XVIII.

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Dans les couloirs de Mécanâme, nous ne cueillons que le minerai mûr qui sans nous pourrirait, et nous la remercions par nos soins empressés auprès de son Cerveau-Cœur et de ses rouages, ainsi que par notre vigilance envers les laviques parasites. Dans les mines des Hommes du Nord, tout filon est arraché à notre Mère sans égard, en attaquant sauvagement sa chair de pierre, en l’écorchant et en forçant quand le minerai résiste. J’ai bien essayé de les dissuader d’agir ainsi mais on ne m’a adressé que regards noirs et protestations vexées. Je n’ai plus le droit de visiter les mines, à présent. Je me suis adressé à la Dame de Husgard, mais elle a éludé. Seule sa fille, Solveig, a paru intéressée quand j’ai parlé d’échanges entre nos peuples pour éviter que l’on blesse la planète. Mais quand je lui ai demandé d’intercéder auprès de Dame Frydda, elle a refusé. La dirigeante du Nord est plus inébranlable que la montagne, m’a-t-elle dit. Mais plus tard, peut-être, quand elle-même lui aura succédé, un échange diplomatique devrait être possible. En attendant, je vais tenter de m’introduire dans les mines aussi discrètement que possible pour réparer les dégâts derrière ces apprentis mineurs aveugles à la douleur de la pierre.

(Xoklon, Carnets de voyage)

La visite guidée d’Husgard touchait à sa fin, la matinée aussi. Après la découverte du lac, des cultures, de la brasserie d’hydromel et du champ d’entraînement des guerriers nordiques, Kalax et les siens furent reconduits devant la Grande Salle.

Astrid s’apprêtait à les laisser quand Kalax l’arrêta en posant une main métallique sur son bras musculeux. Elle s’arrêta et lui lança un regard inquisiteur.

— Oui ?

— Femme du Nord, vous ne nous avez pas parlé de cette endroit-là.

Et il pointa du doigt les arbres derrière lesquels s’élevait de la fumée noire, sans la quitter des yeux. Elle cligna des paupières.

— Oh, ça ? Ce n’est d’aucun intérêt pour vous. C’est juste… vous savez ? Les Forges. Vous connaissez déjà cela, vous qui venez justement signer un accord avec notre peuple pour que nous cessions d’exploiter les mines.

— Objection. Je veux dire... Au contraire, c’est d’un intérêt capital ! J’ai besoin de voir comment vous vous y prenez. Je compte venir seul, naturellement. Les miens ont d’autres tâches à accomplir cet après-midi.

De fait, l’Intendant Kexek avait convenu avec son collègue humain qu’il le verrait pour échanger des méthodes sur la conservation des denrées périssables ; Ailikx, le messager, voulait découvrir comment s’y prenaient les hommes du Nord avec leurs pigeons voyageurs ; les patrouilleurs voulaient s’initier au combat avec les guerriers et leur faire découvrir le maniement des mousquets… Quant à Vellik, son fils-frère, il était très occupé à se faire oublier afin de se glisser discrètement derrière Kalax et Astrid pour fouiner dans le quartier des Forges et des mines pendant qu’ils accapareraient l’attention de tous.

L’émissaire nordique réfléchit. Le Rouage, impassible, l’observait, les bras croisés. C’était fou comme le visage de cette femme reflétait le cheminement de sa pensée. Fronçant les sourcils, elle se mordillait la lèvre et dans ses yeux, il lisait une réticence mêlée d’hésitation. Enfin, ces sentiments fondirent comme neige au soleil devant une détermination soudaine. Elle avait pris sa décision :

— D’accord. Mais d’une part, nous ne verrons que les Forges : je ne suis pas autorisée à faire entrer qui que ce soit dans les mines. D’autre part, ne posez aucune question et ne critiquez pas notre façon de fonctionner. Nos méthodes sont sans doute archaïques auprès des vôtres, mais vous avez l’avantage d’une civilisation plus ancienne, alors soyez indulgent.

— C’est entendu.

— Dans une heure, retrouvez-moi derrière le Grand Hall. Je tiens à ce que nous restions discrets.

Sans attendre confirmation de sa part, elle s’éloigna, toujours encadrée de ses sempiternels lanciers.

Pendant ce temps, les autres Mécanoïdes étaient rentrés. Seul Vellik attendait son père-frère près de la double porte, hors de portée d’oreille – pour un Imparfait, du moins. Il échangea un regard avec Kalax. Nul mot n’était nécessaire entre eux, il avait tout suivi. Ils entrèrent ensemble.

*

Quand vint l’heure du rendez-vous, Kalax rejoignit Astrid. Seul. Elle aussi était venue sans escorte. Elle lui adressa un signe de tête un peu trop sec, malgré ses efforts pour paraître détendue. Le Rouage en prit note. Si elle était nerveuse, peut-être n’était-elle pas censée lui montrer les Forges. Ou alors, peut-être craignait-elle qu’il ne découvrît quelque chose qui lui déplairait ?

Quoi qu’il en fût, il fit celui qui n’avait rien remarqué.

Tous deux s’enfoncèrent dans les arbres en silence. Le ciel s’était découvert entre-temps et les rayons de soleil filtrant entre les résineux tachaient de lumière le sol tapissé de mousse et d’aiguilles. C’était à peine si on entendait le crissement étouffé de leur pas. La forêt entière se taisait, comme si elle était sur ses gardes. Parfois, une bouffée de parfum venait à leurs narines. Suave, légèrement sucré, il s’affirmait quand le sentier se resserrait.

— C’est l’odeur des sapins, crut bon de préciser Astrid.

Kalax enregistra l’information en silence. Le monde de la surface était plein de surprises. Sa richesse olfactive, en particulier, le fascinait : les émanations sèches, un peu poussiéreuses, du bois et du feu dans le Grand Hall ; les effluves presque salés avec un soupçon d’aigreur du lac et de l’embarcadère de pêche ; les senteurs humides et fraîches de la végétation ; l’odeur musquée des peaux de bêtes et du cuir dans la tannerie ; et maintenant, le parfum enivrant des conifères majestueux. Quelles autres surprises l’attendaient dans les mines ? Aucune, sans doute : ils retrouverait les effluves familiers des souterrains et des boyaux de son monde.

Un changement d’atmosphère le ramena au moment présent. Autour de lui, la végétation se raréfiait et devant lui, une paroi abrupte dominait le duo de son écrasante présence. Au pied de la falaise, une balafre s’étirait, étroite et haute. Des échos lointains en sortaient, gémissements et chocs métalliques qui heurtèrent l’ouïe sensible du Rouage.

Constat : la terre souffre, ici. Les appréhensions du Gardien étaient légitimes, les Imparfaits s’y prennent très mal.

Adossée à montagne, la Forge crachait ses émanations ténébreuses en grondant et en grinçant. C’était un bâtiment de grande taille, surmonté d’une cheminée malingre et prétentieuse. Astrid avança vers ses portes béantes d’un pas ferme mais un peu trop raide pour être vraiment convaincant. Kalax jeta un regard derrière lui. Il entrevit un léger éclat d’or sombre, presque cuivré : son fils-frère l’avait donc bien suivi. D’un geste discret du menton, il lui désigna l’entrée des mines avant d’emboîter le pas à la Femme du Nord.

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