Chapitre 13 : Celle qui est baby-sitter

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Lorsque j’arrive chez Caro, je la trouve habillée d’une robe ample noire, sûrement pour dissimuler le poids qu’elle n’a pas encore perdu après la naissance de Gustave. Elle est maquillée, mais ses cernes transparaissent au travers du fond de teint.

— Merci Athéna ! Sans toi, on aurait dû annuler…

Son sourire montre son soulagement. Je n’ose pas lui demander si elle dort.

— Y a pas de quoi. Puis ça va me servir d’entrainement !

— Oui, enfin heureusement que tu vas débuter avec un. Matt est avec Lena. Elle prend son bain. Gustave vient de téter, il fait une petite sieste. Il devrait se réveiller d’ici une heure. J’ai tiré mon lait dans un biberon. J’espère qu’il va le boire.

Caro continue de m’abreuver de consignes variées. Lena mange ça. Gustave ne s’endort pas avant telle heure. Sa voix sonne inquiète. Je finis par la stopper.

— Caro, ça va aller. C’est pas la première fois que je garde Lena et c’est pas pour toute la nuit… En plus, vous n’allez pas très loin… Et je t’appellerai en cas de problème.

Elle prend une grande inspiration, hésite puis lâche :

— T’as raison, je suis ridicule.

— J’ai pas dit ça non plus… J’imagine que c’est toujours stressant de laisser ses enfants la première fois. T’as pas encore fait garder Gus ?

Elle nie de la tête. Des éclats de rire me parviennent depuis la salle de bain et je vois passer une Lena enveloppée dans une serviette telle un nem dans les bras de Matt. Des piaillements excités percent depuis les chambres. Caro passe une main dans ses cheveux, défaisant presque le chignon qu’elle a façonné sur sa tête.

— J’espère qu’ils vont pas réveiller Gus…

Une furie à deux pattes se jette entre mes jambes.

— Tata Théna !

Je déloge la poupée brune pour claquer un bisou sur sa joue.

— Salut bichette ! Prête à passer la soirée avec moi ?

— Oh oui ! me dit-elle avec enthousiasme.

Ses yeux bruns pétillent de malice tandis qu’elle sautille dans son pyjama de la reine des neiges. Elle lance un regard surpris à sa mère.

— T’es belle, maman !

Un sourire fatigué apparait sur les lèvres de Caro.

— Merci ma chérie. Ca va aller ? me redemande-t-elle.

— Tout est enregistré, je réponds.

— Mais oui… Je t’entends lui répéter les mêmes consignes depuis tout à l’heure. Puis on part pas quinze jours non plus… quoique ça nous ferait du bien… murmure-t-il.

Caro hoche légèrement la tête.

— Bon bah, on y va…

Elle ne peut s’empêcher de jeter un dernier coup d’œil dans la direction de la chambre de Gus. Elle embrasse sa fille avant de partir enfin.

Une fois la porte refermée, je soupire. Je ne pensais pas que Caro serait aussi stressée. Ce n’est pas la première fois que je garde la petite pourtant. Mais c’est vrai que depuis que Gus est né, elle ne l’a pas fait garder. Puis elle manque de sommeil et est vraiment à cran. J’espère que cette petite soirée pour célébrer leur anniversaire de rencontre lui permettra de se changer les idées.

Lena enlace ma cuisse et lève son menton vers moi :

— Alors on fait quoi ?

— Euh… bah, on va manger d’abord

— On mange quoi ?

— Des croque-monsieur !

— Youpi !

Je souris face à sa bouille ravie. Je ne suis pourtant guère responsable du menu. Dans la cuisine, les sandwichs sont prêts à passer au four sur leur plaque. Cathy a tout préparé.

— Est-ce que je peux voir le bébé dans ton ventre ?

— Euh…

Je soulève mon tee-shirt et dévoile un bout de peau.

— Il est là, mais on le voit pas…

— Oh ! Comment t’as fait pour le mettre là ?

Je redescends mon maillot et grimace. Elle a déjà dû avoir la conversation avec sa mère quand elle était enceinte. Non ?

