Quand le passé nous rattrape

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J’ai accepté de voir Julia. C’était une mauvaise décision, sans le moindre doute. Cela allait m’embourber encore davantage dans mes pensées qui étaient, je l’avoue, déjà bien embrouillées.

Mais en imaginant que je n’y sois pas allé : je n’aurais jamais eu le fin mot de l’histoire, su ce qu’elle me voulait, comment cela se serait déroulé. Je me serais posé la question, encore et encore. Et il n’y a rien de pire que les questions sans réponses. On cogite, dans un cycle sans fin. Et Julia, je l’avais déjà assez cogitée.

Et puis, quoi que je dise, tout pourrait sonner comme un faux prétexte, de toute façon.

La vérité, c’est que j’avais envie de savoir comment cela allait se passer, et j’y suis allé. Tout simplement.

L’ai-je dit à Claire? J’aurais dû. Assurément. Mais je ne l’ai pas fait, et à vrai dire, je n’ai pas culpabilisé une seconde. J’allais voir Julia pour moi, pour mon propre bien-être, pour soigner un peu ma santé mentale décadente. C’était purement égoïste, mais nullement mal intentionné ; à aucun moment, je n’ai pensé que cela ne dégénèrerait. Il y avait beaucoup trop de tensions, beaucoup trop de rancœur, beaucoup trop de non-dits, pour espérer enterrer la hache de guerre.

Certes, je dois bien avouer que je n’étais pas franchement détendu à l’idée de la revoir. Mes pensées fusaient déjà en tout sens en me demandant ce qu’elle allait me dire. Elle était restée très vague par message, elle préférait m’en parler de vive voix. Ca annoncait une discussion importante, et avouons-le, ce n’était pas franchement rassurant.

Nous nous sommes retrouvés dans un petit café du centre-ville. J’ai réfréné autant que possible toutes les émotions contradictoires qui m’ont envahies quand je l’ai apercue. J’ai forcé un grand sourire, et je suis allé à sa rencontre.

Julia n’avait pas l’air beaucoup plus détendue que moi. Je sentais un léger malaise, et nous étions en train d’échanger des banalités, sans réellement entrer dans le vif du sujet. Jusqu’à ce que...

- Nicolas. J’ai lu ton livre.

Je ne savais quoi répondre, mais elle ne m’en laissa pas le temps, de toute façon.

- Je ne te savais pas grand écrivain. Tu écris très bien, je dois l’admettre. Mais une question me taraude. Est-ce que tu penses réellement tout ce que tu as écrit là-dedans ? Jusqu’où est-ce de la fiction ?

Ses yeux me fixent, mais je suis incapable de déchiffrer le fond de sa pensée. C’est étrange comme elle m’est devenue étrangère.

Et que lui répondre ? Mon roman, je l’ai relu, des milliers de fois, je le connais par cœur, même si je n’y ai pas touché depuis sa sortie. Qu’attend-elle de moi, au juste ?

- Je n’y ai décrit que ce que nous avons vécu, Julia. Cette histoire, c’est la nôtre, alors tu dois bien pouvoir distinguer ce qui est fiction de ce qui ne l’est pas.

La froideur de ma réponse m’étonne. Visiblement, la rancœur ne m’a pas quitté. Ou peut-être est-ce mon ego qui refuse de lui avouer que oui, tout ce que j’ai écrit est bien réel, mon amour comme ma souffrance.

- Bien sûr que je reconnais notre histoire. Mais j’ai relevé beaucoup de contradictions. Des détails qui ne collent pas. Et j’ai l’impression que tu as exagéré tes émotions pour attendrir ton lecteur.

Sa réponse est aussi glaciale que la mienne. Le ton est donné, mais ses mots sont toujours aussi tranchants, et je sens que dans cette bataille, c’est moi qui ai le plus à perdre.

- Je n’ai rien exagéré du tout, je n’ai fait que décrire la réalité telle que je l’ai vécu. Mais si tu veux tant te donner bonne conscience, crois ce que tu veux, après tout.

Julia ne dit rien, et sort une petite feuille, soigneusement pliée en quatre. C’est une liste. Elle commence à m’énumérer, point par point, page par page, toutes les incohérences qu’elle a décelé dans mon roman. J’en reste coi : elle est en train de me citer tous les passages que Chris m’a demandé de retravailler. Non seulement elle a lu mon roman avec attention, mais elle se rappelle avec exactitude de toute notre histoire. Je suis sans voix, presque attendri, et j’essaie autant que possible de réfréner ces sentiments qui remontent en moi.

Mais Julia fond subitement en larmes.

- Je te déteste, Nico, je te déteste tellement... Tu la voulais ta vengeance, eh bien tu l’as eu ! J’avais tiré un trait sur notre histoire, sur mes remords, sur toute cette culpabilité. Et voilà que tu reviens, l’air de rien, et que tu me balances tous ces mots en pleine figure ! Je ne te pardonnerai jamais d’avoir utilisé Emilie pour ta petite gloire personnelle. Je me suis demandé comment tu avais pu la rendre aussi détestable, comment tu avais pu ternir ce si beau prénom que l’on avait choisi ensemble. Et puis, j’ai réalisé qu’en fait, j’étais Emilie, c’était moi, qui était détestable. Ce personnage qui me répugnait tant, c’était moi. Comment ai-je pu te faire autant de mal, Nicolas ?

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