XLII.

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Fureur flambante et flammes fracassantes,

Brûlent les Forges du Nord.

Frémissements furieux, fumées étouffantes

Tremblent et meurent les Hommes du Nord.

Las ! Tremblent les familles endeuillées.

Las ! Meurent les valeureux forgerons,

Et mon cœur pleure les frères brûlés

Et les beaux jours d’avant le début du chaos.

(Freyja Tisseflamme, Complainte du Feu)


Les craquements et grondements du feu affamé couvraient de leur fureur les quintes de toux des forgerons échappés de justesse aux bâtiments condamnés. Freyja se couvrit promptement le nez et la bouche avec sa manche. Elle venait de faire irruption sur les lieux du sinistres, suivie de près par ses amis Mécanoïdes et le reste des secours. L’odeur de brûlé et la chaleur qui faisait onduler l’air lui agressaient les sens. En plissant ses yeux larmoyants, elle tenta de discerner les visages des rescapés.

— Conseil : Freyja, concentre-toi sur l’incendie. Tout le monde doit s’y mettre pour le maîtriser.

Ailikx avait raison. À contrecœur, la Nordique se détourna et attrapa le seau d’eau qu’on lui tendait. De longues chaînes s’étaient formées entre le ruisseau qui coulait d’une source proche et les Forges en flammes. Malheureusement, au vu de la violence de l’incendie, cela ne suffirait pas…

Seau après seau, elle répétait mécaniquement les mêmes gestes avec l’absurde impression que le temps s’était arrêté. Elle se vit brièvement faire passer de l’eau à des mains de métal jusqu’à la fun des temps. Un cri vint la sortir de sa torpeur :

— Les Pierrefendre !

Effectivement, le sol s’était remis à trembler, mais il ne s’agissait plus d’une réplique du séisme, non : c’était le martèlement régulier de pas lourds. Les massifs habitants des glaciers parurent, leurs bâtons de glace à la main. Il se concentrèrent sur le feu tandis que la première vague de sauveteurs leur faisait place avec respect. Bientôt, le feu reculait, vaincu, puis mourait, réduit à des braises inoffensives – si tant est qu’un coup de vent ne vînt pas les attiser. Pour faire bonne mesure, les Pierrefendre arrosèrent de glace les restes rougeoyants. Grâce à la puissance de leur givrepierre, il ne resta plus que des charbons fumants.

Freyja parcourut du regard le squelette calciné des Forges. Des poutres rongées, une structure fragilisée, des restes noircis d’armes mort-nées, voilà tout ce qu’il en restait. Un silence d’autant plus lourd que le vrombissement des flammes avait été assourdissant planait sur elle et les autres spectateurs de cette scène de désolation. Un crissement, la sensation d’une présence à ses côtés.

Elle tourna la tête pour découvrir le maître forgeron. Les bras croisés, le visage maculé de suie et les sourcils froncés, il avait l’air plus mort que vif alors qu’il s’attardait sur le carnage. Cela lui rappela qu’en arrivant, elle cherchait…

— Mon frère, est-ce qu’il s’en est sorti ?

L’homme se tourna vers elle, l’air sombre.

— Freyja. Je suis désolé.

Un bloc de plomb lui chuta dans l’estomac. Elle s’éloigna sans répondre, tête baissée, l’esprit vide.

— Freyja ? Que se passe-t-il ?

C’était la voix de Kexeq. Ce timbre métallique où s’entendait malgré tout de la sollicitude ne trompait pas. Elle aurait voulu pouvoir lui répondre, mais c’était impossible. Elle fit un geste vague et poursuivit sa lente fuite vers le lac. Il comprendrait. Si ses sentiments naissants envers lui étaient partagés, du moins.

