Chapitre 31 : Celle qui rencontre son fils

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Je peine à ouvrir mes paupières lourdes. La lumière blanche de la pièce où je suis m’agresse. J’aperçois quelqu’un sur une chaise proche de moi. Une infirmière me sourit, elle me parle et j’acquiesce. Où est Lukas ? Dans mon cœur, un trou béant s’est installé. Mon bébé…

L’infirmière me transporte jusqu’à une nouvelle salle où je retrouve Laura. Et blotti contre elle, il est là. Je peine à respirer en le voyant enfin. Seul le sommet de sa tête est visible, mais déjà le soulagement m’envahit.

— Il s’est endormi, m’explique Laura d’une voix douce. Tu vas bien ?

J’opine de la tête, mon regard toujours rivé sur ce petit être. Incapable de comprendre que cet individu a été fabriqué dans mon ventre. C’est donc ça le miracle de la vie.

— Ça va ? me demande Laura.

J’acquiesce encore, une boule empêchant les mots de se former.

— Tu veux le prendre ?

Je secoue la tête, prise d’une panique soudaine. Ma meilleure amie écarquille les yeux.

— J’ai eu peur aussi. C’est la sage-femme qui l’a installé dans mes bras.

— Il dort… Je ne veux pas le déranger.

Elle n’insiste pas plus, mais je vois à son regard qu’elle ne comprend pas. En réalité, je ne comprends pas non plus. Je devrais me précipiter sur ce petit être que j’ai attendu toute ma vie. La peur me paralyse. Il est tellement beau, tellement fragile. Et si je m’y prenais mal, et si je n’étais pas faite pour être mère. J’ai forcé le destin en décidant d’être mère célibataire. Pour qui me suis-je prise ?

— Caro et Cathy sont arrivées à l’hôpital. Elles ont hâte de nous voir.

Nous voir ? L’horreur m’envahit. Il est vrai qu’on les a prévenus plus tôt, mais les voir maintenant ? La sage-femme semble deviner mes pensées, car elle intervient à ce moment :

— Vous êtes fatiguée. Vous pouvez aussi leur dire de revenir demain. Les visites le premier jour, c’est pas évident, assure-t-elle. Vous avez besoin de prendre du temps pour vous et votre bébé.

Je jette un coup d’œil en direction de Laura qui ne dit rien.

— Elles peuvent venir, mais pas longtemps…

Laura acquiesce avec un sourire.

— Elles comprendront.

Nous sommes installées dans une chambre. Individuelle, je constate avec soulagement. Je ne me sens pas l’énergie de partager ces premiers moments avec une autre maman et son enfant.

Caro et Cathy débarquent presque immédiatement dans la chambre. La sage-femme a installé Lukas dans un berceau transparent à mes côtés. Elle lui a mis la tenue que j’avais prévue pour son premier jour. Son pyjama en velours blanc parait si grand sur lui.

— Il est beau, s’enthousiasment les filles.

— C’est vrai que par rapport aux autres bébés, il est plutôt mignon, renchérit Laura.

Il n’est pas mignon, il est parfait. Son petit nez en trompette, ses cils fermés qui soulignent la délicatesse de ses traits. Sa bouche rose si bien dessinée. Jusqu’à ses minuscules doigts. Une vague d’amour m’inonde.

— Qu’est-il arrivé à la Laura qui déteste les enfants ? s’étonne Cathy.

— J’ai porté ce petit bonhomme contre ma peau pour ses premières heures. Je crois que ça nous a rapprochés, explique-t-elle avec un haussement d’épaules.

Je la regarde avec envie. Elle a partagé plus de moments avec mon fils que moi. Aurais-je dû refuser qu’elle fasse le peau à peau ? Non. Cela aurait été égoïste de priver Lukas de compagnie par jalousie.

— Ça va, toi ? me demande Caro. T’es bien silencieuse.

— Je suis fatiguée.

Elle n’insiste pas, mais elle continue de me regarder.

— Tu n’as pas vécu un accouchement facile. On ne va pas s’attarder et on va vous laisser vous découvrir tranquillement, me rassure Cathy.

Elles m’embrassent et s’en vont. Quand la porte de la pièce se referme derrière elles, les larmes me montent aux yeux. Mon regard se porte sur Lukas. Mon fils, tenté-je de me persuader. Mais rien à faire, je n’arrive pas à croire qu’un être aussi parfait soit le fruit de mes entrailles.

La nuit tombe sur l’hôpital. Et avec elle, le silence. Entrecoupé de pleurs de bébé. A chaque fois que l’un d’entre eux résonne, je me fige. Et si c’était Lukas ? Vais-je le reconnaitre ? Serais-je capable de m’occuper de lui ?

Je l’observe avec appréhension. Il dort toujours aussi paisiblement dans son berceau. Je n’ai même pas osé poser la main sur lui. Je mords ma lèvre. Est-ce que toutes les mères se sentent ainsi ? Ou suis-je déjà une mauvaise mère ?

Quand des pleurs retentissent à nouveau, je sais que c’est lui. Je m’assieds dans mon lit, tentant de me tourner avec la perfusion qui me gêne. Je ne sais pas trop comment me mettre, je dois me pencher pour le saisir, mais je n’ose pas encore bouger avec la césarienne.

