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Dix-neuf heures cinquante deux.

Huit minutes avant que la bombe ne délivre son souffle de mort, que le feu de l’enfer ne morde de ses crocs enflammés la vie de toutes ces âmes innocentes, ou presque.

Dimitri, le corps voûté vers l’avant, ne bougeait plus, comme résigné à mourir et payer ses erreurs. Jamais il n’aurait cru que le passé le rattraperait à une telle vitesse pour l’engloutir sans laisser la moindre trace de son passage. Cette fille qu’il avait reconnue… L’ange de son apocalypse.

Jules et Babacar se faufilèrent à travers la foule affolée et retrouvèrent les Laville. Piotr les suivait à distance avant de se placer derrière son patron. Il lui posa une main sur l’épaule pour lui témoigner son soutien, chose qu’il n’aurait jamais osé faire quelques heures auparavant.

- Comment tout cela a-t-il pu arriver ?

- Dimitri, ce n’est pas le moment, râla Jules. Il nous reste moins de sept minutes pour trouver la bombe. Vous, Nicolas et Bab, occupez-vous du mobilier.

Les trois hommes se regroupèrent et se lancèrent sans attendre. Le mobilier représentait la moitié des fouilles à opérer et la panique des invités n’arrangeait rien. Piotr grimpa les marches deux à deux pour inspecter les décorations lumineuses et florales.

Plus que six minutes.

- Dimitri, les moyens et les grands volumes prioritairement. C’est un morceau de C4, il faut un minimum d’espace pour le contenir.

- Entendu Laville ! cria le Russe.

- C’est trop compliqué, il y'a des décombres partout, un vrai champ de bataille, grogna Babacar.

Jules fila à travers les couloirs. Le complice pouvait encore être dans les parages pour observer son oeuvre. L’image de la mère et de la soeur d’Alexandr en tête, il dévisageait chacune des personnes qu’il croisait. Au fond de lui, son intuition lui indiquait qu’il perdait son temps.

Alice filtra la foule avec sa mère sur le parking, sans succès. Cet événement ne regroupait que des personnes de plus de quarante ans, des riches et des hommes d’affaires. La complice d’Alexandr Balkichvski s’était envolée depuis longtemps, il n’y avait plus rien à faire pour l’instant.

Andreï se tenait en retrait, dans sa voiture, toujours à moitié inconscient. Ivana Kritovsk, à ses côtés, ne pouvait masquer son anxiété.

Trois minutes.

Jules serpenta entre les derniers convives encore paniqués et se lança dans la grande salle. Il regagna la salle des festivités et examina l’estrade. Rien. Piotr l’aida à soulever la table d’honneur et le grand vase tomba au sol. Les couverts heurtèrent aussi le sol dans un tintement aigu.

- Allez, on ne lâche rien ! hurla le juriste.

Sur le sol, de l’eau, de la nourriture et des vêtements. Des débris à perte de vue. Tous se réunirent au centre de la pièce, au milieu de cet enfer. Le temps défilait et pas la moindre trace de la bombe.

- Il faut dégager, maintenant, suggéra Piotr.

- Non, ce château est monument d’une valeur inestimable. Je ne quitterai pas ce lieu sans avoir tout mis en oeuvre pour le sauver. Jules, je ne comprends pas. Pourquoi tout ceci ?

Une grande inspiration et le juriste finit par partager le fruit de ses découvertes.

- Votre fils n’est pas mort Dimitri. Et nous sommes au coeur de sa vengeance qu’il orchestre avec sa complice.

- Impossible…

- Et pourtant, je vous dis la stricte vérité.

La nouvelle sonna le riche homme d’affaire. Le soutien de son fidèle homme de main lui confirma ce qu’il n’arrivait pas à admettre. Jamais il n’aurait imaginé un tel scénario. Lui qui avait souffert durant des années de cette perte tragique, cette lutte contre lui-même pour surmonter ce drame familial. Son armure se fendit, il tomba à genou.

Tous voyaient à présent un homme comme les autres, ses faiblesses exposées. Celui dont la réputation avait fait trembler bon nombre de ses adversaires était aujourd’hui réduit à néant. Il n’était plus personne. Ses partenaires l’abandonneraient s’il s’en sortait. La presse s’emparerait de cette histoire de vengeance, l’amplifierait pour le mettre un peu plus à genoux.

Tout était fini.

