La fête

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Louis s’occupe d’Henri depuis une semaine. Il le soigne, le nourrit, lave son linge et fait son ménage. Les journées passent vite et Henri se remet bien de son malaise. Le repos était la seule solution. Après le repas du soir, ils s’installent tous les deux sur le banc devant le jardin potager et discutent tranquillement.

Il est temps pour Louis de réviser pour l’oral du certificat d’études. Ils décident alors d’appeler Monsieur Honoré à la rescousse. En passant par la ferme pour prendre quelques affaires, Louis envoie son jeune frère Charles chez le vieil instituteur afin de lui expliquer qu’il doit se rendre rapidement chez Henri. Les jumeaux seront en charge d’aller apporter les repas concoctés par Léonie aux trois hommes pendant une semaine. Ce sera suffisant pour l’instant, après le dernier examen de Louis, la famille mettra une organisation en place pour éviter à Henri de rester seul trop longtemps, sans aide.

Monsieur Honoré prend immédiatement les choses en mains, Louis se retire dans un petit bureau aménagé pour la circonstance, Henri est souvent installé à l’ombre du grand chêne et pour ne pas perdre son temps, lit des ouvrages de botanique, afin de faire ensuite une résumé au jeune Louis.

Les jumeaux sont fiers d’avoir une tâche si importante à accomplir, mais arrivent le plus souvent avec une heure de retard. Ils ont toujours une bonne excuse. Ils ont été attaqués par l’ogre qui vit dans la grotte, ils ont dû aider la vieille Augustine à chercher son chat, des voleurs s’étaient introduits dans leur cabane secrète et ils les ont faits fuir. Ces garçons ne manquent pas d’imagination et pourront être écrivains plus tard. Ils se font gronder à chaque fois par Henri dont l’appétit n’a pas été trop perturbé et repartent en sautillant, rigolant de la prochaine farce qu’ils vont inventer.

Tout se passe bien et le grand jour arrive. Louis a peur de ne pas arriver à l’heure comme la dernière fois. Henri décide de lui prêter son cheval, il ira plus vite en le chevauchant, qu’en tirant la carriole.

Tout se passe pour le mieux, la journée est favorable et Louis revient content de son examen. L’avenir lui dira si son destin a pris la bonne direction. Il garde quand même à l’esprit qu’il n’est pour l’instant qu’un pauvre paysan et que tout est plus difficile pour lui.

Maintenant qu’Henri est rétabli, Louis rejoint sa famille, Monsieur Honoré retourne vivre dans sa petite maison au village. Ils décident de se relayer le plus souvent possible, afin que le convalescent ne reste pas seul plus de quelques jours. Les enfants seront aussi mis à contribution pour passer le voir et le faire rire !

L’été est torride. La terre se fend, les moutons se baladent dans la garrigue pour trouver de quoi manger. Ils ne vont pas bien loin, les chiens les maintiennent groupés et la petite Julie, tout en cueillant des bouquets de lavande qu’elle respire en fermant les yeux, les suit de son petit pas léger.

Seul l’élevage des poules leur permet de survivre à cette saison dramatique. Louis y pense et cherche des solutions pour palier à ce besoin de polyvalence. Les terres ont tout donné, elles n’ont pas le temps de se reposer, aucune parcelle n’est en jachère. On doit absolument planter des arbres fruitiers, des oliviers, du lavandin aussi pour les vendre à Grasse pour composer les parfums. Mais comment trouver l’argent pour louer plus de terres et acheter les plants ? Louis n’en dort plus, parle beaucoup à sa mère et se confie à Henri lorsqu’il va le voir. Quant à Paul, la tête dans les épaules, vouté, il s’acharne à ne rien voir et ne rien entendre, il est ailleurs, l’esprit dans sa terre sèche et infertile.