— Tu sais comment on fait les bébés ?

Elle hoche la tête avec sérieux.

— Le papa met la graine qu’est dans son zizi dans la nénette de la maman. ça se mélange et ça fait un bébé…

Je soupire de soulagement.

— C’est pas les mêmes graines qu’on donne aux poules, tu sais ?

J’explose de rire. Les yeux écarquillés, elle m’examine avec inquiétude.

— Oui, je sais.

Elle hausse les épaules.

— Mais toi, t’as pas de papa ?

J’ai envie de répondre que si, mais je ne pense pas qu’elle parle de mon père. Je prends une grande inspiration. Je vais gérer toute seule les questions d’une gamine de cinq ans. ça va le faire… C’est un entrainement pour mon futur enfant d’ailleurs.

— Non, je n’ai pas trouvé d’amoureux pour fabriquer un bébé avec lui… Mais j’ai demandé à un médecin de me donner des graines de papa pour faire un bébé toute seule.

— Ouaaahhh ! Toute seule ! t’es trop forte… Parce que c’est dur quand même tu sais. Maman, elle est fatiguée. Et y a papa. Et pour sortir le bébé c’est difficile aussi, tu vas à l’hôpital…

— Je sais bichette, mais je pense que je vais y arriver.

Ses yeux brillent d’admiration quand elle me regarde sortir les croque-monsieur du four. Je grimace quand la peau de mon poignet entre en contact avec la grille. Une des raisons pour lesquelles je ne cuisine jamais. Ma maladresse rend même le fait de sortir un plat du four dangereux.

— Et comment t’as mis les graines dans ta nénette ?

Je me fige et oublie immédiatement ma légère brûlure. Et je saute presque de joie quand j’entends Gus gémir depuis sa chambre.

— Je vais voir ton frère, dis-je d’un ton guilleret.

Les yeux à peine ouverts, Gus grimace. Quand je le prends dans mes bras, il niche sa tête immédiatement entre mes seins. Il pose sa bouche comme pour téter. OK, il a déjà faim… Enfin, de ce que j’ai compris ce bébé est un ventre sur pattes qui ne dort pas beaucoup. D’où l’épuisement de Caro. D’ailleurs, elle n’a jamais été dans cet état quand Lena est née.

— Allez, viens, on va voir ta sœur. Elle a faim aussi.

— Bébé Gus, t’as bien dormi ? T’as vu ? C’est tata Théna qui nous garde… Elle a fabriqué un bébé toute seule !

Il donne des coups de boule dans ma poitrine.

— Je crois que l’appel du lait est trop fort pour qu’il t’écoute.

Je finis par installer le nourrisson dans son transat le temps de réchauffer son biberon. Pas trop, m’a précisé Caro. Car il a l’habitude de boire à 37 degrés… Je le mets une dizaine de secondes au micro-ondes et le ressort à peine tiédi. Gus m’encourage à accélérer mes manipulations par de puissants braillements.

Je le pose sur moi et lui mets le biberon dans la bouche. Il triture d’abord la tétine étrangement. Sûrement à la recherche du sein maternel. Il finit par téter goulument.

Sa sœur s’attaque à ses croque-monsieur en même temps. Je songe qu’ils doivent rarement être aussi synchronisés. J’espère que je ne serai pas dans un état proche de celui de Caro dans quelques mois. Tout le monde te prévient de dormir autant que tu peux, de profiter avant que ton bébé n’arrive. Mais, du coup, cela me fait l’effet inverse. J’ai du mal à trouver le sommeil parce que j’angoisse de ce que sera ma vie dans quelques mois.

Autant j’ai toujours su que je voulais fonder une famille avec des enfants, autant je ne pensais pas me poser tant de questions. Comment vais-je gérer ? Vais-je être une bonne mère ? M’en voudra-t-il de l’avoir fait sans père ? Me trouvera-t-il égoïste ? Suis-je égoïste ?

— Tata Théna ? Je peux prendre mon dessert ?

