Chapitre 1- Le calvaire.

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 Baptiste et moi arrivons enfin devant mon immeuble. J’ai l’impression que cela fait des lustres que nous avons quitté le boulot. Comme si nous étions tombés dans une dimension parallèle, piégés dans une temporalité alternative qui nous faisait ressentir chaque seconde comme une éternité. Mais quel enfer cette journée ! Je n'ai plus aucun courage. Je veux juste mon lit, ma couette et dodo. Je fais l’effort considérable de prendre sur moi pour ne pas geindre à la vue de ma cage d'escalier. Cinq étages à monter, sans ascenseur. Quand ce calvaire se terminera-t-il ? Je prétexte vérifier le courrier de ma boîte aux lettres pour faire une pause avant d’affronter l’ascension ultime qui me permettra de rejoindre mon doux cocon. Je réfléchis vite à trouver une excuse tangible pour annuler cette soirée prévue depuis des lustres avec mes amis. Mais strictement rien de cohérent me vient à l'esprit. Comme si mon cerveau était lui aussi lessivé. Et si je chutais des escaliers pour me blesser ? Ça pourrait quand même mal finir cette histoire et je ne suis pas très téméraire. Non, il me faut trouver un truc qui ne soit pas vérifiable mais qui suscite la compréhension et la compassion. Et si je leur disais que j'ai mal au ventre, du genre la diarrhée. C’est vrai ça, je pourrais dire que c’est à cause du stress de cette maudite journée, et de mon transit si fragile. Très bonne idée ! Dès qu’on parle transit, ça met tout le monde mal à l'aise et généralement personne ne pose trop de question mais tous compatissent en silence. Je suis très fière de cette idée, je pense que ça a de grande chance de fonctionner. Je m’imagine déjà me coucher rapidement, au chaud, le cœur léger avec la certitude que j’aurais toujours des amis en me réveillant. Peut-être même que si je rajoute que je pense que c'est viral, Baptiste rentrerait plus rapidement chez lui.

- Mais Marie, tu m’écoutes ?

Mais alors là, pas du tout mon cher collègue ! Me dis-je intérieurement mais il ne faut pas qu'il s'aperçoive qu'il parle dans le vide depuis 5 minutes. Il pourrait mal le prendre. Et je n’aurais pas la force de subir une scène de sa part tant mon épuisement est général. Mais d'un autre côté que je pourrai très bien utiliser la situation pour introduire mon plan machiavélique.

- Excuse-moi Bat, c'est que je ne me sens pas très bien d'un coup...

Je prends une grande respiration et je fais la totale : mine hagarde, bras tombants, yeux de chien de battu. Je pense réellement que j’aurais pu être une actrice de renommée si je ne n'avais pas choisi la voie passionnante de la comptabilité... Mais quel brio!

- Tu te fous de moi c'est ça ? Me répond-il en me dévisageant, les yeux dans les yeux, comme s'il parlait à un enfant. A un tout petit enfant.

