Le jour de l'examen

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Louis se tourne et se retourne dans son lit. Il passe demain son examen écrit. Il doute, l’angoisse l’empêche de dormir. Il ne trouve pas d’alternative à son problème, qu’il soit reçu ou non, son avenir reste bloqué, aucune solution ne semble lui convenir. Partir, son certificat d’étude en poche et chercher du travail, c’est laisser sa famille se débattre dans leur triste quotidien, rester, c’est le regretter toute sa vie. Vivement que ce soit fini, il espère ne pas être admis. Le sommeil l’envahit à quatre heures du matin.

Le petit matin est brumeux, le soleil va brûler la terre aride dans quelques heures. La bâtisse se détache dans le ciel blanchâtre. La nuit a été fraiche et la rosée s’est posée sur le jardin. Elle va s’évaporer. Le ciel va s’éclaircir et le bleu va envahir l’espace.

Les enfants dorment encore. Les parents sont déjà bien occupés et ne pensent qu’à gagner du temps sur la canicule qui va s’abattre sur les champs.

Le soleil a déjà pointé son premier rayon, lorsque Louis se réveille en sursaut. La tête lourde, la sueur revêt son corps de gouttelettes. Il est trempé, mais un froid bizarre s’est immiscé dans sa poitrine. Il grelotte. Son esprit fait soudain le lien avec son programme du jour. La panique le gagne et il saute de son lit, court à la fontaine, l’eau est glacée. Il se lave, remonte s’habiller en vitesse, pas le temps de manger un bout de pain et boire une bonne tasse de café chaud. Henri doit certainement l’attendre en bas du chemin, vers la route, avec sa carriole.

La course lui fait perdre son chapeau, il n’a pas le temps de le ramasser. Il dévale la pente. Personne. Louis reprend son souffle. L’anxiété le gagne. Ce n’est pas dans l’habitude d’Henri d’être en retard. Il lui est arrivé quelque chose.

Les minutes semblent très longues. Louis s’assoit, se relève, tourne en rond. Henri habite trop loin, il n’a pas le temps d’y aller à pied. Que faire ? La panique le gagne et puis, se retire soudain, le calme revient. C’est le destin qui le guide. Il ne doit pas passer cet examen. Le choix se fait tout seul. Il se détend, s’assoit dans l’herbe, la tête entre les mains. Malgré tout, ses yeux se voilent, son cœur se serre. La fatalité lui fait prendre conscience de sa condition. On nait pauvre, on reste pauvre. Dieu n’a aucune raison de changer les destinées. Elles sont programmées. On doit respecter les codes de la vie.

Au loin, une calèche légère tirée par deux chevaux élégants, file sur la route. L’instinct remet le jeune homme sur ses pieds. Il se place au milieu de la voie pavée, ce qui oblige la voiture à s’arrêter au dernier moment, les chevaux se cabrent. Louis se jette dans le fossé sur le bord de la route. Il entend une voix l’appeler. Elle est féminine et son timbre ne lui est pas inconnu.

Une jolie tête sort de la portière, c’est la petite bourgeoise de la bibliothèque, le même sourire ironique sur les lèvres. A nouveau, la honte le submerge, il est mal habillé, décoiffé, en sueur. Il est en colère après lui-même.

« Je vous connais. Vous êtes le paysan intellectuel ? Vous arrêtez souvent les voitures avec de telles manières ? Je n’ai rien sur moi que vous pourriez voler, peut-être la broche de ma grand-mère, mais bon, elle est invendable.

- Effectivement, le butin n’est pas assez important. Je ne ferais rien de votre colifichet. Vous pouvez repartir, je me suis trompé de voiture.

- Vous avez tort, je suis de compagnie agréable et nous pourrions vous amener où vous désirez.

- Non, merci, j’attends quelqu’un

- Bon, comme vous voulez. Je vous souhaite une bonne journée.

- C’est ça, bonne journée. »

Louis est furieux, contre lui-même, contre cette petite bourgeoise qui le nargue, contre Henri qui n’est pas là, contre le destin. Il jette son sac violemment sur une pierre, s’acharne dessus et finalement s’assoit dans l’herbe, la tête entre les mains.

Le bruit des sabots lui parvient en sens inverse. C’est à nouveau cette fille! Elle ouvre la portière et fait signe au jeune homme de monter.

« Je vous ai vu menacer votre besace d’une mort certaine et je viens à son secours. Je n’aime pas qu’on leur fasse du mal, elles sont sans défense !

- Elle l’avait méritée, elle ne me sert à rien aujourd’hui

- Allez, montez, je vois bien qu’il y a un problème. Dites-moi où vous devez aller. »

Louis cède enfin et explique qu’il a un rendez-vous très important dans une heure, que son ami n’est pas venu le chercher comme convenu et qu’il va être très en retard.

