Chapitre 16 partie 1

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La chevalerie dans le duché de Bade n’avait rien d’héréditaire pas plus qu’elle n’était associée à la noblesse. Les lois encadrant cet aspect de la société avaient été décrétées par le duc Bade lors de la création de son pays, dans les flammes de la guerre, après s’être taillé un morceau de civilisation au milieu des ruines calcinées d’un ancien empire effondré comme ce monde en a connu des centaines. D’abord, le duc avait fait de chacun de ses grands lieutenant et généraux des comtes, donnant à chacun un fief dont la taille équivalait à peu près au soutien qu’ils lui avaient fourni lors de sa guerre. Chacun avait baptisé son fief d’après son propre nom de famille, et en avait fait un domaine héréditaire. C’était là ce que le duché avait s’approchant le plus d’une aristocratie.

Les chevaliers eux étaient des brutes. La chevalerie en son sens le plus primaire. Des guerriers brutaux et valeureux, le type d’hommes à trancher des têtes et briser des membres s’il le fallait. Ce dont le duché avait le plus besoin. N’importe qui pouvait-être chevalier à condition de rapporter dix têtes de warzukas tués de ses mains. S’il pouvait prouver qu’il les avait tué, l’individu pouvait alors être enregistré par l’administration comme étant un chevalier. Dès lors, il devenait un combattant à plein temps, nourri et logé par son suzerain en permanence, en échange de ses services de guerrier professionnel. Mais il y avait une hiérarchie au sein même des chevaliers. On donnait du titre de maître à qui avait tué plus de cinquante warzukas, celui de champion pour une centaine. Bien entendu, les chevaliers étaient presque tous des cavaliers. Chargeant à travers la piétaille ennemie, il n’était pas si impossible de piétiner, écraser ou abattre plusieurs de ces redoutables créatures. Mais les chevaliers restaient en dépit de tout des exceptions, car en combat singulier un humain ne fait jamais le poids face à un orque. Jamais.

Arrogant comme seul peut l’être un maître chevalier, Hargis Tunmort arborait fièrement son blason primitif, hache et morgenstern de gueule placés en sautoir sur un fond de sable. Le blason était ce qui distinguait le chevalier de la masse des faibles. Son armure complète était rutilante, et son cheval bardé était comme un cuirassé chauffé au rouge, crachant fumée et vapeur par ses nasaux enfiévrés. Les plaques métalliques étaient ouvragées avec des plis esthétiques, supposés rappeler le froissement d’un habit. Son heaume large était surmonté de trois plumes rouges, et la visière était comme mouchetée par le petit dessin cramoisi qui permettait de le reconnaître, une petite reproduction de son blason.

Avec fierté il fit vibrer ses épaules pour entendre le rassurant tintement des spalières, et avec une maitrise qui était digne de lui, il fit faire volte face à son destrier pour lancer un regard bouffi d’orgueil sur ses preux gendarmes. La cavalerie de choc du marquisat, une des meilleure qui soit. Tous bardés des armures les plus élaborées et terrifiantes qu’on puisse concevoir. On aurait pu les prendre pour des titans faits d’acier. Il fallait une richesse incommensurable pour offrir un tel équipement à un tel nombre d’hommes. D’ordinaire, et même toujours jusqu’à quelques décennies plus tôt, le travail du métal n’était pas assez évolué pour faire de tels joyaux. Désormais, la gendarmerie, élite de cavaliers de choc, tous chevaliers, tous intrépides, brutaux et à moitié fous au moins, représentaient un véritable tsunami d’acier, de sabots, et de lances lourdes. Il n’avait pas fallu longtemps à l’humanité, depuis que Warzukan l’avait placée sur son monde, pour apprivoiser les chevaux et les utiliser à la guerre. Longtemps avant que n’apparaissent ces stupides inventions que sont l’arbalète, la bombarde ou même ces impotents lance-plomb, les humains savaient déjà que le point faible de leurs ennemis mortels était là. Les orques n’ont pas de cavalerie, et leur nature indisciplinée et assoiffée de sang les prive de la capacité à faire un usage raisonnable des lances et piques. Jamais l’on avait vu des warzukas former un schiltron. Toujours désorganisés et indécis, ils ne pouvaient rien face à la divine, la puissante, l’inarrêtable charge de cavalerie !

