Chapitre III

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  Ouverture !

  Un couloir blanc circulaire aux parois incurvées. Une dizaine de mètres de longueur jusqu'à la salle des combinaisons pour les sorties extravéhiculaires. Et pourtant, comme un puits de lumière sans fond, tous les éclairages en fonction crachaient une lumière crue.

  Le silence, calme et pesant, comme une menace diffuse.

  Tom, aux aguets, s'écarta en faisant signe à Liz d'avancer. Progression en tiroir. Normal, chacun des équipiers avançant à tour de rôle pour couvrir la progression des autres.

  Passant en tête, Liz distinguait déjà le hublot carré sur la porte au bout du couloir, mais aussi autre chose : des tâches, sombres et diffuses, comme un voile malsain.

  Elle se figea. Kat, à son tour, avança à sa hauteur. Puis John et enfin Tom. Liz avança de nouveau après que Tom se fut figé en couverture. Sa visière ne lui indiquait aucun mouvement suspect, pas plus que sa vue. Elle se rapprocha doucement de la porte et tendit la main vers la commande d'ouverture.

  Avec un feulement discret, la porte glissa et ouvrit l'accès à la pièce suivante.

  Tout d'abord Liz ne distingua que de la poussière, blanche comme de l'os pulvérisé, et accumulée partout, dans chaque recoin et sur les équipements. Et le silence encore.

  Personne pour les accueillir, personne pour expliquer l'étrangeté de l'atmosphère et de la situation. Aucun des membres de l'équipe ne s'attendait à ce qu'ils allaient voir. Kat fur prise d'un haut le cœur.

  La poussière, si on pouvait finalement parler de poussière, était accumulée par endroits en une pâte sanglante mélangée à ce qui semblait être des morceaux de viande crue. Des morceaux de chaires mutilées de nature indéfinie.

  Enfin, de quoi d'autre pouvait-il s'agir que de chaire humaine ?

  Tous les membres de l'équipe furent pris de la même nausée que Kat. Liz en tête, faillit vomir la   première. La violence de la scène se grava instantanément et de manière indélébile dans son esprit, comme pour ses camarades. Leur assurance manqua de s’envoler en un instant. Maintenant il allait falloir se battre pour ne pas devenir fou.

  Les lumières endommagées grésillaient et se projetaient de manière malsaine sur les flaques de sang séché. Les projections sur les parois soulignaient une violence indicible et la fureur des coups portés. Par qui ? Par quoi?

  Par endroit des traces de mains ensanglantées traçaient d'horribles signes de mort et de terreur.

  Les cylindres de métal contenant les combinaisons avaient été éventrés et leurs contenus lacérés en lambeaux informes à peine reconnaissables. L'odeur acre du sang, et d'autre chose encore, n'arrangeait rien. Tout était chaos, terreur et mort.

  Kat respirait avec peine. Elle haletait et avait du mal à se calmer. Son regard accrocha soudain une forme familière et pourtant horrible. Un bras. Un bras arraché encore pris dans la manche d'une combinaison bleue. Un technicien surement, étant donné la couleur.

  Qui que se fut sa fin avait été violente. Peut-être avait-il ou elle essayé de fuir dans l'espace, mais en avait été empêché de manière définitive par quelque chose, ou quelqu'un…

  Pourtant seul le vide spatial l'aurait accueilli. Pas de navette de sauvetage pour récupérer qui que ce soit. Une mort moins douloureuse et moins rapide peut-être ? Un choix désespéré pour quelqu'un de désespéré.

  Et où était le reste du corps ?

  La respiration de Kat s'accéléra encore. Elle peinait à la contrôler. Tom s'en aperçut et augmenta son débit d’oxygène.

  • Doucement Kat. Calme-toi. On savait bien qu'on allait voir de drôles de choses. Mais c'est vrai… pas… ça !

  Les quatre équipiers, maintenant regroupés, observaient incrédules ce qui restait du carnage.

  Les mains se serrèrent un peu plus sur les armes. Les corps se tendirent, pendant que les holo-caméras montées sur les casques enregistraient la scène de cauchemar.

  Tom repris le contrôle du groupe.

  • Bon, on se reprend. On enregistre pour CentralCom et on avance. Inutile de vous dire de rester sur vos gardes. La saloperie qui a fait ça est certainement encore là.
  • Putain, même la prime ne vaut pas ça… lâcha Liz dans un murmure après s'être raclée la gorge. Ça promet pour la suite.

  John porta sa main à sa bouche dans un geste de dégoût manifeste devant l'odeur qui agressait ses narines.

  • Bordel, mais qu’est-ce qui a bien pu se passer ? Il était visiblement secoué et sous son casque il transpirait une peur irrépressible. Son teint avait pris une couleur grisâtre.
  • Chef, dites-moi que vous avez une idée et qu'on va gérer ça ?

  Tom ne répondit rien. Son visage était figé et il semblait impassible. Il avança d'un pas, enjambant un tas de tripes sanguinolentes qu'ils n'avaient tout d'abord pas remarqué. Le dégoût apparut sur son visage.

  • Allez, on avance. Inutile de philosopher, on a un boulot à faire. Pilote, mettez vous en attente à 1mn de la station. Nouveau contact dans 15 minutes. Vacation toutes les quarts d'heures. Accusez réception !

  Le silence. Personne en ligne.

  • Bordel il fait quoi ce con ? Mat ? Accusez réception. Ici équipe d'intervention 0-1-4. A vous.

  Tom s'énervait. Pas son genre de ne pas respecter les procédures radio. Les autres membres de l'équipe se sentirent glacés.

  • Putain… On avance. Pas le choix. On réglera ça au retour. Liz tu passes en tête.
  • Ok patron.

