Chapitre 30 : Celle qui accouche

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J’ai l’impression de tomber en arrière tellement mon soulagement est fort. Elle quitte la pièce à la recherche du gynécologue. Laura me rejoint et je lui explique.

La sage-femme revient avec le docteur. Ils me demandent si je sais pousser.

— Oui, en théorie.

La sage-femme me redonne alors quelques conseils et ils m’installent. Tout se précipite alors. Je pousse quand j’ai une contraction, même si je ne la sens toujours pas vraiment. Je ne sais pas si je suis efficace. La sage-femme m’encourage avec des encore à répétition. Laura me caresse les cheveux.

Le gynécologue annonce qu’il va utiliser la ventouse pour aider Lukas à sortir. Cela ne m’affole même plus. Je suis dans un état second. J’ai envie de voir mon bébé et je continue de pousser même si je ne sens rien de particulier dans mon corps. L’appareil de monitoring se met à biper. Je me mets à pleurer. Le docteur demande à la sage-femme ce qu’il m’arrive. Je n’ai jamais détesté quelqu’un de ma vie, mais à cet instant, je comprends ce que cela fait.

— Elle a peur ! répond la sage-femme sèchement.

Et si je n’étais pas si mal, j’aurais souri de la voir me défendre ainsi.

— Bébé n’aime pas trop l’accouchement, m’explique-t-elle. C’est pour ça que cela sonne.

Ses mots, loin de me rassurer, m’effraient encore plus.

— On essaie une dernière fois. Il y a une contraction, là. Poussez ! ordonne le docteur.

Malgré les larmes qui coulent sur mes joues, je tente de pousser aussi fort que je peux. Des bips retentissent de nouveau dans la salle.

Le gynécologue émerge d’entre mes jambes et m’annonce :

— On va devoir faire une césarienne d’urgence, madame. Vous comprenez ?

Son ton est grave, mais son visage serein. Pour autant, il se mettrait à m’offrir des fleurs que je ne l’apprécierai plus. Je le déteste.

— Oui… murmuré-je.

Laura me serre la main et me sourit.

— Ça va bien se passer, tente-t-elle de me réconforter.

C’est les seuls mots que nous avons le temps d’échanger avant qu’on lui demande de s’écarter. Je suis débranchée de certains appareils, transférée sur un autre lit. J’ai l’impression que tout se précipite. Cela fait des heures que je suis là, et soudainement, tous les professionnels autour de moi agissent avec empressement.

Césarienne d’urgence. L’expression aurait dû me permettre de comprendre. En moi, tout se bouleverse aussi. S’ils font ainsi, c’est qu’il y a un problème. Mon bébé va-t-il mourir ? L’anesthésiste m’injecte à nouveau du produit pour la césarienne. Je peine à suivre tout ce qu’il se passe. On me déplace dans une nouvelle salle. L’agitation autour de moi se calme alors que le docteur s’installe. Quelqu’un, je ne sais même plus de qui il s’agit, m’explique que quand le docteur va réaliser l’incision, il va toucher l’estomac où je ne sais quoi et je vais avoir envie un haut-le-cœur. C’est normal, apparemment. J’acquiesce, mais les mots sont confus pour moi. J’ai l’impression d’être dans un rêve. Ou plutôt un cauchemar.

Une petite fenêtre laisse passer la lumière du soleil dans la salle d’opération. Mon regard se porte sur celle-ci. Loin du docteur qui m’incise. C’est une belle journée pour naître. Il fait beau.

Malgré les avertissements, je suis surprise par la subite nausée qui m’assaille. L’infirmière me rassure avec des mots apaisants. Je ne l’entends pas et reporte mon attention sur la fenêtre.

Les ongles plantés dans les paumes alors que mes bras sont étendus loin de mon corps, j’attends.

Enfin, le docteur se redresse, le bébé dans les mains. Il le confie à la sage-femme qui me le montre.

— Vous avez vu ? Il est blond, me fait-elle remarquer.

J’acquiesce, une boule dans la gorge. J’ai dû enlever mes lunettes pour l’opération et le peu de cheveux que je vois ne me semble pas si blond que ça. Mais ça y est Lukas est arrivé.

La sage-femme l’emporte. Pour les soins, précise-t-elle. Dans ma tête, un signal d’alarme résonne. Je reporte mon attention vers la fenêtre et je réalise. À aucun moment, je n’ai entendu mon fils crier.

Le docteur annonce qu’il a retiré le placenta et qu’il va refermer. Tout ceci m’indiffère. Je n’ai qu’une question au bord des lèvres, mais j’ai tellement peur de la réponse que je n’ose pas la formuler.

Je fixe scrupuleusement la lumière du soleil. Elle est si jolie. L’équipe médicale parle autour de moi. Pourtant, je n’entends rien, mes oreilles à l’affut d’un cri beaucoup plus perçant. Ils m’auraient prévenu tout de même si Lukas avait un problème, non ?

Je mords mes lèvres puis tourne la tête vers l’infirmière. J’inspire et dans un filet de voix demande :

— Il va bien ?

Elle me sourit gentiment.

— Oui, ne vous inquiétez pas. Ma collègue est en train de faire les premiers soins et vous le reverrez juste après.

Mon cœur s’illumine de l’intérieur. Il va bien. Il va bien. Il va bien. J’ai beau répéter cette litanie, la joie m’enflamme et je suis loin.

Le docteur annonce alors qu’il a fini. L’infirmière poursuit :

— Habituellement, quand la maman est en salle de réveil après la césarienne, le papa prend le bébé en peau à peau… Voulez-vous que nous demandions à votre amie ? On peut mettre Lukas en couveuse sinon…

Laura voudra-t-elle s’occuper ainsi de mon bébé ? Elle qui n’a jamais voulu d’enfant.

— Demandez-lui si elle veut le faire…

Et sur ces mots, mon esprit rassuré et épuisé s’éteint. Je m’endors sans même revoir le visage de mon fils.

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