Derrière les chevaliers venaient leurs écuyers. Valets personnels, sur un cheval de rechange, portant les armes de leurs maitres, les lourde lances de guerre et la masse d’arme pour les corps à corps. Ils avaient eux même l’armement de coutiliers montés, une brigandine et une coutille, à savoir une large lame fixée sur une longue hampe. Les valets devaient non seulement fournir à leurs maitres ce qu’ils réclamaient quand ils en avaient besoin, mais surtout leur rôle était de passer derrière la charge pour achever tous les warzukas blessés ou mourants à terre, le plus rapidement possible, avant que les monstres ne récupèrent de leurs blessures.

Bien entendu, la charge ne viendrait pas tout de suite. Ils étaient embusqués, derrière la colline où auraient lieu les combats, de telle sorte que l’ennemi ne puisse les voir surgir qu’au dernier moment. Il fallait encore attendre que le combat s’engage sur la ligne, que les orques, entrainés par leur frénésie, laissent leur dispositif se déséquilibrer lui même.

Hargis aurait pu rester au sommet de la colline pour décider lui même de l’instant propice où ordonner à la cavalerie d’agir, mais c’était hors de question. Il lui manquait vingt quatre têtes de warzukas à récupérer pour être champion chevalier, et il ne manquerait cela pour rien au monde. Hargis était une brute. Hargis était un chevalier.

À la place, il laissa le soin de lui donner un signal à Gerthia Herzlich, la capitaine qui commandait le flanc gauche. Un estafette justement dévala la colline en courant, et vint jusqu’au général pour lui annoncer avec un salut empressé qu’il fallait qu’ils lancent la charge. Hargis, ne se soucia pas de la panique qui résonnait dans la voix du messager. Il s’en détourna avec un sourire.

Avec un tambourinement métallique, le général cogna son plastron de son poing ganté avant de prendre la parole devant ses camarades.

« Mes amis ! J’espère que vous êtes tous aussi excités que moi à l’idée de casser du vert ! Je le suis, personnellement. Je trouve qu’on est jamais habillé sans un peu de ce sang pour parer son armure. »

Les autres pensaient comme lui visiblement, puisque dans la troupe ils furent plusieurs à ricaner dans leurs casques.

« Vous sentez probablement tout comme moi leur odeur n’est-ce pas ? Ce que ces parasites peuvent puer ! Mais nous n’allons pas tarder à leur enseigner l’hygiène à grand coup de masse dans leurs crânes creux. Allons ! Prenez vos lances et allons empaler ces bâtards ! »

Son valet lui tendit sa propre lance qu’il ajusta sous son bras avec le flegme d’un expert. Les chevaliers prenaient tous leurs lances et les posaient sur l’épaule pour ne pas se fatiguer. La gendarmerie était prête à entrer en scène.

« Suivez moi ! Allons leur rentrer dedans comme dans le cul d’une donzelle ! »

Des centaines de chevaux se mirent alors au pas, pour subtilement contourner la colline. Le vacarme des combats commençait à se faire entendre. Le général, à la pointe de sa formation, jubilait, et faisait accélérer la cadence des pas progressivement. Son corps tremblait presque d’excitation en prévision du combat à venir.

« Formation triangle ! Hurla-t-il. Sus aux orques ! »

* * *

Alors que le général patientait à l’arrière, le début de la bataille s’était avéré peu concis. La formation pourtant était claire. Les lanciers parés à tout maitrisaient leur respiration tandis que se déversait déjà sur eux le flot de la haine venant d’en face, étouffant, précédant la matière physique des ennemis. Parfois, la chose prenait une forme moins figurative, car à peine étaient-ils capables de se voir que les warzukas s’étaient mis à beugler insulte sur insulte, se moquant sans doute du fait qu’on ne pouvait pas les entendre.

Sans poudre, cette bataille en était restreinte aux habitudes étranges des époques précédentes, de sorte que l’on ne puisse à aucun moment dire que la chose avait commencé. D’ordinaire, un premier coup de feu faisait les trois coups du début de l’acte. Point ici. Ici il n’y avait rien de tonitruant que les gémissements de hyènes que poussaient les gnolls en se tordant avec des tremblements, juste hors de la portée des arbalètes humaines. Il fallait ce long moment où les deux forces opposées hésitaient, s’approchaient, lentement, avec frayeur ou avec flegme. Attendant une pluie de tirs qu’ils savaient ne pas pouvoir esquiver. Une armée ne bougeait pas. L’autre marchait. La plus grande proximité du danger avait soudainement ralenti le rythme des hordes de Warzukan, essentiellement parce que les warzuks couinants, loin d’être stupides, rechignaient à recevoir les salves d’arbalète pour aider leurs grands cousins. Les orques les frappaient et en empalaient quelques uns sur leurs javelots afin de pousser le mouvement vers l’avant. Ainsi, il n’y eut pas non plus de grande salve d’arbalète pour marquer fermement dans les esprits où avait été signé le premier sang.

