XLVI.

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Parmi les étoiles une graine tarda à éclore. La steppe originelle y prêta peu attention, tout occupée à entretenir le reste de sa floraison. Mais alors cette graine finit par germer, et la plus belle de ses créations vit le jour. Alors la première âme se détourna des autres étoiles, et soigna tant et si bien cette fleur nouvelle que celle-ci développa une conscience à son tour.

(Le Livre des Mères)


Une semaine avait passé depuis que Klixy avait été nommée Chroniqueuse. Une semaine entière. Trois cycles et demi du Sablier. Et depuis ce jour-là, les mineurs envoyés à la rescousse de Raxoir n’étaient pas reparus.

Klixy se sentait nerveuse. Beaucoup trop nerveuse. Au point que ses articulations se grippaient, que ses gestes devenaient moins nets. Or, à cet instant précis, la tâche qu’elle accomplissait requérait toute sa minutie.

À son oreille, un cristal de mémoire.

À ses côtés, un Méca-Médecin. Klippocrakx, plus exactement.

Devant elle, un patient aux engrenages neuronaux mis à nu.

Un minuscule tournevis à la main, elle s’appliquait à resserrer des vis non moins minuscules dans ce mécanisme complexe, en s’aidant autant du cristal accroché à son lobe que des instructions de Klippocrakx.

Tout à coup, le tournevis ripa. Elle évita de justesse une rayure fatale ou une torsion de l’axe délicat auquel elle s’efforçait de laisser moins de jeu.

— Conseil : laisse-moi prendre la relève, Klixy.

La Mécanoïde obtempéra. Tendant au Méca-Médecin son cristal de mémoire et son tournevis, elle commenta :

— Je suis… Je veux dire : inquiétude. Mon état s’aggrave. Quand le remède sera-t-il prêt ?

— Aucune idée. Rappel : l’émotionnite étant liée à la maladie de Mécanâme, elle-même en rapport avec le retour de l’Ére Rouille, savoir lequel de ces facteurs est à l’origine des autres s’avère délicat.

— Je sais bien ! Je perds mon pragmatisme, pas la mémoire…

Klippocrakx s’interrompit dans ses ajustements méca-chirurgicaux pour braquer sur elle un regard vide de toute flamme. Les lueurs dans les orbites de Klixy rosirent comme elle prenait conscience de ce qu’elle venait de faire.

— Oh. Je me comporte de plus en plus comme une Imparfaite, n’est-ce pas ? Je te présente mes excuses.

— Constat : tu n’es plus apte à aider dans les tâches les plus délicates. Conséquence : les Méca-Médecins se passeront de tes services, désormais. Focalise-toi plutôt sur le rôle qui t’a été attribué par le Conseil. Tu commettras moins d’erreurs.

La Mécanoïde baissa la tête. Sans répondre, elle commençait à s’éloigner quand elle se trouva nez à nez avec le Gardien.

— Ah, te voilà. Viens : j’ai besoin de toi.

Toujours silencieuse, elle lui emboîta le pas. Ils traversèrent le cœur de la cité, s’éloignèrent vers la périphérie. Bientôt, Klixy comprit qu’Ixaq l’emmenait au centre de réception macopodique. Elle sentit le sang accélérer dans ses veines métalliques. Des nouvelles de la surface, peut-être ? Mais alors, pourquoi ne lui avait-il pas juste donné les informations reçues ? Quelque chose n’allait pas.

Bientôt, l’immense bâtisse de métal bardée de mécanismes et de tuyaux projetait son ombre sur eux. Ce n’était pas juste un centre de réception, c’était le récepteur même. Le squelette de la construction constituait une Macopod géante au sein de laquelle on avait ménagé des espaces vides pour créer des couloirs et des bureaux. Il y avait peu de bâtiments à proprement parler dans la cité qui s’était orgaisée autour du Cerveau-Cœur : nul besoin d’abri quand on vivait sous terre. Les Mécanoïdes se rechargeaient dans des cavités naturelles ménagées dans d’immenses colonnes de stalactites et de stalagmites. Dans ces niches plus ou moins profondes, leur Mère à tous leur avait accordé l’accès à son énergie grâce à des bassins qui, de mémoire de Mécanoïde, avaient toujours été là. Aussi les rares constructions artificielles abritaient-elles toutes des machines facilitant l’existence de la communauté.

Comme, par exemple, ce fameux centre de réception macopodique où travaillait une foule de Messagers.

