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Les pompiers éteignaient le feu à l’aide de leur puissante lance à eau. Les médecins s’attelaient à vérifier que les invités n’avaient aucune blessure grave. Babacar, masque à oxygène et allongé sur un brancard, défila en véritable héros. Les gens s’ameutaient pour le remercier alors qu’un policier fendait la foule pour évacuer le blessé. Andreï Kritovsk subissait aussi un bien complet.

L’ambulancier chargea Babacar. Il adressa un dernier signe du pouce à son meilleur ami et l’ambulance s’éloigna, gyrophare et sirène activés.

Les fumées noires grimpaient dans un ciel dépourvu de nuage. La lune brillait de mille éclats et les étoiles tachetaient cet espace infini, source des rêves les plus fous. Certains convives avaient pris congé de leur hôte, d’autres restaient sur place pour suivre le déroulement des opérations. Une solidarité que Dimitri Balkichvski n’espérait plus après cette réception qui avait sombré.

Nicolas Laville serra sa femme contre lui, heureux d’avoir survécu à cette vengeance diabolique. Il remarqua Dimitri, seul dans son coin, contemplant les dégâts qu’il avait provoqués, le retour d’un bâton bien trop gros pour un homme. Le capitaine marcha et prit appui sur 4x4 à côté de l’homme d’affaire.

- Rude soirée, n’est-ce pas ?

- À qui le dites-vous Laville. J’ai été une mauvaise personne durant de longues années, aujourd’hui le destin me fait payer les conséquences de mes actes.

- Vous êtes bien dur avec vous. Cette histoire dépasse tout le monde, qui aurait pu prédire que…

Jules appela les deux hommes avant que le capitaine ne puisse finir sa phrase. Il regroupa autour de lui les époux Kritovsk et Dimitri. Alice et ses parents attendaient un pas en retrait, très attentifs aux explications qu’allaient donner le jeune homme. Lucas était toujours en détention provisoire, sous la menace des autres détenus.

- Ce que je m’apprête à vous dire n’est pas choses faciles, j’ai moi-même eu du mal à les croire. Je n’ai pas en ma possession toutes les réponses, mais je n’irais pas par quatre chemins. Monsieur Kritovsk, commençons par vous. Alexian n’est pas votre fils biologique.

- Je vous savez mesquin, mais à ce point… Vos balivernes ne prennent pas, ce petit est la chair de ma chair. Sale enfoiré de mes deux.

- Il a raison… Dimitri est le géniteur de notre enfant Andreï, avoua Ivana.

- Quoi ?

L’homme, profondément blessé, se redressa avec difficulté. Son visage ne parvenait pas à dissimuler la colère qui brulait en lui. Il fit un pas et réfuta d’un revers de la main sa femme avant de s’éloigner, Piotr non loin de lui.

- Monsieur Jules, pourquoi avoir dévoilé cette information ?

- Balkichvski, si Alexian a été tué, c’est qu’il était ciblé par les responsables. Et ce n’est pas pour rien, il leur a leur vie, du moins c’est ce que votre fils, Alexandr, nous a confié.

- Mais…

Le colosse tourna la tête à droite, puis à gauche, à la recherche d’un point de repère, quelque chose auquel se rattacher. Il perdait pied, envahi par l’incompréhension et la stupeur. Ivana lui prit la main et lui caressa la joue pour le calmer.

Jules savait que le plus douloureux restait à venir, mais il ne devait pas ménager son vis-à-vis. Il chercha les mots qui blesseraient le moins le coeur de cet homme en perdition complète.

- Attendez, mon fils avez-vous dit ? Mais il est mort ! Il a chuté de la falaise et son corps n’a jamais été retrouvé.

- C’est ce que nous pensions aussi. Mais il s’avère qu’il a pris une fausse identité après avoir été recueilli dans l’anonymat : Philippe Congronet.

- Le collègue de mon Alexian…

- Exactement Ivana. Tout faisait partie d’un plan, chaque détail, chaque événement était planifié depuis des années. Ils vous ont observé pour tout savoir sur vous. Ils ont fouillé vos vies, déterré vos secrets les mieux gardés. Et l’opportunité de passer à l’acte s’est présentée.

- C’est impensable, inhumain…

- Vous n’étiez que des pions Ivana, certains devaient souffrir et d’autres mourir.

Le poignard s’enfonçait toujours plus profondément à chaque nouvelle parole. Un mal qui allait hanter le millionnaire jusqu’à la fin de ses jours. Il avait trahi son ami, abandonné sa famille et causé la mort de plusieurs personnes. Qui pouvait vivre avec un tel fardeau ? Cet homme là ne se relèverait plus.

Le capitaine Laville observait avec attention la scène. Il avait risqué sa vie durant des années pour lutter contre le grand banditisme. Lui avait eu la chance de sortir indemne de ces épreuves, bien que Lucas ne soit pas hors d’affaire. Il avait cherché un moyen de faire plier le célèbre Balkichvski sans y parvenir… Mais aujourd’hui, il éprouvait du respect pour le côté humain de son adversaire car lui n’aurait jamais supporté de perdre sa famille.

Jules inspira trois bouffées d’air qu’il libéra lentement.