Il y eut quelques tirs envoyés au hasard par certains tireurs confiants qui se croyaient capables de toucher quelque chose à cette distance.

Il y eut quelques touches infligées, sans grand heurt.

Il y eut un léger reflux des gnolls qui toutefois vinrent à la conclusion que ces carreaux étaient peut-être moins dangereux que les lances des orques.

Alors quelques uns avancèrent, et en voyant que les tirs passaient à côté d’eux et s’écrasaient au sol, ils prirent de la confiance et la masse de poils de crocs et de lances rustiques se mit en branle. Au même moment les tireurs humains sentirent la peur les étreindre, car ils savaient qu’il fallait tirer au plus tôt pour infliger le plus de pertes possibles à l’ennemi, mais que si celui-ci était trop loin cela serait du gaspillage de munitions. Seulement, un mouvement se propagea et ils tirèrent. La pluie de projectiles faucha des gnolls. Ils refluèrent avec timidité, tombèrent sur les orques qui les poussèrent à avancer en leur flanquant des roustes bien senties. Et les gnolls de repartir en avant, cette fois sans se laisser intimider.

La bataille parfaite pour les humains aurait voulu que l’on fasse feu sur la masse de gnolls avec une bombarde, de sorte que les créatures se dispersent ou se débandent, même momentanément, ouvrant la ligne de tir des arbalètes vers les cibles plus importantes : les warzukas. Seulement, ici il n’y avait pas de bombarde. Alors les arbalétriers hésitaient à employer leurs munitions sur la masse faible de semi animaux.

Les gnolls sont des créatures aberrantes, tant dans leur apparence que dans leur fonctionnement. Quand Warzukan les a créés, il a forgé leurs cerveaux avec des contradictions flamboyantes qui clignotent comme des braises hésitantes toujours à s’allumer. C’était pour faire de cette race, la troisième que le dieu du feu ait créée, une chose qui ne soit ni totalement intelligente et cruelle ni simplement animale et placide. En conséquence, leurs esprits ne se trouvaient qu’être imprévisibles, pour tous et même pour eux. Un warzuk ignore totalement ce qu’il fera la minute suivante, tout comme il oublie ce qu’il a fait le quart d’heure d’avant. Ainsi, sans avoir un véritable instinct de survie, ils sont prompts à la panique et à l’irrationalité que cela implique. Deux pulsions aussi profondément gravées dans leurs esprits l’une que l’autre guident comme par ricochet la moindre de leurs réaction, et c’est à la fois le désir brutal de tuer et la nécessité de faire se répandre et se multiplier leur espèce. Ainsi, de tous, ils étaient les plus nombreux et les plus remplaçables, et c’est pourquoi depuis que les humains savent faire des arcs, les orques font avancer leurs armées avec une masse de warzuks pour les couvrir.

La horde s’approchait. La cadence des tirs s’accélérait. Jusqu’à ce que les carreaux deviennent une averse perforante, faisant à chaque coup hurler une bête velue. Mais les orques qui avançaient avec empressement derrière leurs esclaves furent bientôt eux aussi à portée, et les arbalétriers firent tous l’effort de les viser malgré l’océan de poils rouge qui les séparait de la verdâtre infestation. Les warzukas méprisant les tirs arrachaient de leurs chairs à main nue les carreaux qui s’y étaient fichés, serrant les dents et grognants de douleur. Les moins sages passèrent leur colère sur les gnolls innocents qui leur tombaient sous la main.

Pendant ce temps, les lanciers levaient leurs boucliers et leurs lances. Le flanc gauche de l’armée était constitué des miliciens les plus jeunes. Nombre d’entre eux ne portaient pour toute armure que de faibles gambisons qui, s’ils pouvaient arrêter les lances frustes des gnolls ou leurs crocs émoussés ne serviraient de rien contre une hache tranchante et lourde ; ainsi qu’un vague cabasset ou équivalent. Les jeunes hommes et jeunes femmes étaient pourtant presque rassurés de voir que ce qui arriverait en premier devant eux ne serait pas tout de suite les guerriers orques vociférants.

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