XVII.

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Sous la glace, il attend
l’âme qui peut le libérer
et sa puissance restaurer.

(Les contes de la Montagne, « Le Marteau des âmes »)

L’Azurâme poussa un cri de victoire silencieux. Son corps prisonnier parut fumer. Une brume d’un bleu sale s’éleva devant sa proie hagarde. Sentant sa peau se hérisser, Gudrun se ressaisit. Non. Elle ne se laisserait pas engloutir par ce montre. Elle ne le laisserait pas naïvement lui voler son corps. Mue par son instinct de survie, elle décrocha de sa ceinture la Cage d’Os miniature qui ne l’avait pas quittée depuis le début de ses mésaventures. Avait-elle toujours été aussi lourde ? Luttant contre la force invisible qui paralysait ses forces, elle la brandit devant elle en tremblant.

Âme maléfique aux noires intentions,

Au nom de la Dormeuse et des esprits anciens,

Rejoins céans ta prison

Mon âme est mienne, mon corps est mien.

L’espace d’un instant, elle crut avoir échoué. Le brouillard bleuté hurla, gémit, fonça sur elle. Tout à coup, l’artefact de la jeune fille se mit à émettre une aura de ténèbres. Au lieu de plonger vers sa poitrine, l’Azurâme se fit aspirer dans l’objet protecteur.

Affalée par terre, Gudrun regardait la gangue de glace sans la voir. C’était terminé. Le souffle stertoreux de la créature ancienne s’était tu. Son œil vide, ses tentacules immobilisés n’émettaient plus une lueur.

Tu as fait le bon choix.

La jeune fille sursauta, s’attirant un rire silencieux.

— Te revoilà, toi ?!

Pourquoi ce ton furieux ? Regrettes-tu ce que tu as fait ?

— Non, je… Il faut que je m’assoie. C’est tellement…

Elle n’acheva pas. Cette épreuve l’avait épuisée.

— Dis, pourquoi étais-tu parti ? J’aurais pu mourir !

J’étais là mais l’Azurâme m’empêchait de communiquer avec toi.

— L’Azurâme ? Comment une chose aussi atroce peut-elle avoir un si joli nom ?

L’âme-forte rit de nouveau.

Les Azurâmes étaient belles, à leur façon. Massives, intimidantes, cruelles certes ; mais oncques n’ai vu une telle élégance, une telle grâce de mouvement chez aucune autre créature ! Si tu avais arpenté le monde au temps où elles peuplaient les mers, tu n’aurais pas pris ce ton dégoûté pour en parler.

— Pour sûr, elles m’auraient tué avant que je puisse le faire, répliqua Gudrun.

Eh bien, eh bien ! Si je m’attendais à tant de répartie, après les plaintes infinies dont tu m’as empli les oreilles depuis que je voyage avec toi… C’est une façon de parler, bien entendu. Il y a des lustres que je n’ai plus d’oreilles.

— Je n’étais pas dans mon état normal. Je venais de perdre famille et amis.

Un craquement retentit soudain.

— Qu’est-ce que c’est ?

N’aie crainte. Ce n’est que la gangue gelée qui se fend et qui craque, maintenant que le sortilège d’emprisonnement qui immobilisait l’Azurâme n’a plus lieu d’être.

La peur envahit Gudrun. N’avait-elle tenu tête à ce monstre que pour finir ensevelie sous la glace ? Le sentiment d’urgence lui rendit assez de forces pour qu’elle parvînt à se relever.

Attends.

— Quoi !? Tu es fou !

Que nenni : tu ne risques rien. Au contraire, tu peux gagner beaucoup. Ne bouge pas et ouvre grand tes yeux.

Sous l’influence de l’âme-forte, la jeune fille sentit son souffle s’apaiser, ses membres se détendre. Ce fut presque avec détachement qu’elle observa le phénomène qui se produisait devant elle.

