Chapitre premier

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J'abordai la rue pavée sombre et incertaine d'un pas décidé. J'observai autour de moi, des manants maudissaient les dieux et leur vie, une bouteille à la main. Une pluie battante me fouetta le visage que j’offris un court instant à la lune. J’inspirai, j’entendis les bruits de sa course sur le bitume.

Une foulée après l'autre, j'avançai au rythme clignotant du lampadaire qui ne payait pas de mine d'où je venais. Je m'engouffrai toujours un peu plus vers les ténèbres. J’expirai, sa respiration se fit sifflante et ses poumons, d’un feu ardent.

Je pris une grande bouffé d'air qui était loin d'être frais. Une vieille odeur de moisi et d'urine planait autour de moi. Un peu plus et je le perçus s’écrouler sous son poids.

« ― Cours mon beau, cours… »

Je continuai ma route, chacune de mes enjambées me revigora un peu plus. Mon ombre se propagea sur le sol venant grignoter le peu de lumière qui restait.

J'entendis des voix, des murmures, des incantations qui me traitèrent de démon. Un rictus fendit mon visage en deux, des cris retentirent bientôt.

Ces hurlements, ses bruits de corps rampant sur le sol, m'excita au plus haut point. Mon corps fut alors pris de soubresauts, un ricanement sinistre m'échappa.

« ― Je suis chez moi, dis-je, dans l'antre du démon. Alors cours vermine, hurle même, c’est ta dernière chance de rester en vie ! Personne ne viendra te sauver de mes griffes ! »

Ce fut cet instant que choisit Dévil pour venir m'informer de la capture du fuyard.

« ― Parfait, attachez le bien cette fois-ci. Bien que cette balade fût des plus divertissantes, je ne tiens pas à la réitérer.

― Bien maitresse.

― Rentre sans moi, je dois régler quelque chose d’abord. »

Dévil s’effaça dans la nuit et me laissa à mes pensées obscures. Je repris donc ma marche, un halo de malheur pesait dans ce quartier vieillot et sinistre.

Les sentiments obscurs et « humains » se rassemblèrent en un fin filet qui s’enroula autour de mon corps et me pénétra le plus délicieusement possible.

Je sentis mon estomac s’apaiser et se détendre. Mon esprit put enfin divaguer ailleurs que vers cette faim sans fin qui me tordait les boyaux.

Il est temps que je retrouve mon fuyard, pensai-je, il me faut lui administrer une correction bien méritée.

Je me retournai et regardai fixement un embrochement.

« ― Sors, petite ! Je sais que tu m’observes. »

Un doute plana jusqu’à voir une frimousse crasseuse me fixer curieusement derrière un poteau électrique.

« ― Que cherches-tu auprès de moi ? »

Elle se décida à s’approcher, apeurée et curieuse à la fois.

En l’examinant attentivement, c’était un exploit qu’elle fut encore en vie à l’heure actuelle.

Elle avait un œil au beurre noir et plusieurs hématomes sur les bras. On aurait dit qu’elle était passée dans un broyeur.

« ― Vous pouvez m’aider n’est-ce-pas ?

― Je ne suis pas quelqu’un de gentille, petite. Tu devrais passer ton chemin tant qu’il est encore temps pour toi.

― Je vous ai vu emmener des méchants. Vous allez aussi le faire pour mon papa ? »

Je regardai cette petite d’un air nouveau, une lueur dangereuse brillait dans ses yeux.

« ― Pourquoi penses-tu cela, petite ?

― On m’a dit que vous veniez les chercher pour qu’il parte à tout jamais… »

Elle avait emprunté une voix mal assurée mais pleine d’espoir. Il fallait que je fuie cette enfant à tout prix. Mon rythme cardiaque s’accéléra et je commençais moi-même à suffoquer.

Mais avant de m’en aller, je posai, sur une montagne de carton, une carte de visite où l’encre commençait à baver sous les gouttes ruisselantes de la pluie.

« ― Appel ce numéro, si c’est cela que tu souhaites. »

Je disparus au détour d’une ruelle dans les ténèbres de la nuit. L’espoir était un sentiment puissant, dont j’avais appris à m’en défaire. L’espoir était vain dans mon cas alors je le fuyais comme la peste jadis.

Quel destin vas-tu accomplit ? Le bien ou le mal vas-tu choisir ? Ta destinée est encore à écrire, une mélodie parvint à mes oreilles alors je rentrai au manoir.

Je me retournai, méfiante, mais je ne vis personne autour de moi.

« ― Qui va là ? Montrez-vous ! »

Il n’eut que le silence pour me répondre. Je repris donc ma route. Le manoir n’était désormais plus très loin.

Quel destin vas-tu accomplit ? Le bien ou le mal vas-tu choisir ? Ta destinée est encore à écrire, j’entendis ce chant encore une fois. Cette fois une mère et son enfant traversèrent la ruelle pour changer de trottoir. La jeune femme semblait chantonnée quelque chose.

Rassurée, je n’y fis pas attention et continua ma route.