  Patron ? Pas son genre non plus à Liz ce genre de chose. Elle devait être salement déstabilisée.

  Elle s'avança vers la porte de la salle, impatiente d'échapper à l'odeur infecte qui les assaillait. Sang et excréments, tripes et chaires en décomposition avec en plus quelque chose d'indéfinissable et d'inquiétant qu'elle ne parvenait pas à identifier.

  Elle jeta un œil à travers le hublot installé sur la porte et activa l'ouverture. Pour le moment rien à signaler. Autant y aller de toute façon, il fallait avancer.

  La porte s'ouvrit dans le sifflement de l'air qui passe d'un compartiment à un autre, indiquant une différence notable de pression. Comme le soupir d'un mourant en fait.

  L'air vicié du compartiment suivant s'engouffra dans la salle qu'ils allaient quitter et mélangea sa puanteur à celle qui existait déjà. Putride, âcre.

  Les quatre équipiers ajustèrent leurs masques respiratoires et le débit de l'oxygène, mais un frisson glacé parcouru leurs corps alors qu'ils allaient pénétrer dans l'inconnu.

  Ils devaient quitter cette salle le plus rapidement possible, tous le sentaient, mais pour aller vers quoi ? La gorge nouée, ils avancèrent l'un derrière l'autre.

  • On ne se relâche pas. Intervalles 2m. Go.

  Tom essayait de garder la main. Il fallait donner des ordres précis pour ne pas perdre la tête et le groupe.

  Liz et Kat acquiescèrent de la tête. John ne fit aucun geste pour montrer qu'il avait compris. Il semblait ailleurs, sans pouvoir quitter des yeux le carnage qui s'étalait derrière eux.

  Liz avança d'un pas. Aux aguets. Tom couvrait sa progression tandis que Kat observait John qui perdait pied.

  • Chef, je me charge de John dit-elle. Il est en état de choc.

  Tom acquiesça d'un signe bref de la main.

  • Secoue-lui les puces. Pas de temps à perdre. Qu'il se reprenne ou je le laisse là.

  Tom et Liz étaient maintenant de l'autre côté du sas et se mirent en position de couverture.

  Kat s'approcha de John et lui posa la main sur l'épaule.

  • Eh, regarde-moi. Je suis là, reprend ton souffle, calme toi. J'ai connu ça tout à l'heure. maintenant ça va aller.

  John leva doucement les yeux vers sa coéquipière qui lui donnait le rythme pour bien respirer.

  • Voilà. progressivement, avec des mouvements amples. Ignore l’odeur, ignore le sang, fixe mes yeux. Ça va aller ?
  • Oui, je crois, répondit John dans un souffle.
  • C’est bien. Ecoute, nous aussi ça nous écœure, mais on ne peut pas rester là. Faut avancer maintenant. Ca va continuer de l'autre côté et ce sera sans doute la même chose dans toute la station. Il faut bouger maintenant, on peut pas rester là. Secoue toi et avance. Tu gardes en tête la mission et rien que ça. Sinon on est cramés tous les quatre. Compris ?

  En silence il fit signe qu'il avait compris et inspira un grand coup.

  • Vous arrivez ou quoi ? Pas le moment de prendre le thé ! dit Tom, impatient.
  • Oui chef, on arrive ! [Elle revint à John] C’est bon ?
  • Ouais.
  • Ok, alors qu'il passe devant toi, dit Tom.

  John affirma sa prise sur son arme et avança vers le sas. Kat suivit juste derrière.

« Kat… »

  Derrière elle, une voix désincarnée venait de dire son nom. Elle se figea instantanément. Tétanisée. Elle se retourna d'un coup, mais il n'y avait rien. Rien de plus que ce qu'elle avait déjà vu. Rien que du sang et des tripes éparpillées.

  L'écran de sa visière non plus ne détectait rien. Elle se mit à trembler violement, essayant de rassembler ses esprits. Ses yeux balayaient la pièce derrière elle en roulant follement dans ses orbites.

  Elle n'était pas folle, elle avait bien entendu son nom…

  Les trois autres membres de l'équipe s'étaient maintenant éloignés. Elle restait seule en arrière. La voix, aigüe, comme un murmure lancinant, repris de plus belle.

« Kat… »

  Non, elle n’était pas folle, elle avait parfaitement entendu. Son cœur sembla s'arrêter et une douleur fulgurante enserra sa poitrine. Elle respirait avec peine, comme après avoir couru à perdre haleine, et soudain un grésillement insupportable empli sa tête et son esprit…

  Tom l'appelait mais elle ne l'entendait plus, la voix de son chef couverte par ce bruit à lui percer les tympans.

  Sa vision se troubla, de plus en plus floue. Elle regardait mais ne voyait rien et elle sentait l'air vibrer autour d'elle, comme parcouru d'interférences. Soudain une tâche rouge se mit à grossir devant sa vision déjà altérée.

  Le grésillement gagnait en intensité. Kat porta les mains à ses tempes. A l’intérieur de sa tête, tout se bousculait, tout vibrait. Elle cru un instant que ses yeux essayaient de sortir de leurs orbites.

  Et soudain, en un éclair, le silence et le noir.

  Elle avait les yeux fermés et ne respirait plus. Pourtant elle savait qu'elle était toujours consciente. En inspirant violement, ses poumons s'emplirent d'air. Des mains invisibles ouvrirent ses paupières et elle aperçut alors un spectacle incompréhensible, totalement incongru.

  Au lieu de la scène de carnage qu'elle regardait quelques secondes encore auparavant, un immense écran holographique emplissait l'espace devant elle.

  Abasourdie, Kat se trouvait maintenant devant une console de la salle de commande principale.

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