Je hoche la tête et Lena se précipite pour ouvrir le frigo à la volée. Elle en sort une crème dessert au chocolat qu’elle dévore en se tartinant allègrement le visage.

Gustave ferme les yeux au fur à mesure que le volume de lait diminue dans le contenant. Lorsque je pose délicatement le biberon sur la table, j’ai l’espoir de pouvoir le remettre au lit.

— Oh ! Il est trop mignon, t’as vu sa petite bouche qui fait comme ça quand il dort ? s’écrie sa sœur.

Il ouvre alors les yeux brutalement et geint de nouveau. Je lâche un soupir. Même si j’ai toujours rêvé de famille nombreuse, je m’arrêterai peut-être à un seul enfant en tant que mère célibataire. L’épuisement me semble presque inévitable avec plusieurs.

Je songe à ses émissions qui pullulent à la télé. Familles nombreuses XXL, ou un truc du genre… Je n’ai jamais vraiment regardé, car je ne cautionne pas que l’on passe ainsi à la télé avec ses enfants pour se faire du fric. Mais les parents semblent avoir une organisation du tonnerre pour relever ce défi…

— On va brosser les dents ? Maman, elle met toujours la musique de la reine des neiges pendant que je brosse mes dents. Tu l’as ?

— Euh… oui, oui… Je peux la mettre.

Spotify est mon meilleur ami. Pendant que Lena se dandine sur la chanson, la brosse à dents dans la bouche lui servant de micro imaginaire, je tente encore une fois de rendormir Gustave.

Il lutte contre le sommeil. A chaque fois que ses paupières se ferment, il gémit et les rouvre. Une fois le simulacre de brossage achevé, je suis réquisitionnée pour lire l’histoire du soir. J’ai le droit à un magnifique livre de princesse sur le lit de mademoiselle. Je sens que ma voix berce aussi Gus car il gémit de moins en moins. Avec un peu de chance, je vais réussir à rendormir les deux.

— Installe-toi sous la couette. Je vais mettre Gus dans son lit et je reviens te faire un bisou.

Lena acquiesce solennellement. Le nourrisson gémit quand je l’installe dans le couffin de son lit. J’essaie de le caler dans sa gigoteuse que j’ai laissé en place tout à l’heure. Il grimace.

— Chut, tout va bien. Tata Théna est là, je murmure en posant ma mains sur son ventre.

— Tata ? m’appelle une voix fluette.

— J’arrive, dis-je en sortant de la chambre.

J’ai peu d’espoir que mon endormissement aussi rapide suffise à ce bébé qui ne parvient jamais à garder le sommeil d’après sa mère.

Lena m’attend, la couverture jusqu’au menton, la mine inquiète.

— Tu viens à côté de moi ?

J’accepte avec un sourire et je m’allonge à ses côtés sur le lit. Avec appréhension, je tends l’oreille. Aucun bruit de la chambre de Gus.

— Tu sais, tata Théna, je t’aime beaucoup !

Mon cœur se réchauffe devant cette déclaration mignonne. Une bouffée d’amour m’emplit aussi pour cette petite.

— Moi aussi, je t’aime beaucoup !

Ma voix se brise presque à la fin et je retiens un sanglot. Si elle me voit pleurer, elle ne comprendra rien à cette histoire d’hormones. Moi même, je n’y comprends pas grand chose.

Quand enfin sa respiration s’apaise, je suis moi aussi dans un état second, le sommeil à ma portée. C’est à ce moment que Gus choisit de se réveiller en pleurant. J’émerge difficilement puis prends conscience que je dois faire vite si je ne veux pas qu’il réveille sa sœur. Je me lève avec précipitation, trébuche sur un jouet et me retiens sur le chambranle de la porte. Imperturbable, Lena ronflote toujours. Je souris et récupère Gus dans son berceau qui s’apaise dès que je le sors de son couffin. Abandonnant l’idée de le faire dormir ainsi, je m’installe sur le canapé, le cale contre moi pendant que je visionne pour une énième fois des épisodes de Friends.

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