Baptiste est grand et fin. Il s’habille avec une grande élégance sans en faire trop. Chemise ou tee-shirt l’hiver, il portera toujours un costume bien taillé. L'été, le bermuda sera de rigueur. C'est son côté vieux jeu, un peu décalé. Il est brun, et il a les cheveux courts avec une mèche plus longue au sommet de sa tête. Il a la peau blanche et sa moustache fine au-dessus de ses lèvres lui donne un petit air de Clark Gable. Mais la caractéristique principale de Baptiste est qu’il est un grand romantique et il a un cœur d’artichaut. Cela fait cinq ans que nous sommes amis, et cinq ans qu’il est perpétuellement amoureux. Je crois que c’est un amoureux obsessionnel. Si ça se trouve, il pense que s'il n'est pas amoureux transis, il meurt. Quand il craque littéralement sur un gars, il n’ose jamais faire le premier pas et quand il se décide enfin, soit il prend un râteau et je le retrouve en miette, soit il fait « encore une fois » la rencontre d’un nouvel homme de sa vie et oublie totalement et instantanément tous les sentiments « foudroyants » qu’il éprouvait pour le précédent. En ce moment, l’homme de sa vie est l’homme dit « du métro ». Un jeune homme d’une trentaine d’années environ, qu’il croise tous les matins en partant au travail. D’après ses dires, il est aussi beau qu’un astre et sent le doux parfum du miel… Et oui rien que ça. Son romantisme à la con a une fâcheuse tendance à me rendre cynique. Parce que oui, Baptiste est comme ça. Il n’hésite pas à venir 10 minutes plus tôt devant la rame de métro pour être certain de ne pas le louper. Aujourd’hui, jackpot ! Le bel inconnu lui avait souri ! Il est irrécupérable. Et niais. Depuis qu'on a quitté le travail, il ne me parle que de ça. Chaque détail est minutieusement décrit et répété à un cycle soutenu. Il en parle encore et encore, à lui-même la plupart du temps et je ne peux pas en placer une. Je suis certaine que parfois il oublie que je suis à ses côtés. Mais en toute sincérité, même si ça m'agace, je suis heureuse de voir son enthousiasme et le feu qui brule en lui. C'est un passionné des histoires d'amour qu'il voudrait passionnelles.

Je l'ai rencontré pour la première fois, il y a cinq ans. J'avais décidé de répondre à une offre d'emploi juste à cause du nom qui m'avait fait rire: le cabinet Trique - expert comptable. Et suite à l'entretien ils m'avaient embauché. Donc le premier jour où j'ai commencé à travailler pour Monsieur Trique, j'ai été immédiatement assignée à Baptiste pour former le troisième binôme de l'entreprise. Au début, le courant ne passait pas entre nous. Il me dévisageait de haut en bas l'air réprobateur. Il faut dire honnêtement, qu'à cette époque j'étais au bord du divorce et que je ne faisais aucun effort pour me coiffer, me maquiller ou même m'habiller. Et de mon côté, il m'intimidait. Je lui adressais la parole que pour le stricte nécessaire et jamais je n'aurais pensé qu'un jour nous serions amis.

- Tu déconnes là ? Tu crois vraiment que je vais gober ton cinéma ?

- Mais je t'assure que je ne me sens pas bien... Dis-je avec une moue qui ne me convainc pas moi-même.

Il se dresse devant moi, l'index battant dans ma direction. Et non sans colère il me dit d'une traite :

- On en a bavé aujourd'hui au boulot, mais on a réussi à tout rendre dans les temps. On en a aussi chié pour rentrer avec la grève. OK, on a beaucoup marché, je sais que t'as pas l'habitude de l'effort physique mais justement ! Bouge-toi les miches, monte te préparer. Tu m'exaspères, si tu savais ! Si tu ne te prends pas en main maintenant, tu vas finir, seule, sans amis, bouffi par la flemme et aigrie... Donc si tu n'avais toujours pas compris tu n'as pas le choix ! Et s'il le faut, je t'assomme et je te porte sur mon épaule toute la soirée avec nous !

- Tu veux dire que je deviendrai comme un sac à main pour toi en quelque sorte ?

Je me sens idiote et il le sait. Je lui souris bêtement comme pour me faire pardonner mon incapacité chronique à entreprendre quoi que ce soit.

- Oui voilà mais tu sais dans un sac à main, on fourre bien ce qu'on veut donc tu devrais te méfier.