Le facteur amène enfin une bonne nouvelle, Louis a obtenu son Certificat d’études ! Malgré la misère ambiante, on invite les voisins, les amis, la famille, Henri et Monsieur Honoré qui va le chercher. Chacun amène un plat cuisiné, des fruits ou des gâteaux. La grande bâtisse revit pour un soir, un moment de plénitude. La joie d’être ensemble, de rire, de manger et de boire. Le ciel se pare d’étoiles pour la fête, les bougies éclairent les tables, le violoneux du village fait danser les jeunes couples. Que la vie est belle lorsque l’on oublie sa rigueur. L’amitié, l’amour, les enfants, la musique, la joie que procure un seul instant passé ensemble est inoubliable.

La soirée est bien entamée, les verres sont vides, les os des poulets sont jetés aux chiens, un couple s’embrasse derrière le tronc du grand chêne, les enfants se moquent d’eux et s’enfuient en évitant une chaussure qui s’envole pour les atteindre. Henri raconte une histoire de veillée, avec de grands gestes, des yeux qui reflètent l’action, l’humour ou la peur. C’est un comédien, cet homme. L’assemblée est fascinée et ne se rend pas compte du bruit des sabots de chevaux qui s’approchent.

Deux hommes sautent de leur monture. L’un est dans la fleur de l’âge, élégant, avec des manières d’aristocrates, l’autre plus jeune, très physique avec un air autoritaire. Les invités tournent la tête d’un seul mouvement. Henri s’arrête net, Paul s’approche des deux hommes. Il les connait, c’est certain.

Le plus âgé lui adresse la parole directement, avec un ton qui ne présage pas une conversation affectueuse.

« Je vois que vous avez le temps de faire la fête, tu vas être fatigué demain pour démarrer enfin les travaux des champs. Tu pourrais aussi faire transhumer tes moutons, vendre des œufs au marché de Digne. Je te donne des conseils, puisque tu es incapable de payer ton loyer de métayer »

A ces mots empreints de dédain, les femmes commence à ranger, débarrasser les tables, certaines se cachent dans la cuisine. Les enfants sont conduits à l’intérieur.

Les hommes se regroupent autour de Paul, ils forment un bouclier protecteur et ne bougent plus. Paul est tétanisé, les mots restent coincés dans sa gorge, ses mains tremblent.

Le deuxième homme s’approche de lui, lui prend le bras vigoureusement pour le tirer hors du cercle de ses amis. Il le propulse vers son maître.

Louis n’a pas perdu un mot de cette plaidoirie contre son père. Il ne sait rien des questions d’argent de la famille, ses parents ne lui en parlent pas, mais il connait leur courage et ne laissera personne les humilier.

Il se fait un passage à travers la chaine de fidélité, se plante devant le propriétaire terrien, qu’il n’a jamais vu.

« Pourquoi traitez-vous mon père de cette manière ? Tout être sur cette terre a droit au respect. Lui reprochez-vous de ne pas travailler ? Je vois mes parents jour après jour laisser leur santé pour cette terre. Je vois leurs forces s’amenuiser, leur esprit se perdre dans les soucis, leur joie de vivre ne renait que lors des quelques fêtes que les paysans de cette région s’octroient. Vous devriez les féliciter pour faire preuve d’abnégation, de renoncement personnel pour élever leurs enfants et surtout, pour vous permettre de vivre dans un monde de futilité et de richesse et.. »

D’un coup d’œil, le maître indique à son régisseur de faire taire ce petit imbécile.

« C’est simple, dit-il, je veux mon argent en totalité dans une semaine, faute de quoi, vous pourrez plier bagage et aller au diable »

Après une nuit agitée, il quitte la ferme au petit matin et marche jusqu’au village. Il se dirige ensuite vers un chemin qui mêne à la maison du maître. Le portail est impressionnant, mais plus rien n’arrête le jeune homme. Il grimpe comme un singe, la colère décuple sa force physique. Il saute de l’autre côté et avance dans une allée bordée de platanes. Le soleil joue à travers les feuilles, tout est reposant. Il marche, ses yeux se perdent dans chaque détail du parc. La vue est splendide.

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