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Laville avait profité du soleil, plus longtemps qu'il ne le voulait de base. Son journal à la main, il se résigna à reprendre du service. Il jeta le papier sur le comptoir de l'entrée où un bleu faisait ses classes jusqu'à la fin du mois. Badge passé sur le détecteur, les deux portes s'ouvrirent dans un grognement mécanique sur la fourmilière.

Les photocopieuses oeuvraient alors qu'un officier prenait la déposition d'une homme hurlant son malheur. Nicolas Laville sentit les vapeurs d'alcool à vingt mètres de lui. Son téléphone vibra. Il n'y fit pas attention, il savait que le commissaire l'avait vu rentrer au poste. Il l'attendait.

Marone avait une carrière exemplaire, trente cinq ans de bons et loyaux services. Pas une bavure. Pas un mot de travers. L'archétype du flic parfait. Aujourd'hui, il était porteur d'une calvitie prononcée chapeautant une tête ronde et des joues tout autant. Sa chemise menaçait de s'ouvrir au moindre faux geste, les boutons résistant tant bien que mal à la bedaine accumulée de l'homme.

Il l'attendait dans le cadre de sa porte.

Le bureau du commissaire était spacieux. Il l'avait aménagé de façon à garder un maximum d'espace pour y accueillir ses hommes. Son bureau faisait face à deux grandes armoires classe-tout de couleur grises fermées à clef. Un table supportait le poids inimaginable des dossiers en cours, dessinant un escalier irrégulier. Un palmier areca poussait entre table et armoire pour donner un peu de vie à cette pièce.

Marone ordonna les feuilles volantes éparpillées sur son bureau. Classées dans une pochette, il la déposa dans le tiroir de son module de classement orné de l'étiquette « à lire ».

Assis dans une chaise en chêne, Nicolas Laville attendait que le commissaire Marone cesse de faire les cent pas devant le store accroché à sa porte. L'appel qu'il avait reçu cinq minutes auparavant ne l'avait pas fait sourire, bien au contraire. Le poste de police du dixième arrondissement allait être pointé du doigt, mauvaise publicité à trois mois de la retraite.

Mains sur les hanches, c'était à présent la pointe du pied gauche du gradé qui frappait le sol avec tonus. L'homme ronchonnait dans son coin. Le commandant Laville avait déjà vu son supérieur dans cet état. Le calme avant la tempête le plus souvent. Il attendait patiemment, calé dans la chaise, les mains sur les genoux.

Marone finit par prendre place face à lui.

- C'est une sacrée merde mon vieux.

- Tu me parles du dossier dont on a hérité hier soir ? Tu m'étonnes. Le père est connu, il a un carnet à n'en plus finir.

- On se connait depuis un bail Nicolas, mais cette fois-ci, je suis pieds et poings liés.

Le visage de Laville s'éteignit à ces mots. Le commissaire ne manqua pas de constater ce changement. Ce qu'il allait lui annoncer lui fendait le coeur. Laville était l'un de ses meilleurs éléments, lui aussi avec une carrière à mettre en avant.

Le silence entre les deux, aussi court fut-il, alourdit l'atmosphère.

- Je dois te retirer du dossier Kritovsk.

- Mais pourquoi ? se révolta le flic. C'est incompréhensible. Le dossier vient à peine de...

La main de l'homme dégarni l'invita à se calmer. Il avait besoin que l'inspecteur maitrise ses nerfs le plus longtemps possible. Yeux dans les yeux il se lança :

- Ton fils est le principal suspect.

- Mon fils ?

- Oui Nicolas, ton fils, Lucas. Il a été vu sur la scène de crime. Il s'est enfuit en se soustrayant à un contrôle d'identité.

A chaque nouveau mot prononcé, Laville était un peu plus assommé.

- Les gars du laboratoire sont en train d'étudier les prélèvements ADN. Celui de Lucas fera parti du lot.

- C'est n'importe quoi !

Le ton monta d'un cran. La relation entre Marone et son subordonné s'électrisa.

- Nicolas, calme-toi.

- Non !

- Si tu continue, je vais devoir te mettre à pied ! En as-tu conscience ? Merde à la fin !

- Et bien fais-le !

Plus rien.

- Il existe trop d'éléments à charge contre Lucas pour que je reste de marbre, conclut Marone croisant ses doigts sur la table, la voix encore marquée.

L'homme présenta plusieurs documents pour donner du crédit à ses paroles. Impossible de nier l'évidence. Le silence s'abattit sur la pièce. Ni l'un ni l'autre ne surent que dire. Nicolas Laville restait bouche bée, le regard vide. Les paroles de son supérieur résonnait encore et encore. Son monde s'écroulait, son fils n'avait aucune chance de s'en sortir. Tout l'accablait.

- J'ai déjà réussi à négocier avec le patron du 36 pour garder le dossier. Heureusement qu'ils sont débordés avec le soutien qu'ils apportent à la brigade anti-terrorisme. Mais déjà qu'ils le pourront, ils reprendront les choses en main.

Laville redressa la tête, son regard s'anima de nouveau. La colère, c'est ce que Marone y entraperçut. Tout était à présent bien plus clair. Son gendre. Il lui avait menti, et possédait une longueur d'avance sur lui. Il lui payerait cet affront.

Une ombre s'approcha de la porte, toqua et tourna la poignée. Le commissaire fit un signe du doigt, l'homme le lui rendit. Laville n'eut pas de réaction. Déplaçant son imposante masse vers l'officier, celui-ci lui chuchota à l'oreille quelques mots. Une tape sur l'épaule et l'homme quitta le bureau.

- Laisse-moi être de la partie Victor. S'il te plaît.

- Je ne peux pas. J'ai reçu des ordres et ils ont été très clair là-haut. Le moindre écart et ils feront tomber tout le monde. Toi, moi, et n'importe qui s'il le faut.

- Je n'ai pas peur de ces truffes. Qui prend les commandes ?

- Charles et moi-même.

- Le petit Dupuis ? Il n'a pas l'expérience pour ce genre d'affaire, tu le sais.

Il ne répondit pas. Pauvre Laville, j'aimerais sincèrement t'aider. Il reprit avec le cas du fils.

- Lucas est en route. Je te demanderai de ne pas interférer dans le déroulement de l'enquête Nicolas.

- Vous m'emmerdez tous ! C'est de mon fils que l'on parle !

- M'as-tu compris ?

Le flic ne bougea pas d'un centimètre. Son visage était rempli de haine. Il aurait pu perdre le contrôle à tout moment s'il n'avait pas été un flic professionnel. Il se leva, posa ses mains sur le bureau et transperça Marone de son regard. Sa respiration était prononcée.

Il prit son arme, son badge et les déposa sur le bureau. Se levant et se retournant, Laville s'avança vers la porte sous le regard médusé du commissaire. La main sur la poignée de la porte, il marque un temps d'arrêt. Une larme coula le long de sa joue, s'écrasant sur le sol. Il n'y en aurait pas d'autre.

La porte s'ouvrit et l'inspecteur quitta le bureau.

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