Mais je ne serais pas contre ! Pas par Baptiste bien sûr, mais j’en avais marre d’être perpétuellement en rut. Depuis mon divorce avec Guillaume, il y a 3 ans, j’avais expérimenté pas mal de plans cul, de coups d’un soir. Grâce à une application que Baptiste avait installée sur mon téléphone, j’avais découvert qu’on pouvait rencontrer quelqu’un, un peu n’importe quand. Au début j’étais émerveillée, c’était magique. Il suffisait de vouloir pour pouvoir. Et cette liberté que je n’avais jamais connue auparavant m’exaltait. Il n’y avait pas de prise de tête et aucune histoire sérieuse à gérer, seulement du cul, du cul et rien que ça. Donc, au début c’était sympa, je me sentais désirable. Mais au bout d’un moment, c’est devenu lassant. Passé l’euphorie de m’affranchir de certaines conventions, je me rendis bien compte que je n’étais pas satisfaite ni sur le plan physique ni sur le plan intellectuel. Le coït n’aboutissait que très rarement à un orgasme. Et pour être honnête, cela n’est arrivé qu’une seule et unique fois. Et je ressentis au fil de mes rencontres une frustration plus grande que celle de ne pas avoir de partenaire. J’ai toujours trouvé que la nature nous avait offert le plus beau des cadeaux avec le sexe et l’orgasme. De plus je suis d’un tempérament curieux sans vraiment de tabous sauf pour les trucs cracras et scato. Et je suis tombée sur des types parfois vraiment perchés ! Il y en a un qui voulait que je lui urine dans la bouche, et un autre qui a volé ma petite culotte dès qu’elle a touché le sol et est parti en courant. Bref, j’ai laissé tomber et j’ai désinstallé l’application infernale. Maintenant j’utilise Marcel, mon vibro, et cela fonctionne plutôt bien, avec un taux quasiment parfait de 100% de réussite d’envol direct au septième ciel. J’ai bien conscience des limites que ça pose, il me manque quelque chose. Mais rien n’est parfait. Au bout de toutes ces années de célibat, j’ai l’impression que trouver chaussure à son pied est impossible. Que ce constat même, rend la chose impossible car plus je suis frustrée, plus j’ai envie et ne pense qu’à ça, moins mes choix sont judicieux. C’est compliqué. Je ne suis pourtant pas difficile, je ne cherche pas une relation sérieuse, j’aimerais juste quelqu’un qui réponde avec un minimum de fougue à la mienne.

- Je trouve que tu as bonne mine pour une souffrante !

- Je t’assure que je me sentais mal tout à l’heure !

Nous avions enfin réussi l’exploit d’atteindre mon appartement. Et après une douche bien méritée, je m’accorde une pause auprès de Baptiste en buvant le bon verre de vin qu’il m’a si gentiment servi.

- Tu n’as pas trouvé les olives dans le frigo ?

- Si mais il faut dire qu’avec le temps que tu as pris pour te préparer, je n’ai pas résisté à la tentation de toutes les manger.

- C’est de bonne guerre, lui souris-je.

En effet, après avoir craché tout l’air de mes poumons, l’appel de la douche a été si intense que j’ai planté Bat dans la cuisine et je crois juste lui avoir dit : « J’en ai pour cinq minutes » alors qu'objectivement, les chances pour que je respecte cet engagement étaient quasiment nulles. Il le savait, je le savais, nous le savions.

