L'encre sèche

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Lors d’une interview, on m’avait une fois demandé pourquoi j’écrivais.

J’avais répondu vaguement, une réponse un peu bancale, sans réel intérêt, mais formulée avec élégance et poésie, ce qui avait suffi à mon interlocutrice.

Toutefois, cette question était restée, lancinante. Comment répondre à une telle question sans prendre le temps d’y réfléchir? J’avais été un peu pris de court, incapable de mettre des mots sur ma pensée. J’y avais réfléchi toute la journée, et en rentrant, et je n’avais pas pu m’empêcher d’en parler à Claire pour lui dire tout ce que j’aurais aimé répondre à ce journaliste, tout ce que l’écriture représentait pour moi.

Claire avait été adorable, comme d’habitude. Fascinée, intéressée, attentive. Elle m’avait aidée, aussi, à mieux me cerner.

Pour moi, l’écriture était un refuge pour m’évader, pour mieux me comprendre, pour définir avec exactitude ce que je ressentais, ou ce que j’étais en train de vivre. Voilà les conclusions que j’en avais tiré.

« Toute votre personnalité se reflète dans vos mots, vous êtes d’une sensibilité incroyable », m’avait dit une journaliste. Et elle avait sûrement raison - puisque ce n’était pas la première à m’en faire la remarque. J’étais ce genre d’écrivain qui mettait son âme dans ses textes.

Claire l’avait bien senti elle aussi.

Ecrire pour se découvrir, écrire pour se comprendre, écrire pour réfléchir. Voilà comment Claire, de son côté, avait résumé notre échange.

Et c’était cette discussion qui l’avait poussé à lire mon livre sur mon histoire avec Julia. Pour mieux me connaître. Elle avait débarqué un matin, m’avait tendu le livre, et s’était contentée de me dire «Bravo. C’est magnifique. Tu es magnifique.» Elle m’avait embrassé, ça avait dégénéré, et nous n’en avions plus jamais reparlé.

Je pense que c’est aussi cette discussion qui la rend impatiente de lire mon texte sur elle. Claire sait qu’en le lisant, elle se glissera dans mes pensées les plus intimes. Qu’elle me percera à jour, encore une fois.

Et c’est aussi pour ça que je tiens à lui rendre des mots parfaits.

Mais tout bon écrivain sait que la perfection est inatteignable. J’aurais dû le savoir, et ne pas relire mon texte. Seulement me revoilà, l’éternel insatisfait, à me relire encore et encore, à corriger, raturer, reprendre chaque passage. Quel cercle vicieux.

Je suis resté dans mon bureau toute la journée, et en rentrant, Claire m’a surpris en train de m’arracher les cheveux sur mon ordinateur portable. Elle s’est faufilée derrière moi, et m’a chuchoté à l’oreille.

«Ce sera toujours parfait pour moi, Nico. Ne réfléchis pas trop.»

Mais mon esprit était déjà trop embué pour pouvoir l’entendre. Claire m’a fait un dernier baiser, avant de sortir rejoindre ses amies, me laissant seul, moi, et mon texte, dans mon bureau. Malheureusement, cette fois-ci, sa tentative de réconfort n’avait pas marché. Et soyons lucide : il me fallait un break, là, tout de suite.

Je sors sur mon balcon, contemple les rues de Paris. J’habite en haut d’un petit bar que je connais bien, ce même bar où j’ai rencontré Claire.

Tous les soirs, je vois toutes ces personnes, attablées, un verre à la main.

Occupées à s’échanger des futilités pour tuer le temps.

Pour devenir insouciants, l’espace d’un instant, pour oublier leur avenir plus qu’incertain.

Ils boivent, boivent, boivent pour oublier. Et le chômage, et le réchauffement climatique, et qu’est-ce qu’on fait, on le crève, notre avenir, à ne rien faire, comme ça.

Ces réflexions alarmistes s’enchaînent, me traversent l’esprit j’ai l’impression de me faire vieux.

Je le sens qui m’accable, ce pessimisme. Mes pensées divaguent, mais restent aussi maussades que mon humeur.

Je la sens venir, cette même rengaine, cette même solitude. Cette impression que le temps passe, et nous laisse derrière lui. Les tristes pensées d’un mélancolique.

Mais mon téléphone me ramène brusquement à la réalité. C’est un SMS. De Julia. Qui veut me voir.

Qui veut me voir.

Qui veut me voir.

Ne pas répondre tout de suite.

La base de tout rapport d’ex à ex.

Ranger son téléphone. Faire autre chose.

Descendre au bar. Boire un verre.

Emmener de quoi écrire, observer les gens, noter ce que l’on voit. S’inspirer, oublier.

Essayer.

Bordel Julia, pourrais-je un jour réfléchir sans que tu t’immisces dans mes pensées ?

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