XIII.

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Cœur qui bat, rouages qui cliquettent : Mécanâme est sereine, la paix règne.

Cœur qui s’agite, rouages qui se grippent : gare aux laviques et aux âmes toxiques.

(Proverbe mécanoïde)

Dans les entrailles de Mécanâme, le Gardien constatait qu’il perdait la maîtrise des évènements, chose parfaitement nouvelle pour lui, aussi loin que remontât sa mémoire. Et elle remontait à des siècles en arrière. Cela faisait plusieurs jours qu’Ailikx l’avait contacté au sujet de laviques repérés très près de la surface. Depuis, les Nettoyeurs ne connaissaient plus aucun repos. Les parasites étaient partout. On en avait même débusqué dans les artères reliées au Cerveau-Cœur. Ce dernier n’était pas tranquille non plus, au vu des crises d’arythmie dont il souffrait à intervalles irréguliers. Évidemment, cela se répercutait sur les Mécanoïdes eux-mêmes : tous sentaient leur propre cœur accélérer, le vif argent courir plus vite dans leurs veines, leurs gestes devenir plus fébriles et moins précis. Or, comment s’occuper convenablement de l’entretien de Mécanâme sans leur dextérité coutumière ? L’organisme de la planète était aussi complexe et délicat que le mécanisme d’une montre. Il suffisait d’un rien, d’un rouage faussé pour que plus rien n’allât comme il fallait.

Haaztaxk, le Méca-médecin, avait donc décidé de passer la majeure partie de son temps près du Cerveau-Cœur pour l’apaiser et le soigner. Devant l’échec des traitements habituels, le guérisseur l’avait plongé dans un état de veille passive. Seulement, tant qu’il était en sommeil, l’ensemble de la planète se trouvait plus vulnérable et tout fonctionnait au ralenti. Le Gardien n’osait imaginer les dégâts : les saisons dureraient plus longtemps, les anciens monstres devaient être de retour à la surface, les âmes bannies autrefois pour leur noirceur risquaient de sentir l’affaiblissement de Mécanâme et d’en profiter pour briser leurs prisons mentales. Ceci dit, une anomalie avait dû se produire avant même le déclenchement des symptômes du Cerveau-Cœur : quelque chose s’était échappé, peut-être. Quelque chose qui avait affolé les laviques au point de les faire migrer dans tout le réseau veineux du monde au lieu de rester sur leur territoire restreint. Il faudrait envoyer une expédition là-bas pour s’en assurer mais c’était l’hypothèse la plus plausible : il y avait eu des précédents au cours des derniers millénaires.

— Gardien Ixak ? Un message pour vous. De Kalax.

— Compris. Donnez-moi ça, Messager Rilikx.

Le Mécanoïde lui tendit la missive qu’il avait retranscrite et attendit en silence que le doyen eût achevé d’en prendre connaissance. Les flammes oculaires de ce dernier pâlirent de perplexité à la lecture. Comment était-ce possible ? Kalax, devenir empathique ? Et même pire, s’il en croyait ce bout de métal gravé… Le courrier était on ne peut plus clair. Le Rouage s’était retrouvé un instant à la place de stupides poissons. À moins que ce ne fût pas de l’empathie mais plutôt un échange d’âme ? Une dépossession ? Une possession involontaire ? Quoi qu’il en fût, un tel dérèglement émotionnel était contre nature.

— Question : que dois-je répondre, Gardien ?

— Informe-le que je vais me renseigner dans les archives. Explication : son cas me rappelle un événement ancien. Conclusion : il faut que j’étudie le sujet de plus près. Conseil : en attendant, qu’il garde son mal secret. C’est indispensable. Vital, même.

Rilikx s’inclina et repartit vers la Salle des Macopods.

Et une donnée supplémentaire à traiter… Ixak se sentit vieux pour la première fois de sa longue existence.

Mais il ne pouvait s’attarder sur son âge. Tant qu’il n’était pas grippé par la rouille, il pouvait s’occuper des siens efficacement. Il reporta son attention sur le Sas. Autour de lui, les lieux fourmillaient d’activité. Le battement lent du Cerveau-Cœur endormi servait de toile de fond aux grincements des rouages de l’ascenseur, au frottement métallique des roues des chariots lourdement chargés freinant et accélérant sur les rails qui s’entrecroisaient, aux coups de pioche des mineurs ouvrant une nouvelle galerie là où Mécanâme, prévenante malgré sa léthargie, leur signalait la présence de nouveaux filons par un scintillement émeraude dans la paroi qu’elle avait intentionnellement rendu friable.

Une équipe de Nettoyeurs surgit des portes principales de la cité des Rouages. Les Lambda, au vu de l’insigne gravé sur leur casque poussiéreux. Les yeux ternes, leur costumes d’ouvrier froissés, ils avaient besoin d’un sérieux regain d’énergie. Le Gardien vint à leur rencontre.

— Au rapport.

— Information : nous avons bien avancé, Gardien. Toutes les galeries supérieures sont débarrassées des laviques.

— Qu’en est-il des autres secteurs ? Avez-vous des nouvelles ?

— Négatif. Explications : nos armes sont à court d’énergie, et nous aussi, donc nous n’avons pas pris le temps de rejoindre une autre équipe. Mais nous en avons croisé une sur le retour – celle des poumons, la Delta. Nos collègues ont besoin de se recharger aussi. Déduction : ils ne devraient pas tarder à rentrer.

— Merci. Allez donc vous reposer, vous avez fait du bon travail. Information : les équipes Nu à Omega vont bientôt partir relever les Alpha à Mu.

Les Nettoyeurs Lambda saluèrent et se dispersèrent en direction du quartier résidentiel.

Parfait. L’invasion de laviques sera vite maîtrisée, à ce rythme. Tâche suivante : traiter la demande de Kalax.

À son tour, le Gardien quitta le Sas.

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