Une fois dans ma chambre, la vision de mon doux et confortable lit me fit un effet hypnotique. Tant de confort, de chaleur et de bienveillance devant moi. Comment résister ? Évidemment, je me suis jeté dessus, et évidemment je suis légèrement assoupie. Ce soir, je ressens un peu l’accumulation de cette semaine difficile. Cela a été la course au boulot, j’ai eu l’impression que M.Trique n’est pas satisfait de mon travail alors que j’aimerais bien voir en lui un minimum de reconnaissance et puis c’est également la semaine sans mon fils, Lucas. Et il me manque beaucoup. Cela fait 3 ans qu’avec Guillaume, son papa, et mis en place la garde alternée. Mais j’ai encore du mal à me faire à son absence. C’est Hercule qui m’a sorti de mes rêveries en sautant sur moi. Il a grogné ou pété. Il fait souvent des drôles de bruits que je n’arrive pas toujours à identifier. Hercule est le chat pépère de mon fils, il a une fourrure épaisse et noire. Et semble, la plupart du temps vous prendre de haut. J’ai toujours l’impression qu’il me juge, il a une attitude moralisatrice qui m’exècre, je sens bien qu’il ne cautionne pas toujours mes actes et que parfois je le fatigue. Je le vois dans son regard avec ses petits yeux sermonneurs. C’est le chat le plus hautain que je connaisse, mais je trouve qu’avec le temps, il devient de plus en plus tolérant avec moi. Comme s’il s’était fait une raison. Il n’aime pas quand il y a du monde, et fuit le bruit à chaque fois. Souvent il vient se réfugier dans une de nos chambres pour s’endormir sous la couette. Il n’y a pas plus paresseux que lui. Il fallait que je me bouge les miches. J’ai peu de temps. Non pas que je craignais Baptiste, mais Paul et Clotilde devaient nous rejoindre d’une minute à l’autre. J’ai sauté dans la douche puis le moment inévitable est arrivé, j’ai dû trouver une tenue. Je ne me trouve pas particulièrement moche et pas spécialement belle non plus, je suis banale. Je suis plutôt fine, et je le dois à mon régime spécial « pas bien » qui correspond à tout ce qu’il ne faut pas faire pour avoir une hygiène de vie décente, et aussi sans doute à la génétique. Il m’arrive parfois d’oublier de me faire à manger quand je suis seule à la maison plusieurs repas consécutifs… Mais par contre quand l’appétit se réveille, il ne faut pas être dans les parages ! Une vraie petite cochonne. J’ai un petit faible pour les pâtisseries, et les courgettes. C’est un peu étrange, je sais. Je fume encore trop, même si j’essaye parfois d’arrêter, et les soirées entre amis sont souvent trop arrosées. Sinon à part ça, je pense être normale et équilibrée. Je ne suis pas très coquette au quotidien et je fais le strict minimum pour ne pas paraître négligée. C’est souvent l’objet de railleries de mes amis qui me traitent de feignasse. Je me maquille peu et je n’ai aucun complexe à aller en jean tee-shirt au bureau. J’aime le confort et surtout me sentir à l’aise. Mais ce soir, je n’ai pas le choix comme l’a dit Bat, je vais sortir quoi qu’il arrive alors pourquoi se priver d’une chance de tomber sur un gars qui me ferait du bien ! Alors je veux bien mettre l’option « mémère » de côté et privilégier l’esthétisme au confort ! Je décidais de porter une robe noire à manches courtes et décolleté discret. Elle est très moulante et plutôt courte. Je décide d’enfiler un string en dentelle noire. Ça m’arrive rarement mais le string a l’avantage immédiat de me faire me sentir attirante et d’une certaine façon puissante. J’appelle ça la thérapie de la ficelle. Même si pour le côté cochon, je n’ai pas besoin de lui, je pense tout le temps au sexe surtout depuis que je suis frustrée. Mais n’ai-je jamais cessé de l’être ? Je me suis mise un peu d’eye-liner et de mascara et hop ! Le tour était joué. Enfin ! Mon reflet me plu et me paru potable, je me suis sentie prête à affronter une foule en délire de mâles en surdose de testostérone ! Je sais que je me berçais de douces illusions…

- Elle te va bien cette robe ma poupée ! T’as bien fait de me faire poireauter une heure pour ce résultat.

- Si tu me dis qu’elle te fait virer ta cuti, je me change tout de suite ! Je n’ai pas envie d’avoir tous les gays à mes trousses…

Je n’assume pas d’avoir 35 ans et de devoir m’habiller en midinette dans l’espoir de trouver du réconfort dans les bras d’un homme qui m’ennuiera dès le tsoin tsoin terminé et que j’aurais, sans doute, envie de fuir comme la peste.

- T’es bête ! Je te dis juste que t’es belle, que tu n’as pas à avoir honte de ton corps et que c’est idiot quand tu le caches. Si au moins tu pouvais faire l’effort de te rendre compte de la chance que tu as ! Mais non, Madame la feignasse préfère se morfondre !

