièce. Lucie s’y trouve, tranquillement assise.

- Ah bonjour les enfants, bonjour Frédéric ! Je ne vous avais pas entendu arriver.

- Bonjour Lucie. Comment va ta mère ?

- Elle est dans sa chambre, nous l’avons ramené à la maison ce matin. Les enfants, allez vous rafraichir à la piscine, je dois parler à votre père.

Et devant le regard inquiet de Chloé et Mattéo, Lucie rajoute :

- Ne vous en faites pas, Bonne Maman va bien, elle a juste besoin de repos.

- Je monte avec vous pour porter les valises, ne faites pas trop de bruit, il ne faut déranger votre grand-mère.

Lorsque je redescends, Lucie est en pleine discussion avec Charles.

- Ah Frédéric, ça fait plaisir de vous voir dans ses sombres heures…

Il me regarde l’air abattu. Je me dis que la situation doit être vraiment critique pour qu’il ne me lance pas sa vanne habituelle.

- Bonjour Charles. Dites-moi comment va votre femme.

- Elle est bout du rouleau… Dit-il dans un soupir.

- Père, tu es inquiet c’est normal mais les médecins ont été très rassurants. Mère était déshydratée, c’est pour ça qu’elle a fait un malaise. Ils ont dit qu’il fallait qu’elle se repose et qu’elle n’oublie pas de boire. Il faut faire attention à son âge !

- Ah, c’est plutôt une bonne nouvelle, non ?

Mon beau-père a la mine déconfite.

- C’est bien que vous soyez là Frédéric, que la famille soit réunie… C’est le meilleur remède pour ma chère épouse. Bon je vous laisse. Je vais voir les enfants.

Et il sort dans le jardin en soupirant. On dirait qu’il vient de prendre dix ans en une journée.

- Vous avez prévenu Pascaline ?

- Oui au début mère refusait, elle ne voulait pas l’inquiéter pour ces broutilles mais finalement je l’ai convaincu. Me dit-elle souriante.

Ça me fait plaisir. Je vois que Lucie fait preuve de bon sens. C’est un grand pas.

- Père a été contrarié de voir Mère appeler Pascaline ce matin. Mais finalement, tout s’est bien passé. Ma sœur a réagit normalement. Elle s’est un peu inquiétée au début mais elle a été vite rassurée par la suite…

- Ta mère ne lui a pas parlé de sa maladie ? De ses graves problèmes cardiaques ?

- Oh non… Lucie rougit. Tu sais elle ne sait même pas que je suis au courant... D’ailleurs Frédéric, je compte rester ici jusqu’à la fin du mois avec les enfants. Je trouve Père vraiment inquiet. Et je veux le décharger. Il s’occupe trop de Mère. C’est une charge trop importante pour lui…

- Je comprends… Je resterais avec vous cette semaine pour profiter un peu des enfants…

- Oh c’est une très bonne nouvelle. Je te remercie, je sais que ça te demande des efforts. Je te promets de bien me comporter !

Non ce n’est pas une très bonne nouvelle… Je n’ai pas vraiment le choix si je veux profiter de Chloé et Mattéo car la rentrée s’annonce très chargée et je risque d’avoir peu de temps à leur consacrer.

- Par contre, je devrais rentrer la semaine prochaine. Je ne peux pas m’absenter plus longtemps. Il faut que je sois au bureau, c’est impératif.

En sortant dans le parc, je me demande comment je vais survivre ici pendant une longue semaine. J’ai l’impression d’être un acteur qui joue une pièce de théâtre. Et qu’en plus je suis très mauvais. Mais finalement tout se passe bien. Madeleine a vite récupéré même si Charles semble toujours très inquiet. Ils ont inventé un moyen de communication télépathique avec Lucie. A chaque fois que Madeleine fait quelque chose, il regarde sa fille avec l’air d’un chien battu et elle lui répond avec un regard rempli d’amour et de compassion.

Mais il est vrai que ma belle-mère semble effectivement vouloir minimiser sa maladie car elle s’agace devant les attentions de son mari. Elle trouve qu’il en fait trop. Le dimanche suivant, c’est le jour de mon départ. J’ai un pincement au cœur en pensant que je ne vais pas voir les enfants pendant deux semaines. Dès le réveil, l’ambiance est morose. Comme tous les dimanches chez mes beaux-parents, nous devons aller à la messe. Ce qui participe grandement à la mauvaise humeur de Chloé et de Mattéo. Et peut-être un peu à la mienne.

La cérémonie se déroule invariablement de la même façon. Mattéo se gratte le nez pendant le sermon du prête. Chloé a mis discrètement ses écouteurs et Lucie regarde ses pieds. Et c’est avec un grand soulagement que nous rentrons une fois la messe finie.

Lorsque je charge la voiture avant de partir, Charles me rejoint.

- Frédéric, ça m’inquiète beaucoup que vous ne soyez pas très présent pour votre famille. Me dit-il.

Non mais c’est quoi encore cette histoire !

- Je ne suis jamais bien loin, ne vous inquiétez pas aussi pour ça. On fait ce qu’on peut Charles…

- Oui je le vois bien, Frédéric. Je ne vous juge pas. Vous êtes un bon père… Bon retour.

Il me sert la main et rentre chez lui. C’est étrange mais à l’entendre dire que je suis un bon père, j’ai eu le pressentiment qu’il me reprochait d’être un mauvais mari… Ah s’il savait, me verrait-il peut-être comme un saint !

La ville est quasiment vide, il n'y a plus un chat dans les rues. Beaucoup de petits commerces sont fermés pour cause de congés estivales. La circulation est fluide, il n'y a pas d'appel téléphonique intempestif et je peux travailler en paix. Ceux sont les meilleures conditions pour cela. Je préfère rester au bureau plutôt que d'être seul chez moi. Malgré cela, je suis devant mon ordinateur, incapable de me souvenir de la tâche que je voulais accomplir. Je pense à elle, à Marie. Et cela me rend profondément triste. Je ne cesse d'imaginer tout ce qu'elle peut penser de moi. Elle a été une bouchée d'air dans mon monde qui m'asphyxiait et je n'ai pas pensé un seul instant que je pouvais être le salaud de l'histoire. Et pourtant c'est vraiment ce que je ressens à ce moment, de tout évidence je le suis. Je ne sais pas comment sortir de ce merdier. J'ai peur, peur de prendre des décisions qui nuiraient à mes enfants, à Lucie, à Marie. Je suis tétanisé. Quoi que j'entreprenne je vais faire de la peine. Il est tard, je décide de rentrer, pour essayer de dormir un peu. Je suis fatigué de ces nuits blanches. En passant devant le boulangerie, j'ai un pincement au coeur. Elle est ouverte, elle ferme demain. Je me retrouve penaud devant la devanture en ressassant mes souvenirs. J'entre et y achète des pâtisseries pour Marie. J'en sors malheureux. Un bref instant je me suis dit que ça pourrait me servir d'excuse pour lui parler. Mais je suis à l'angle de sa rue. Elle est là sur son balcon. Il y a son chat qui me fixe intensément. Je recule de quelques pas pour ne pas être vu. Tout s'emballe en moi. Je repense à ma conversation avec Lucie, à mes enfants qui ignorent tout et j'abandonne toute idée de lui révéler la situation. Je me sens minable. Il n'y a vraiment rien à part mettre de l'ordre dans ma vie à commencer par m'excuser.

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