***

Les filles Laville se rapprochèrent du véhicule des Kritovsk. Andreï n’était pas en très bon point, mais il tiendrait jusqu’à l’arrivée des secours. Ivana se rongeait les ongles, son stress plus fort que tout. Les deux mère de familles se prirent dans les bras, un soutien dont elles avaient grandement besoin.

Alice sentit dans sa poche un papier. Elle sortit la photo et la présenta au couple.

- Pourquoi me montrez-vous une photo de cette femme ? interrogea perplexe la femme.

- Que fais-tu chérie ? Ce n’est pas le moment, tente d’intervenir Irène Laville.

- La reconnaissez-vous ?

Le ton insistant de sa fille la dissuada toute nouvelle intervention.

- Bien entendu, c’est Rosetta, notre femme à tout faire.

- Et quand l’avez-vous vu pour la dernière fois ?

- Je dirais hier soir si je me souviens. Andreï ?

L’homme confirma d’un mouvement de la tête avant de se redresser, intéressé par ce qu’il entendait.

- Mais où avez-vous eu cette image ?

Le dernière pièces du puzzle se mettaient en place. Alexandr Balkichvski avec une complice, une personne qui opérait au plus près de leurs cibles. Et qui de mieux que Olga pour l’aider à réaliser cette vengeance. Cette soeur qui avait aussi disparu des radars.

- Dans un appartement… Celui d’Alexandre et Olga Balkichsvki.

Alice devait prévenir Jules.

***

Babacar se précipita d’un coup vers ce qu’il restait de la table où Dimitri et ses invités avaient partagé quelques gourmandises et une coupe de champagne. Il poussa du pied quelques décombres avant de crier :

- Y’a pas d’eau !

- Quoi ? Mais qu’est ce que tu nous racontes, mec ?

- Y’a un vase pété, mais y’a pas d’eau ! Regarde les autres, c’est trempé de partout. Et le truc il est plus gros que les autres, j’te fous deux bombes dedans facile.

- Et alors ?

- C’est chelou Jules. Viens voir même, ça sent le pétard !

Le jeune homme marcha sur les détritus et se rapprocha de son partenaire. Accroupi, Babacar tenait un objet dans ses mains. Il se redressa avec lenteur et pivota vers son ami.

- Oh putain de merde, c’est le bordel mec.

Dans ses mains, l’engin explosif émettait un très léger son, à peine imperceptible. Le dispositif était bien trop complexe pour un novice, il n’avait aucune chance de le désamorcer. La bombe continuait de décompter le temps restant, inlassablement.

Moins d’une minute.

- Fonce Bab !

Avec de grandes foulées, Babacar s’élança à travers la salle. Tous savaient que ce jeune homme portait leurs futurs entre les mains. S’il échouait, aucun d’entre eux ne reverrait la lumière du jour.

Le Sénégalais perdit l’équilibre plus d’une fois, sans jamais trébucher au sol. Il était d’une vivacité exceptionnelle. Dans le couloir, il opta pour repasser par les cuisines, seul chemin qu’il connaissait vraiment. Son coeur battait si fort, ses jambes se raidissaient à chaque nouveau pas, mais il ne lâcherait pas, il irait jusqu’au bout de lui-même.

Dans la cuisine, il glissa sur un morceau de gâteau et laissa tomber l’explosif à moins d’un mètre de lui. Dix secondes, pas une de plus. Il bondit et attrapa la bombe à la volée. Le seuil de la porte-fenêtre franchi, il la jeta aussi loin que possible.

L’objet s’envola, mais percuta le toit du camion de livraison.

Au contact du sol, il y eut une décharge d’énergie et un bruit assourdissant. L’onde balaya tout sur son passage. La pierre du château jaillit en bloc, l’imposant véhicule s’embrasa avant de s’écraser sur un sol jonché de gravats. Un nuage de poussière se leva.

Jules déboula dans la cuisine à moitié détruite. Babacar était là, allongé sur le calage voici et bien amoché. Le juriste se précipita sur lui et prit son pouls. Il baissa la tête, une larme dévalant son visage… Une larme de soulagement. Bab avait survécu, une fois de plus.

- C’est qui le patron, souffla difficilement Babacar.

- C’est toi, mec, c’est toi le meilleur, répondit Jules son ami dans ses bras.

Il se releva au son des sirènes des pompiers, plus déterminé que jamais. Nicolas Laville prit le relai et incita son beau-fils à finir le travail. Tout cela devait cesser.

Un point final pour cette terrible histoire.

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