- Dimitri, je dois vous prévenir que vous êtes toujours en danger. Votre fils avait un complice que je n’ai pas pu identifier.

- Moi si, intervint Alice.

Le juriste se tourna vers sa compagne.

- Rosetta.

- La femme de ménage ?

- Oui. Enfin, appelons-la par son véritable prénom aussi : Olga Balkichvski.

Cette nouvelle assomma un peu plus Dimitri. Il trébucha et finit par s’asseoir par terre, la tête entre ses mains tremblantes. Après tant d’années à se persuader qu’il n’avait plus rien, toute cette douleur à affronter pour se reconstruire, il découvrait que son fils et sa fille étaient encore en vie.

Cependant, leur retour n’avait qu’un seul but : l’éliminer.

Ivana était au bord des larmes. Elle n’osait pas s’approcher de son ami, et pourtant elle en mourrait d’envie. Lui avait été là pour elle à chaque coup dur. Elle fit un pas en avant et se plaça face au gaillard affaibli. Son mouchoir en soir entre ses doigts, elle lui sécha les larmes sur les joues.

- Dimitri… Nous devons arrêter Olga avant qu’elle ne disparaisse à nouveau. J’espère que…

- Allez-y monsieur Jules, faites ce que vous avez à faire, articula-t-il entre deux sanglots réprimés. Vous êtes un bon gars, continuez.

Jules saisit son téléphone. L’écran n’avait pas résisté, une belle striure au milieu traversait la vitre, mais le tactile fonctionnait toujours, un soulagement. Il devait contacter le lieutenant Dupuis pour l’avertir du départ imminent de la fille Balkichvski. Il ne pouvait compter que sur son ami et sa plaque pour le moment.

Il composa le numéro du flic et se mit à faire les cent pas. Le stress le dévorait, mais qu’importe. Après la deuxième sonnerie, il entendit l’agitation du commissariat en arrière plan.

- Oui Croquette, dis-moi ce que je peux faire ?

- Il faut interdire tous les vols sur Paris en partance pour la Russie.

- Rien que ça ? Tu ne voudrais pas non plus un million d’euros et un voyage au Bahamas au passage ?

- Si tu me le payes, je suis preneur. Sérieux, la complice d’Alexandr, ou plutôt sa soeur, est sur le point de quitter le territoire. Rappelle-toi la traduction du message en russe « « Sacha, mardi maison ». Sacha est le surnom du prénom Alexandr. Mardi et maison correspondent au jour et à la destination : ils devaient partir ce soir pour rentrer au pays.

Silence à l’autre bout de la ligne. Le bruit du stylo sur la papier permettait à Jules de savoir que Charles prenait des notes, un bon signe. Il se fiait à son instinct, une fois de plus. Le juriste finit par répondre :

- Je pars tout de suite à l’aéroport Charles de Gaulle. Il faut l’intercepter sinon nous ne la reverrons jamais. Son frère ne passera pas à table si nous n’avons pas de moyen de pression et Lucas restera enfermé.

- On se rejoint sur place, une unité d’élite t’attendra. Et surtout, tu n’interviens pas sans moi cette fois, mon gars.

- Tu me connais, j’adore respecter les ordres, ironisa Jules.

Il raccrocha et courut vers sa Clio aussi vite qu’il le put. Il rêvait de pousser le moteur de son automobile à pleines capacités. Près de sa voiture, il s’arrêta net. Il constata avec effroi que ses pneus avant étaient à plat. La gomme avait été volontairement lacérée. Il cria sa rage et mit un coup de pied dans la roue dégonflée.

- Ce n’est pas le moment ! Comment va-t-on rallier l’aéroport et empêcher Olga de prendre son avion, maintenant ?

- Ma Porsche devrait pouvoir vous rendre ce service.

Piotr et Alice apparurent dans son dos. Le juriste eut un large sourire lorsqu’il aperçut un jeu de clefs de la 718 Boxster pendre au bout de l’index du garde du corps. La jeune femme s’empara du trousseau et pressa le bouton. Un véhicule se déverrouilla non loin.

La fille Laville, déjà dans le bolide, fit ronronner le moteur de la décapotable. Jules tendit sa main vers Piotr. Ils se regardèrent dans les yeux, mais quelque chose avait changé. Le Russe lui donna une bonne poigne et laissa le jeune homme filer.

Devant la voiture, il fixa sa moitié et l’invita à prendre la place du passager d’un geste de la main.

- Oublie Croquette, c’est moi le pilote.

- Sérieuse ?

- Tu montes ou je pars sans toi, tu as le choix.

La Peugeot 508 SW du capitaine Laville s’arrêta à la hauteur de la Porsche. Un coup de Klaxon retentit et le conducteur baissa sa vitre passager pour alpaguer Alice.

- J’adore ce bruit. On ira plus vite avec mon gyrophare, vous me suivez ?

Il démarra en trombe et prit les devants, suivi de près par sa fille. Les deux véhicules s’éloignèrent dans la nuit et la lumière bleue disparut après quelques secondes. Tous espéraient qu’il n’était déjà pas trop tard, car chacun voulait des réponses à ses questions.

L’heure du dernier acte était arrivée.

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