La demoiselle demande au cochet de presser l’allure. Louis est en nage, essoufflé, inquiet pour son ami et pourtant décidé à aller jusqu’au bout. Il a changé d’avis, le destin semble modifier sa trajectoire.

La jeune fille le surveille sans en avoir l’air, mais ne dit plus rien. Le silence entre eux n’est pas pesant, l’un et l’autre voyagent dans leurs pensées. L’heure passe rapidement et Louis demande qu’on le laisse devant l’école primaire de Digne-les-Bains, sans donner d’explication. La jeune fille ne dit toujours rien, mais le regarde avec toujours cette malice dans les yeux.

« Je reste toute la journée en ville, voulez-vous profiter de ma voiture pour votre retour ? »

- Non, merci, vous en avez déjà fait assez pour moi, je me débrouillerai pour rentrer. Vous avez été gentille, je vous présente mes hommages."

La petite bourgeoise, dont nous ne savons toujours pas le nom, lui répond par le même sourire ironique, presque rieur et lui souhaite une bonne journée.

Louis attend que la calèche aie disparue pour se ruer dans l’école. Il entre en trombe dans la salle d’examen. Les jeunes sont déjà assis, le porte-plume pen l’air, déjà prêts .Tous relèvent la tête en même temps et le surveillant se lève d’un bond, surpris par cette entrée fracassante. Le jeune homme présente des excuses, donne sa convocation et prend place, à la dernière minute autorisée. Ouf. Il respire.

Louis a l’impression que le temps s’est rétréci lorsqu’il sort de l’école, l’épreuve finie. Il n’a pas vu passer l’heure. Il a noircit les pages, sans s’arrêter. Maintenant, il se sent soulagé. Il a envie d’aller marcher au bord de la Bléone, la rivière qui traverse la ville. C’est une fin d’après-midi, la promenade est tranquille et il besoin d'un moment de calme.

Il avait tout oublié, le sentiment d’impuissance de ce matin, la nervosité, son inquiétude pour Henri et le voyage en calèche. Tout lui revient maintenant. Il doit rentrer et savoir ce qui est arrivé à Henri. Il s’assoit un moment sur un rocher et réfléchit au moyen de rentrer rapidement à la maison.

L'autocar n’est pas encore parti. Il peut le prendre même s'il ne s’arrête pas près de la ferme. Il marchera les quelques kilomètres restants. Il n’a pas d’autre choix pour le moment. Après ce petit périple, il arrive à la ferme alors qu’il fait déjà nuit. Sa mère l’attend sur le banc placé près de la porte d’entrée du bâtiment. Elle parait anxieuse.

« Alors, mon fils, comment s’est passé l’examen ?

- Je ne sais pas trop, je n’ai pas vu les heures filer et j’ai tout fini. Pour l’instant, c’est tout ce que je peux te dire. Mais qu’est-il arrivé à Henri ? Il n’est pas venu ce matin, j’ai dû me débrouiller pour aller à Digne

- Désolée Louis, Henri a eu un malaise. Son voisin est venu nous chercher et nous avons appelé le docteur. Il va bien maintenant, mais doit se reposer. C’est son âge, tu sais, il doit se ménager maintenant. Tu ne dois pas y aller ce soir. Vas te reposer, tu iras le voir demain.

- Mon Dieu ! Je savais que je n’aurais pas dû passer cet examen. Henri s’est donné beaucoup de mal pour moi et voilà le résultat. On ne peut pas changer les choses, c’est le destin qui me le rappelle.

- Arrête de dire des bêtises, vas te reposer, tout ceci n’a rien à voir. Demain, tu verras les choses autrement et tu pourras l’aider à se remettre. Tu ne culpabiliseras plus si tu le soignes… »

La conversation s’arrête nette. Paul arrive, il est tard. Il n’est pas rentré pour le repas du soir, trop de travail. Léonie l’embrasse et lui propose de s’installer sur la terrasse devant la ferme, elle lui apporte son assiette. Il fait chaud, il pourra ainsi manger tranquillement. Louis leur souhaite une bonne soirée, Paul hoche la tête en signe de remerciement, mais ne lui pose aucune question.

Louis n’arrive toujours pas à dormir. Il se sent perdu. Henri est sa boussole, son deuxième père. Sans lui, il n’y arrivera pas. Que ce soit pour progresser dans la vie, prendre des décisions ou tout simplement ne rien changer. Il retourne la question dans tous les sens.

Il attend l’aube avec impatience et dès que le soleil se pointe faiblement, il s’habille ne vitesse, prend un café et part son sac sur le dos. Il a pris quelques rechanges, s’il habite chez Henri le temps que celui-ci se rétablisse. Léonie le lui avait suggéré et lui avait préparé son linge.

Le long du chemin, rien ne peut troubler le cours de ses pensées. Il marche vite et arrive en vue de la petite maison avant que le soleil ne soit complètement au zénith.

Henri l’attendait dans son lit, fatigué mais le sourire aux lèvres.

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