À l’intérieur, le Gardien se dirigea sans hésiter vers les hauteurs. Klixy le suivit dans l’escalier étroit et tortueux qui se frayait péniblement un passage entre les énormes engrenages qui ronronnaient autour d’eux. Ils finirent par atteindre un vaste palier. Là, sur la paroi du fond, s’alignaient les minuscules récepteurs de centaines de Macopod employés partout dans les entrailles de Mécanâmes.

La jeune Mécanoïde ne put s’empêcher d’un certain intérêt. Comment les Messagers préposés à tous récepteurs faisaient-ils pour ne pas les confondre ?

Seulement, Ixaq ne lui laissa guère le loisir de s’y intéresser de plus près. Il s’approcha d’un des employés.

— Requête : montre-lui. Je préfère qu’elle en prenne connaissance elle-même.

— Bien, Gardien.

Sans hésiter, l’homme fit signe à la jeune fille d’approcher et lui tendit une missive. Elle marqua une hésitation puis la saisit et commença à lire.

« De Kexeq au Vénéré Gardien. J’aurais voulu te contacter plus tôt mais de nombreux évènements ont requis mon attention.

Kalax a disparu. Pire, il a sombré dans la folie. Il a attaqué une Deux-Âmes avec sa propre arme et s’est enfui avec. Les Surfaciens redoutent qu’ils ne soient plus lui-même. Ils ont parlé de Déchue ou de Mère Noire. Je connais mal les archives sur l’Ère Rouille mais ces deux qualificatifs désignent la même personne et cette dernière serait en rapport avec cette époque de maudite mémoire.

Il se peut qu’il soit en train de rentrer. Méfiance si vous le voyez arriver.

De notre côté, nous sommes sur le retour aussi. Attention : nous sommes accompagnés de Surfaciens. En l’absence de notre Rouage, c’est moi qui ai pris la tête de notre délégation et j’ai pensé que cela était approprié de les laisser nous accompagner mais je ne puis t’en dire davantage dans cette missive. Kalax a une Macopod sur lui et je ne sais pas s’il en est capable ou non, mais une Deux-Âmes plutôt savante pour une Imparfaite pense que c’est tout à fait possible.

Une dernière chose : j’espère que les Méca-Médecins ont enfin mis au point un remède à l’émotionnite : là-haut, nous sommes tous atteints. »

Le fin feuillet de métal souple s’échappa des mains de Klixy. Lentement, en se balançant, il descendit vers le sol de pierre. Prise de soubresauts, elle entendit soudain un drôle de bruit,un son qui casacadait et qui hoquetait en rythme. Puis elle se rendit compte que cet enchaînement incongrus de sons brisés suivait le rythme de ses tremblements. Enfin, elle comprit ; c’était elle qui les produisait, ils émanaient de sa poitrine, de sa gorge, de ses corde vocales… C’était tellement incongru pour un Mécanoïde qu’elle s’en étonna. Que lui arrivait-il ? Et elle ne pouvait pas s’en empêcher…

Klixy riait. Et ce rire n’avait rien d’heureux. En prendre conscience la fit hoqueter de plus belle. La tête renversée, elle n’entendait même pas Ixaq qui s’efforçait de la rappeler à la raison, elle ne voyait pas les Messagers s’agiter autour d’elle.

Kalax avait disparu. Kalax, l’insensible, le froid, le raisonnable Kalax qui lui reprochait de jouer à l’Imparfaite avait été atteint d’émotionnite et ce n’était que maintenant qu’on le lui révélait. Pire. Son frère-de-forge s’était laissé terrasser par le mal. Il avait agressé quelqu’un, il avait volé, il avait fui. Quels ravages allait-il commettre s’il venait ici ? Allait-il détruire tout ce pour quoi les Mécanoïdes vivaient ?

Klixy riait et pourtant, elle avait peur. Peur pour elle, peur pour son peuple, peur pour Mécanâme elle-même. Qu’allaient-ils bien pouvoir faire à présent ?

Un Méca-Médecin la prit par le bras avec douceur. Sans cesser de glousser, elle le suivit docilement sous le regard indéfinissable du Gardien.

— Question : est-elle devenue folle, elle aussi ?

— Réponse : je ne sais pas. Ce drôle de bruit qui sort de son corps laisse penser à un dérèglement émotif. Regr… Hypothèse : peut-être n’aurais-je pas dû te demander de lui montrer cette missive…

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