Ça sonne à la porte. Je repense à ce que vient de me dire Baptiste, je me sens bien. Il a réussi à m’arracher un sourire. J’ouvre, et Clotilde se jette sur moi et me fait un gros câlin et me serrant fort dans ses bras. C’est son truc à elle, les câlins. Et depuis la petite école où nous étions ensemble, j’ai appris à les aimer. Je trouve ça adorable et attendrissant. J’arrive néanmoins à éviter que le vin de mon verre ne se renverse sur sa jolie robe jaune pâle, en en buvant une gorgée.

- Tu es magnifique ma puce, cette robe te va à ravir !

Je lui souris mais j’ai envie de partir en courant, alors je bois de nouveau une gorgée de vin. Je crois vraiment que je déteste être au centre des attentions. Heureusement son mari, Paul, plus réservé vient à ma rescousse. Il m’offre une bouteille de champagne et m’embrasse, me demande comment je vais et comment s’est passée ma journée de travail. Il s’intéresse toujours au bienêtre des personnes qui l’entourent. C’est un homme sincère et tellement attentionné surtout lorsqu’il s’agit de Clotilde. Ils ont 2 petites filles de 8 et 10 ans. Elle me dit qu’elles sont chez leur grand-mère jusqu’à demain après-midi. Ce qui leur donne la possibilité de faire la fête jusqu’au bout de la nuit et de prendre tout leur temps demain pour retrouver leur force. Elle fait un clin d’œil à Paul amusé par tant de démonstration.

Clotilde et moi, nous sommes donc connues à l’école primaire. Cette école se situe dans le même quartier que nous habitons aujourd’hui. Cela nous plait de nous dire que nous sommes parfaitement sédentaires. Depuis nos 12 ans, nous ne nous sommes jamais quittées et nous n’avons jamais imaginé la vie autrement. C’est ma famille. C’est la blonde et moi la brune, les inséparables, les filles qui n’ont peur de rien, celles qui font les 400 coups et surtout celles qui peuvent toujours compter l’une sur l’autre. C’était elle qui avait trouvé les bons arguments pour me faire sortir des toilettes de l’école où je m’étais enfermée car je venais d’avoir mes règles pour la première fois et que ni la pionne, ni la directrice y étaient parvenues. Elle m’avait fait un gros câlin comme elle seule a le secret ! Et c’était moi qui l’avais consolé lors de son premier chagrin d’amour. Nous avions même vécu en colocation pendant 3 ans, pendant nos études. Nous avons vécu nos premières cuites, nos premières histoires de fesses, et nos premières histoires sérieuses ensemble. Clotilde est d’un tempérament extraverti et si je ne la connaissais pas depuis toutes ces années, je la prendrais pour une folle lorsqu’elle se montre câline. Elle fait de véritables « hugs » car elle est convaincue de leurs vertus apaisantes et réconfortantes, façon verveine en quelque sorte… J’ai adoré Paul quand elle me l’a présentée pour la première fois. Il était drôle et ne portait pas de jugement hâtif sur les personnes. Ce soir, quand je les regarde tous les deux, je sais qu’ils s’aiment comme au début de leur relation et peut-être même plus fort… Tout d’un coup, j’ai une boule au ventre, je me sens tellement seule. Et un peu nulle d’être jalouse de mes amis!

- Nous avons évité le drame tout à l’heure, Marie a failli nous planter ce soir ! dis Bat.