Affolée, je me mets à pleurer et appuie pour appeler l’infirmière. Celle-ci arrive peu de temps après. Elle me rassure et me donne Lukas. Sa peau contre la mienne, j’inspire son odeur. Même elle est parfaite. L’infirmière m’aide à l’installer au sein et alors que je nourris mon enfant, je réalise enfin que c’est le mien.

Ce moment hors du temps me fait oublier cette journée interminable que je viens de vivre. Quand Lukas est rassasié, je parviens à le glisser dans son berceau que l’infirmière a rapproché et je m’endors paisiblement.

***

— Entrez ! crié-je alors que des coups retentissent sur la porte.

Je continue de le dire, mais j’ai bien remarqué que les infirmières entrent même si on ne répond pas. Je retiens un soupir. Entre les infirmières, les sages-femmes, l’auxiliaire de puériculture et le gynécologue, je suis rarement seule. D’autant plus que j’ai reçu plusieurs visites aujourd’hui. Je lève finalement le nez de Lukas et reste stupéfaite. Devant moi se tient Gabriel. Il passe une main dans ses boucles brunes et me sourit timidement. Il me tend un bouquet de fleurs sèches.

— Bonjour !

Je lui réponds machinalement et saisis le bouquet en me demandant où je vais bien pouvoir le mettre.

— J’ai appris que tu étais à l’hôpital et j’ai voulu te rendre visite. Je me suis dit que tout le monde apporte un cadeau pour le bébé, mais jamais pour la maman. Et comme, c’est des fleurs séchées, pas besoin de vase !

Le sourire qu’il me lance me touche.

— Merci… Je suis désolée, je ne t’ai même pas averti que j’avais accouché.

Il hausse les épaules en s’approchant de Lukas.

— Pas de problème, tu avais d’autres choses auxquelles penser. Bonjour toi, murmure-t-il à Lukas qui l’observe de ses grands yeux bleus. Quand j’ai vu ton nom parmi les patientes, j’ai voulu te faire la surprise.

Il relève la tête vers moi.

— J’espère que tu ne m’en veux pas.

— Pas du tout, c’est gentil, le rassuré-je.

— L’accouchement s’est bien déroulé ? Tu vas bien ?

Je grimace. Pas vraiment. Je n’ai pas forcément envie de rentrer dans les détails avec un homme que j’ai fréquenté, mais, en même temps, il s’agit de son métier. Après quelques explications hésitantes, je finis par tout déballer.

— Ma pauvre, soupire-t-il à la fin. La césarienne d’urgence peut être traumatisante… N’hésite pas à en parler au docteur… ou à la sage-femme, ajoute-t-il en me voyant grimacer.

Il a bien compris que je n’ai pas trop apprécié le gynécologue qui m’a accouché. Il n’a pas commenté pour autant.

— Il te ressemble, reprend-il.

— Tu dis ça pour me faire plaisir, je marmonne. Tout le monde me l’a dit aujourd’hui.

— Tout simplement parce que c’est vrai.

Je secoue la tête.

— Il est bien plus beau que moi ! Il est… parfait !

— Pour toi peut-être. Mais je t’assure que je te trouve belle aussi ! Parfaite !

Sa voix se fait plus grave et ses yeux bleus capturent les miens. Aucune lueur de malice ne brille dans son regard. Je frissonne puis m’esclaffe.

— Belle ? Tu as vu mon pyjama ?

Je désigne mon fabuleux ensemble gris et blanc en coton.

— Tu es magnifique, Athéna ! Quoique tu portes ! N’en doute jamais !

Incapable de répondre, j’acquiesce. Il s’avance vers moi et glisse une mèche de cheveux blonds emmêlés derrière mon oreille.

— Je sais que nous ne sommes pas censés être plus que des amis. Tu as un bébé maintenant, mais rien n’y fait. Je ne cesse de penser à toi. Ton rire me manque. Ta maladresse me manque. Ton sourire me manque. Tu me manques, Athéna ! Je… Si tu es prête à me laisser une place dans ta vie et dans celle de Lukas, je ferai tout pour en être digne.

Je scrute mes mains sur le drap blanc, mon fils emmitouflé dans son plaid bleu. Je crève d’envie d’accepter. Cela fait des mois que je rêve d’une telle déclaration. Je mordille ma lèvre et lève mon regard vers Gabriel.

— Tu veux faire partie de notre famille ?

Il hoche la tête avec sérieux.

— Je t’aime et je sais que Lukas est ce qu’il y a de plus précieux dans ta vie désormais. Je veux partager chaque instant avec toi, bon comme mauvais.

Je m’approche autant que je peux vers lui, je me serai bien élancée dans ses bras si je n’avais pas cette fichue cicatrice. J’approche ma bouche de la sienne.

— Je t’aime Gabriel. Moi aussi, j’ai envie d’être avec toi.

Son souffle chaud brûle mes lèvres d’anticipation. Pourtant, quand nos bouches fusionnent enfin, je frissonne. Notre baiser a le goût du bonheur. Après toutes ces hésitations, nous nous laissons enfin une chance d’être heureux. Des larmes coulent le long de mes joues et quand le sel parfume notre baiser, Gabriel s’écarte. Je grimace.

— Les hormones, désolée.

— Pas de problème, assure-t-il en essuyant les traces humides qui sillonnent ma peau.

Son ton convaincu me fait miroiter un avenir où les problèmes justement resteront à la porte de notre petite famille.

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