Je poussai la lourde porte de l’entrée. Le manoir avait des lueurs lugubres avec ses pierres noires et ses lumières tamisées.

Un cri de souffrance me parvint de sous-sol, Barbaros devait déjà être en action.

Je le rejoignis rapidement après m’être débarrassée des vêtements trempés. C’était son visage vil et cruel qui m’accueillit au bas de l’escalier.

« ― Maîtresse ! »

Barbaros m’interpela vivement, heureux comme un louveteau de ma visite.

« ― Vous voilà enfin, je n’attendais plus que vous pour le final. »

J’avais retrouvé Barbaros enfant, jouant dans la pluie et la crasse, en train de torturer un oisillon blessé tombé du nid. Orphelin, il n’avait jamais appris la distinction entre le bien et le mal.

Cette nuit-là, j’avais mis fin aux souffrances de l’animal et l’avais réprimandé sèchement. Depuis, il me suivait comme un poussin me reconnaissant comme sa mère.

J’avais beau l’humilier, le battre, rien ne faisait. Il était toujours revenu toujours vers moi. Il avait finis par se rendre utile alors je l’avais gardée à mes côtés.

« ― Maîtresse, y a-t-il un problème ? Pourquoi ne vous installez-vous pas ?

― Ce n’est rien, j’étais perdue dans mes pensées. »

Je pris place sur le divan défoncé, un creux avait finis par apparaître dans l’assise du divan avec le temps.

Barbaros me confia qu’il allait commencer la punition pour la fuite du prisonnier. Il déballa alors sur une table en bois brute, tout un arsenal d’instrument de torture.

Il en sorti une fine aiguille, plus aiguisé que n’importe quel scalpel. Une torture à la fois simple mais infiniment douloureuse.

Le fuyard, installé sur une chaise, avait les bras étendus devant lui. Un étau les enserrait.

Il lâcha une longue litanie, se balançant d’avant en arrière dans l’espoir qu’on l’écoute. L’espoir faisait peut-être vivre, finalement.

Mon bourreau s’avança à pas lent, le prisonnier commença à s’agiter, produisant des bonds, pour essayer de se soustraire à la torture.

Barbaros plaqua une main ferme sur le poignet droit et approcha l’aiguille. Il l’inséra doucement mais sûrement dans la peau juste sous l’ongle. Une partie particulièrement douloureuse et juteuse en sang.

Ce n’étaient plus des sanglots, ni des halètements de douleur qui retentissaient, mais des hurlements – à vous glacer le sang – qui sortirent de la bouche de l’individu.

Alors que Barbaros se désintéressait des ongles de l’homme, il se releva comme un corps désarticulé. Les yeux grands ouverts et complètement vide, aucune émotion ne filtrait à travers ces pores.

Il tourna la tête vers moi, comme les poupées effrayante d’un vieux film d’horreur pendant que Barbaros lui tournait le dos.

Il me fixa du blanc de ses yeux. Il ouvrit sa bouche et semblable à un automate, il déblatéra une parole d’une voix sans émotion.

« ― Quel destin vas-tu accomplit ? Le bien ou le mal vas-tu choisir ? Ta destinée est encore à écrire. »

L’homme s’écroula après avoir prononcé ces quelques mots. Je ne fis pas attention à la remarque de mécontentement de Barbaros qui secouait le prisonnier pour le réveiller.

Un frisson glacial dégringola ma colonne vertébrale, je n’avais pas ressenti pareil sensation depuis bien longtemps. De la sueur colla mes cheveux entre eux et à mon visage.

Je me rappelai d’un coup la ruelle sombre et humide, et cette voix chantonnée qui fredonnait la même rengaine.

Je me levai d’un coup et courus presque vers l’extérieur.

« ― Maîtresse ! me cria après Barbaros. »

Je ne m’arrêtai pas et pris une profonde inspiration lorsque l’air frais du soir me fouetta le visage de sa morsure glaciale.

Une peur sinistre s’insinua sous ma peau bien pire que le froid.

Je me remémorai cette phrase en boucle. Je ne comprenais pourquoi je l’entendais d’un coup autour de moi, fredonner par de parfait inconnu. Je secouai fortement la tête de droite à gauche pour chasser ses pensées inutiles.


Perdu dans mes pensées et d’une peur improbable, je sursautai lorsqu’une couverture se glissa sur mes épaules.

« ― L’air est frais, Maîtresse, vous devriez rentrer et vous coucher. »

Je tournais mon visage vers Dévil qui fixait le ciel étoilé à travers le brouillard lugubre du manoir.

Barbaros l’avait certainement prévenu. Un garçon peureux et effrayé m’avait trouvé en sang. A l’époque, sa compagnie m’était insupportable. Me renvoyait-il mon propre reflet ? Peut-être, d’une certaine manière oui.

J’avais fini par accepter sa présence, je n’avais pas eu le choix à vrai dire. Il n’avait pas cessé de me coller après tout.

Je pris une dernière inspiration, mon souffle formait une fine brume, et je retournai à l’intérieur sans un mot.

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