La glace se lézarda, puis se rétracta devant elle, révélant le cadavre momifié du monstre dont elle avait vaincu l’âme. Comme un automate, elle s’approcha de la dépouille. Un grand œil mort lui faisait face au dessus des tentacules désormais affaissés. De part et d’autre du globe vitreux, deux longs bras terminés par des mains aux doigts exagérément longs. Quelque chose brillait dans l’une d’elles. Une sorte de bâton torsadé. Intriguée, elle se pencha et s’efforça de récupérer l’objet. Ce n’était pas un bâton, c’était le manche d’une arme bien plus massive et lourde que ce qu’elle avait cru tout d’abord.

— Une arme ? s’étonna-t-elle.

C’est le Marteau des Âmes. Il n’a pas sa pareille en ce monde.

Une nuance de respect se percevait dans le ton de l’âme-forte.

— Je croyais que cette arme de mon peuple n’était qu’un mythe !

Autrefois, non. Elle fut maniée par un Héros puissant, et tous la craignaient et la redoutaient grâce aux victoires qu’elle lui a fait remporter. Hélas, elle fut perdue lors du combat qui opposa ce Héros à la dernière des Azurâmes. Moult Deux-Âmes l’ont cherchée en vain. Certains sont revenus les mains vides, à moitié fous. La plupart n’ont plus jamais revu leur foyer. Ainsi naquit la légende. Mais tu as su résister aux mensonges du monstre, et l’arme est à toi, désormais.

Émerveillée, Gudrun parcourut des doigts la surface de la relique richement ouvragée. En regardant de plus près, ce n’étaient pas de simples fioritures qui ornaient la tête du Marteau, mais des runes incantatoires qui se croisaient et s’entrelaçaient sans laisser la moindre surface lisse. La jeune fille s’efforça de les déchiffrer, mais dès qu’elle s’appliquait à les fixer, les inscriptions changeaient de forme. Elle préféra laisser tomber. Ce n’était certes pas le moment d’attraper une migraine.

On vient.

Elle se figea. Effectivement, elle entendait résonner le frottement de pieds chaussés de cuir. Bientôt, l’écho de voix familières vint frapper son oreille.

— C’est Harald et Anya ! Ils sont sauvés !

Le cœur léger, elle voulut se précipiter à leur rencontre, mais l’autre la retint.

— Quoi encore ?

Détruis ta Cage d’Os avec le Marteau. C’est nécessaire pour annihiler l’âme du monstre. Et ensuite, cache l’arme. Nul ne doit savoir que tu l’as. Autrement, on te la prendra.

Gudrun posa la prison de son adversaire vaincu au sol. En lâchant l’objet, elle sentit la hargne de l’esprit encagé se déchaîner sans résultat. Cela la fit presque sourire. Enfin, elle s’agenouilla et brandit la relique le plus haut possible avant de l’abattre avec force. Le craquement sinistre et le gémissement fantôme qui vint lui vriller les tympans avant de s’évanouir firent place à un épuisement mêlé de jubilation. Elle avait réussi ! Elle avait éliminé seule une créature légendaire que d’anciens Héros avaient juste su emprisonner ! Et sans son âme-forte.

Parce que tu aurais pensé à la pulvériser, sans moi ? Non, tu l’aurais laissée en cage et tu l’aurais oubliée. Quelqu’un l’aurait libérée par mégarde et nous aurions couru un grand danger.

D’accord. Presque seule. Merci, ô grande âme héroïque.

— Qui étais-tu, d’ailleurs, de ton vivant ?

Plus tard. Tes amis sont presque là.

Et en effet, Gudrun eut à peine le temps de se relever que les deux chasseurs, un peu hagards, émergeaient dans la caverne. Anya ouvrit de grands yeux.

— Mais… que… Gudrun, tu vas bien ? Et… et ça, c’est bien un… une…

— Une Azurâme, oui ! compléta une Gudrun rayonnante de fierté. Oh, si vous saviez comme je suis contente de vous voir !

C’était l’émotion de trop. Oubliant qu’elle était censée leur dissimuler ce qu’elle tenait, elle ouvrit grand les bras et se jeta dans ceux des deux adultes.

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