XIX.

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Dans l’obscurité mortifère

Et la peur et l’horreur

Il façonnera l’âme digne de le porter.

Dans le retour à la lumière

Et le vrai courage du cœur et de l’acier la froideur

Il trempera l’âme digne de le porter.

(Les contes de la Montagne, « Le Marteau des âmes »)

L’issue de la caverne était condamnée.

— Pourquoi le Tournepierre ne bouge-t-il pas ? interrogea Anya, le front plissé.

Après leurs joyeuses retrouvailles, Gudrun avait raconté à ses compagnons d’infortune l’affrontement contre l’Azurâme et, en réponse à leurs questions, avait montré le Marteau qu’elle avait récupéré par la même occasion. Tous deux avaient paru étonnés qu’une telle relique se trouvât là. Ils étaient ensuite revenus sur leurs pas pour réveiller le gardien de la caverne et reprendre leur route, car le jour devait s’être levé depuis longtemps. Hélas, la créature de roche ne réagissait pas.

Harald tenta une nouvelle fois de l’appeler, de le pousser, mais rien à faire : Schiste-Roc semblait s’être changé en pierre. Il était mort.

— Mais bien sûr ! s’exclama Gudrun en se frappant le front.

Aussitôt, les deux adultes se tournèrent vers elle.

— Tu as une idée de ce qu’il lui est arrivé ?

— Oui. Je suis persuadée que c’est en lien avec la force de ce… cette Azurâme, là-bas. Je veux dire… Elle a bien failli vous tuer, tout à l’heure. Nous tuer. Elle nous avait privé de notre âme-forte. Et si elle avait aussi absorbé celle du Tournepierre ? Sauf que lui…

— … Lui n’avait qu’une âme, donc il est mort. Et une fois réduit à l’état de cadavre, il ne pouvait plus être réinvesti par son esprit une fois la bête éliminée… Tu as sans doute raison, Gudrun. C’est brillant, vraiment !

La jeune fille se redressa, rayonnante. Harald l’avait complimentée ! Ce n’était pas rien de recevoir une telle marque d’estime par un Deux-âmes aussi respecté. Mais alors elle croisa le regard sceptique d’Anya et aussitôt, elle rabattit un peu sa superbe.

— C’est bien beau, tout ça, mais quelle que soit la raison de cette mort regrettable, nous sommes coincés ici, fit observer la chasseresse, pragmatique.

— Peut-être que ce marteau…

— Non. Ce n’est pas une arme ordinaire. Le Marteau des Âmes n’a pas été forgé pour se frayer un chemin à travers la pierre. Ce qu’il frappe voit son âme se briser. Tu ne voudrais pas que la montagne elle-même nous tombe sur la tête, n’est-ce pas ?

— Mais je ne frapperai pas les murs de la caverne, juste Schiste-Roc. Après tout, il est déjà mort… protesta Gudrun.

— Mais comment peut-on être aussi stupide !? éclata Anya. Écoute-moi bien, jeune fille : un Tournepierre mort n’est plus un Tournepierre. C’est un caillou. Schiste-Roc est un tas de cailloux maintenant. Et vu sa position, il fait partie intégrante de la paroi de cette grotte. Autant dire qu’il est un composant parmi d’autre de la montagne. Donc, tu le réduis en miettes, tu détruis notre refuge. C’est compris ou c’est encore trop complexe pour ta petite tête d’adolescente rebelle ?

— Je…

La jeune Deux-âmes s’affaissa. Elle baissa la tête, laissant ses cheveux noirs poussiéreux venir masquer son visage brûlant d’humiliation.

— Allons, Anya, ne sois pas si dure avec elle. Elle est encore jeune, elle ne sait pas tout de nos traditions. Plutôt que de t’énerver après elle, pourquoi ne pas lui expliquer calmement les choses ?

La voix de Harald était un véritable baume pour l’amour-propre de sa protégée. Elle releva les yeux en essuya discrètement une larme.

— Oh, bon… Pardon, mon ami, mais j’ai du mal à conserver mon calme face à tant de naïveté… Et après, elle va dire qu’elle veut être traitée en adulte. Et puis quoi encore ?

Le sang de Gudrun ne fit qu’un tour. Elle riposta, en parodiant la chasseresse hautaine :

— Et après, elle va dire que se mettre en colère, c’est se comporter en enfant. Et puis quoi encore ? Ne vient-elle pas de s’énerver pour rien ?

— Oh ! C’est trop fort !

— Allons, du calme, mesdames, je vous prie. Pour le coup, Anya, Gudrun n’a pas tort. Nous ne pouvons lui reprocher un coup d’éclat si nous ne somme pas nous-mêmes capables de maîtriser nos émotions. Cessons ces disputes stériles, voulez-vous ? À moins que vous ne vouliez rester là à débattre jusqu’à la fin des âmes, je vous suggère que nous retournions sur nos pas pour explorer un peu ce réseau souterrain. Il y a sûrement une autre issue quelque part ! Après tout, ces montagnes sont truffées de grottes et de tunnels.

— D’accord. Mais je refuse que la gamine garde cette arme. C’est trop dangereux.

Et elle tendit la main en direction de Gudrun. La jeune fille hésita, jeta un coup d’œil suppliant au Grand Chasseur, mais celui-ci fit un geste du menton en direction du Marteau des Âmes. Cette fois, il se rangeait du côté d’Anya.

Je t’avais bien dit de cacher l’arme… Mais n’aie crainte, il vont avoir une sacrée surprise quand tu vas la leur donner. Allez, vas-y.

Faisant fi de ses réticences, Gudrun obéit et déposa son précieux fardeau entre les mains de la chasseresse. Alors, tout alla tellement vite qu’elle ne comprit pas tout de suite ce qu’il se produisait.

Un flash aveuglant l’obligea à fermer les yeux tandis qu’un hurlement inhumain retentissait, suivi d’un choc sourd et de gémissements effarés. Elle rouvrit les paupières et demeura sidérée devant la scène qui se déroulait devant elle. Le Marteau était à terre. Anya aussi, roulée en boule, les mains serrées contre sa poitrine. Quant à Harald, il était accroupi à ses côté et lui massait le dos en murmurant des paroles d’apaisement.

— Mes mains, mes mains, ne cessait de geindre la Deux-âmes éplorée, la voix stridente.

— A… Anya ? Que… ?

— Ne t’approche pas ! Ne t’approche jamais de moi !

Gudrun eut un mouvement de recul. Que se passait-il ? Pourquoi la chasseresse la regardait-elle ainsi, avec ce mélange de peur et de dégoût ? Jusque-là, cette femme lui avait manifesté du mépris, certes ; mais jamais de la répulsion.

— Regarde ce que tu m’as fait ! rugit-elle encore en tendant ses bras.

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