XX.

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L’Âme du Guérisseur est une des plus puissantes. Elle rivalise avec la Dormeuse. Sa tribu doit être honorée et respectée, car elle est bénie par la magie de Vie, et toutes les âmes qu’elle attire sont porteuses de paix, et de santé, et de longévité. Gare à ceux qui auraient de noires intentions à leur encontre : le tonnerre ferait entendre sa juste colère et la foudre les frapperait de son ire.

(Le livre des Mères)

Tandis que Kalax visitait discrètement les Forges de Husgard, Solveig, Dame de Husgard recevait une nouvelle délégation. Les Mécanoïdes demeurés dans le Grand Hall s’étaient mêlés aux Nordiques oisifs qui étaient venus assister à ce nouvel évènement. Le messager Ailikx avait réussi à se glisser au premier rang des badauds et ses yeux de feu enregistraient le moindre détail. Il rendrait compte de cette rencontre à son Rouage avec une précision d’horlogerie. Ainsi, l’émissaire pourrait donner l’impression d’avoir été présent si on venait à le solliciter sur ce sujet par la suite.

Les nouveaux venus étaient à la fois semblables et différents des Hommes du Nord. Semblables par leur apparence fragile, éphémère, et leurs cheveux, et les peaux qui couvraient leurs habits. Différents parce que leurs vêtements étaient plus colorés et surtout, par leurs yeux, brillants d’une intensité surprenante, comme si la flamme de Mécanâme y vivait. À leur tête, une femme âgée, se tenant aussi droite qu’une jeune fille malgré ses articulations noueuses, ses rides et ses cheveux d’argent. Le bâton qu’elle tenait semblait plus être un insigne de sa fonction qu’un appui. Et ses prunelles d’argent semblaient luire dans la pénombre mouvante de la salle.

— La tribu du Guérisseur vous salue, Reine du Nord et Grande Mère de Husgard. Que les esprits bénéfiques et l’Âme du monde bénissent votre peuple.

— Soyez les bienvenus, amis aux deux âmes, et vous tout particulièrement, Grande Mère de la Guérison. Notre maison est vôtre. Cette nuit, nous vous fêterons et nous réjouirons de votre visite en festoyant, en dansant et en chantant. Nos tambours résonneront jusqu’au cœur de vos plaines, et tous entendront et sauront que vous êtes venus à nous.

— Merci, Solveig. Et maintenant, fi de tout foin cérémoniel. J’ai des nouvelles sans précédent et des révélations importantes à vous faire. En privé.

Le ton ferme de la vieille femme et ses paroles autoritaires suscitèrent des murmures surpris, voire choqués dans la salle. Pour autant, elle ne se laissa pas démonter. Pas plus que la Dame du Nord, qui ne cilla pas un instant face à l’attitude péremptoire de son interlocutrice. Ailikx en prit bonne note : Solveig considérait cette humaine-là comme son égale. Il faudrait donc lui manifester autant de respect.

— Bien entendu, chère Eir. Les chambres habituelles sont mises à la disposition des vôtres…

— Pas besoin. Comme d’habitude, nous allons monter nos tentes à l’orée de ce village. D’ailleurs, ma tribu va s’atteler à la tâche. Tout de suite.

Sans plus attendre, les autres Deux-Âmes saluèrent d’un geste raide de la nuque et sortirent.

— Comme vous voudrez, répondit Solveig sans se départir de son calme.

Elle parcourut alors de son regard bleu l’assemblée.

— Retournez à vos occupations, je vous prie. Vous aussi, amis des profondeurs, je vous demande de sortir.

— Amis des profondeurs ? interrogea Eir.

— Explication : c’est nous, crut bon d’intervenir Ailikx.

En l’absence de Kalax et de son fils-frère Vellik, c’était à lui qu’il incombait la tâche de porte-parole. Eir le détailla de la tête aux pieds.

— Tiens donc, des Serviteurs du Monde. Intéressant. Pour l’heure, je n’en ai pas le temps, mais j’espère pouvoir échanger avec vous à l’occasion, hommes de métal.

Le messager acquiesça courtoisement avant d’emboîter le pas aux Hommes du Nord qui avaient commencé à sortir. Les autres Mécanoïdes l’imitèrent.

— Constat : cette femme est fascinante, commenta l’Intendant, une fois à l’extérieur.

— Affirmatif. Dame Solveig est déjà empreinte d’une forte aura d’autorité, mais ce n’est rien comparé à cette aïeule aux yeux brillants. Son halo magnétique est d’une intensité inégalée chez les Imparfaits que nous avons pu croiser jusque-là. Certitude : on le verrait en plein soleil, même sans nos visières.

Kexek acquiesça. Ses flammes oculaires, adoucies, semblaient s’être renfoncées dans leurs orbites, signe d’une intense réflexion.

— Suggestion : allons donc voir à quoi ressemble leur campement, proposa Ailikx. Explication : je suis curieux de découvrir ce qu’est une tente.

Sans se départir de son air concentré, l’Intendant acquiesça machinalement et tous deux se dirigèrent vers les abords de Husgard. Les tipis des Deux-Âmes commençaient à prendre forme : leurs perches de bois se dressaient déjà vers les nuages, chaque famille s’affairant à dresser le sien avec diligence. Quelques enfants nordiques rôdaient autour, curieux. Ils furent bientôt rejoints par ceux des nouveaux-venus et, en un temps record, ils se retrouvèrent à jouer ensemble comme de vieux amis.

Ce qui était sans doute le cas : étant donnée la familiarité de leur cheftaine avec Dame Solveig, ce n’était pas la première fois que cette tribu venait ici. Ailikx enregistra précieusement l’information pour plus tard et, de concert avec Kexek, il se mit à déambuler parmi les Deux-Âmes qui couvraient de peaux l’armature de leurs logis éphémères. Ces gens parlaient une langue proche de celle des Nordiques, mais néanmoins différente au niveau du phrasé. Les « r » sonnaient plus gutturaux, alors que les habitant de Husgard les roulaient. De plus… En l’espace de quelques minutes, il eut établi la liste des différences et des points communs. Un peu plus tard, son esprit d’analyse lui permettait de comprendre les propos qu’échangeaient les Deux-Âmes. C’était un jeu d’enfant : il avait un don pour analyser les langues. Comme tous les Messagers, d’ailleurs.

C’est ainsi qu’il entendit ces hommes et ces femmes parler gaiement du Grand Marché à venir, des affaires qu’ils concluraient avec les Nordiques, des mystérieux sorciers venant d’un autre village mortel, des farouches Sylvâmes qui sortiraient de leurs forêts pour l’occasion, apportant avec eux des plantes aux vertus merveilleuses, des Pierrefendres et de leurs gemmes de glace si précieuses pour la conservation des denrées périssables.

Tout un monde de nouveautés s’ouvrait devant lui et son cerveau mécanique avide de connaissances se délectait de ce festin.

C’est alors qu’une femme tourna la tête et aperçut les deux Mécanoïdes. Ses yeux céruléens s’agrandirent de surprise avant de se remplir d’admiration et elle s’avança vers eux.

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