Sous les regards interrogateurs de Clotilde et Paul, il continue :

- Cette friponne m’a fait tout un sketch comme quoi elle ne se sentait pas bien …

Je me cache les yeux sous mes mains pour ne pas découvrir leur déception et pars en direction de la cuisine leur servir un verre. Il leur explique tout. Toute la journée de merde que nous avons passée, en commençant par tous les ennuis informatiques au bureau qui nous ont donné des sueurs froides. Les dossiers que nous pensions effacés, la joie courte de les avoir récupérés et le désespoir de finir de boucler les bilans avant la fin de la journée sachant tout le retard que nous avions accumulés. Lorsque je les rejoins au salon, je les vois se tordre de rire devant une parodie de Baptiste. Il imite à la perfection M. Trique. Clotilde a les larmes aux yeux et ne peut s’empêcher de faire le cochon. Moi aussi je pars dans un fou rire. A cause du son si indélicat qui sort malgré elle de son corps si distingué. Depuis que je la connais, elle a ce tic. A chaque fois qu’elle est submergée par une émotion, qu’elle pleure ou qu’elle rit, elle prend une grande inspiration et un son semblable au grognement du cochon se fait alors entendre. Baptiste l’imite à son tour et elle lui tapote gentiment la tête. Paul ouvre la bouteille de champagne qu’il a apporté. Et nous partons sur des discussions sur le boulot, les enfants et la bouffe. Nous sommes bien tous les 4. Les hommes se chambrent comme toujours. Paul s’étant habitué aux fausses avances de Baptiste, il le taquine à son tour sur ses amours imaginaires. Je prépare rapidement un plat de pâtes avec une sauce tomate basilique fait maison. Nous dinons dans une ambiance survoltée. La bouteille de champagne a été bue à toute vitesse et nous décidons d’ouvrir une autre bouteille de vin rouge avant de sortir.

  • Allez ! Il est l’heure, nous devrions y aller!

J’ai le malheur de vouloir porter des petites ballerines noires et plates pour sortir et je déclenche un tollé d’indignations.

- Mais ça ne va pas à la tête, tu ne vas pas sortir avec ces pompes de vieilles peaux ! Lâche Clotilde.

- Je vais te trouver une paire digne de cette robe et je peux t’assurer que tu les porteras quoi que t’en penses alors prépares-toi psychologiquement dès maintenant. Annonce Baptiste.

Il part en direction de mon placard à chaussures dans le couloir. Paul me prend par les épaules et me dit :

- Courage Marie, ce n’est qu’un mauvais moment à passer…

Il revient, une paire d’escarpin noir avec des talons d'une dizaine de centimètres dans les mains et en souriant jusqu’aux oreilles. Quelle tête à claque celui-là avec ses idées de hauteur ! En plus, elles me font tellement mal aux pieds ces saletés de chaussures ! Je tente une négociation :

- Ben voyons Bat, on sort pour danser non ? Je n’arriverai à rien avec ses talons ! Et puis on va vraiment finir par croire que je tapine… Je suis HAS BEEN je sais, et chaude comme la braise et j’assume ! J’ai besoin d’être stable, tu comprends? Avoir les pieds sur terre! Là avec ces trucs, je ne serai pas à l’aise et je passerai une mauvaise soirée. Tout ça à cause de tes idées saugrenues !

Il me regarde avec des yeux de chien battu et un sourire tendre. Je sens que je vais céder.

- Marie, tu déconnes. Et il éclate de rire.

- Ce soir tu vas mettre ces chaussures et je t ‘assure que tu ne le regretteras pas. C’est exactement ce qu’il te faut ! Et t’as oublié qu’on est là pour te retenir si tu trébuches. Dit Clotilde.

- Et puis honnêtement Marie, t’as pas besoin de ses pompes à talon pour te prendre une gamelle, tu y arrives toujours bien toute seule comme une grande!

Clotilde et Paul pouffent de rire et Baptiste me fait un clin d’œil et me donne un baiser sur la joue. Il a parfaitement raison au sujet de ma maladresse mais cela m’inquiète plus que me rassure lorsque j’enfile mes escarpins. Clotilde se jette dans mes bras et me serre très fort, elle est encore plus démonstrative quand elle est saoule.

- Sois forte, tu vas y arriver, ma lapine !

Et c’est vrai que je me sens prendre de la hauteur. Puisque je n’ai pas pu rester dans mon lit douillet ce soir, je veux au moins m’éclater, me changer les idées, trouver un homme et baiser comme des bêtes. C’est la moindre des choses.

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