Ses sentiments… Jamais elle n’aurait cru que ses relations avec l’Intendant mécanoïde prendraient un tour pareil. Lorsqu’elle était entrée en relation avec lui et Ailikx, elle n’avait qu’une idée en tête : en apprendre le plus possible sur les habitants des profondeurs, gagner leur confiance en leur rendant la pareille avec des informations utiles sur son propre peuple et, peut-être, leur soutirer quelques secrets expliquant la qualité extraordinaire de leurs armes. Tout cela pour aider son frère à se faire un nom parmi les forgerons, parce qu’il était un piètre artisan mais qu’il rêvait de devenir meilleur que ses collègues moqueurs. Seulement, il était mort… Et avec lui, morte sa principale raison de vivre. Elle et lui étaient inséparables depuis toujours. Jamais fratrie n’avait été aussi soudée que la leur. Jamais.

*

À Husgard, les travaux allaient bon train. Solveig elle-même s’était retroussé les manches pour aider les siens. En compagnie de quelques autres, elle poussait une lourde poutre tombée en travers de la rue principale quand Astrid vint se planter à côté d’elle. La reine du Nord fit signe à un de ses hommes de la remplacer et s’écarta en s’épongeant le front.

— Je t’écoute, Astrid.

— La Porte Nord-Ouest est presque dégagée, ma Dame. Le marché a subi de nombreux dégâts matériel, mais aucun blessé n’est à déplorer de ce côté-là. En fait, la plupart des gens qui le fréquentaient sont partis aider à éteindre l’incendie aux Forges. Dans l’enceinte même, le secteur a un peu souffert également : les maisons les plus proches du mur ont vu leur toit éventré par les rondins effondrés. Les réparations vont bon train, cependant. Et d’après l’homme-temps des Deux-Âmes, il ne devrait pas pleuvoir les prochains jours, donc les familles seront au sec le temps que tout soit remis à neuf.

— As-tu des nouvelles des autres secteurs, amie ?

La porte-parole hésita et replaça une mèche flamboyante derrière son oreille.

— Peu de chose du côté du champ d’entraînement, en même temps il n’y a qu’une bâtisse sommaire pour abriter les armes émoussées. Elle a pris cher, mais sera facile à reconstruire. Du côté du lac, c’est un peu plus sérieux : les piliers des pontons sont fragilisés, l’eau a débordé et noyé les cultures. Pas de nouvelles des Deux-Âmes ni des Forges pour le moment.

— Merci. Nos alliés de la tribu sauront remettre leur camp sur pied sans nous. Mais pour ce qui est de nos forgerons, je crains le pire, hélas ! Aussi, je te demande d’aller te renseigner sur place au plus tôt.

— J’y vais de ce pas, ma Dame.

Astrid s’inclina et s’éloigna vivement. Songeuse, Solveig la suivit du regard sans vraiment y penser. Les nouvelles mitigées que lui avait apporté son bras droit lui serraient le cœur. Que de dégâts le tremblement de terre avait-il perpétrés ! Mécanâme était-elle donc vraiment si mal en point ?

Seules les Forges avaient pris feu. La Déesse Mère désapprouvait-elle leur façon de travailler le fer ? Ou était-ce un malheureux hasard lié à ses spasmes de souffrance ? Il faudrait qu’elle en parle au Rouage Mécanoïde quand il reviendrait avec la jeune Gudrun.

D’ailleurs, où sont-ils ? Et ma vieille amie ? Comme ils tardent à revenir ! Ô Dieux, pourvu qu’il ne leur soit rien arrivé !

Elle jeta un œil autour d’elle. La poutre était presque en dehors du chemin. La ville était aussi active qu’une fourmilière. Elle seule se trouvait désœuvrée.

Très bien. Solveig se rendrait donc elle-même au camp deux-âmes pour trouver le trio. Elle ne prit que le temps de prévenir ses soldats et de leur demander de rester sur place. Ainsi, si Astrid revenait avec des nouvelles de la Forge, ils pourraient lui indiquer où elle était partie. D’un pas vif, elle s’éloigna.

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