IV

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La Mapocod : la Machine Portable de Communication à Distance a été inventée par les Mécanoïdes au cours de l’ère de l’Argent. Autant dire qu’elle existe depuis la nuit des temps. Il suffit d’y taper le message que l’on souhaite envoyer en sismolangue. Les ondes se propagent à travers la roche jusqu’au Centre de Réception. Là, un Traducteur les déchiffre et transmet la missive à son destinataire.

(Histoire des inventions à l’usage des jeunes Mécanoïdes)

La Surface. Si étrange, totalement méconnue si l’on exceptait les rapport de l’exploration Xoklon et de ce fait, à la fois hostile et attirante… Kalax avait entendu dire bien des choses à son sujet mais il ne s’attendait tout de même pas à cela quand il émergea de ses tunnels familiers. Alors que l’ascenseur les menait à la surface, lui et son escorte, l’air paraissait plus frais, plus léger sur ses senseurs faciaux. Petit à petit, l’obscurité éclairée par les mécalampes jalonnant la remontée fit place à une vague pénombre grise, diffuse. En haut apparut un point blanc, lumineux, qui grandit jusqu’à devenir un carré bleu. La clarté surfacienne, de plus en plus intense, dépassa bientôt en éclat la douce lumière ambrée qui baignait les tunnels de son monde natal. Les battements du Cœur du Monde étaient à peine perceptibles, désormais.

Quand la lumière devint trop éclatante pour encore distinguer les auras magnétiques de leurs compagnons, Kalax et les siens abattirent sur leurs yeux la visière de leur couvre-chef. Les forgerons l’avaient conçue pour filtrer les rayons trop vifs de ce que les Imparfaits appelaient soleil. Dans l’obscurité, les Mécanoïdes voyaient à la perfection : les êtres vivants et les objets inertes étaient parcourus d’un fluide magnétique invisible pour les êtres de chair, mais pas pour eux. Seuls les monstres faisaient exception à la règle, comme s'ils n'existaient pas vraiment. Autre limite à cette faculté, quand la lumière ambiante était trop intense, ils ne parvenaient plus à distinguer ce courant d’un blanc-bleuté, ce qui revenait presque à devenir aveugles. Le monde était terne sans ces auras à l’éclat variable. En tout cas, une fois en place, la magnévisière apportait une amélioration immédiate de la vision. On avait expliqué au nouveau Rouage qu’elle s’adaptait automatiquement aux variations de lumière. Un vrai bijou conçu par le premier Mécanoïde à être allé là-haut, Xoklon l’Explorateur, quarante-neuf ans plus tôt.

— Anomalie détectée dans la structure géologique, Kalax.

Comme l’ascenseur émergeait dans une petite grotte au plafond partiellement effondré, l’interpellé poussa un sifflement de mécontentement qui fit à peine réagir ses compagnons, tous au courant de son handicap émotionnel. Il faudrait prévenir le Noyau… Des réparations seraient nécessaires.

— Voilà qui explique cette insolite lumière bleue, constata-t-il en levant la tête vers le ciel ainsi dévoilé.

Avec la sensation de perdre l’équilibre, il reporta son regard sur les parois rocheuses. Ce vide au-dessus d’eux lui donnait le vertige. Au contraire, les veines de quartz scintillant dans la pénombre lui apportaient un certain réconfort, de par leur ressemblance lointaine avec les vaisseaux ambrés qui parcouraient le Noyau. Il inspira ? L’air était frais et chargé d’humidité, alors que sous terre, il était subtilement chargé d’odeurs minérales et sèches. Enfin, il se tourna vers son escorte.

— Projet : sortons d’ici.

— Et pour l’éboulement ? En attente d’instructions.

Le Rouage de la Surface se tourna vers celui qui avait pris la parole, un Mécanoïde à la peau de bronze un peu plus foncée, signe de son âge un peu plus avancé. Il arborait un chapeau de messager : un melon orné d’une broche en forme de parchemin roulé.

— Constat : le protocole à suivre est évident, Ailikx : transmets un message chez nous. Avantage supplémentaire : nous vérifierons ainsi le bon fonctionnement de ta nouvelle Mapocod.

— C’est comme si c’était fait.

— Instructions supplémentaires : pendant ce temps, vous autres, vérifiez bien que vous n’avez rien oublié dans vos bagages. Toi surtout, Intendant Kexek.

— Bien, Kalax.

En un rien de temps, tout ce petit monde était affairé sous l’œil satisfait du donneur d’ordres. Cette fonction d’émissaire n’était pas désagréable, somme toute. Il s’y sentait à sa place, comme un engrenage s’emboîtant à la perfection dans un boîtier de montre. Mais il n’avait pas le temps de rester inactif, sans quoi il ne vaudrait pas mieux que ces Imparfaits qu’il s’apprêtait à rencontrer. À son tour, il défit de ses doigts fins les lanières de son paquetage. Tout y était : les trois habits de voyage en maillage souple et solide, le costume officiel de sa fonction, des vêtements de nuit et une couverture anti-humidité pour éviter que l’oxydation des articulations pendant les mises en veille nocturnes, ainsi que le Noyifi, l’appareil pour se reconnecter au Noyau en dépit de son éloignement. La nourriture était du ressort de l’Intendant, tout comme l’huile désaltérante qui permettait d’entretenir les organes et les articulations.

Kalax était sur le point de tout ranger méthodiquement dans son bagage quand Ailikx s’approcha de lui.

— Information : la Macopod fonctionne à la perfection. Non seulement ton message est parvenu à destination, mais on m’a déjà répondu qu’on enverrait des Chirurgiens soigner la roche et combler le trou.

— Bon travail, Messager. Vérifie le reste de ton matériel. Autorisation de parler, intendant Kexek. Que se passe-t-il ? Ne devrais-tu pas être en train de finaliser l’inventaire ?

— Je suis certain à quatre-vingt-dix pour cent de ce qui a causé l’effondrement de la voûte.

— Objection : tu n’es pas un sapeur, la marge d’erreur de tes observations est donc potentiellement élevée. Injonction : concentre-toi sur ton travail et laisse la pierre à ceux qui la connaissent le mieux.

— Mais, Kalax…

Agacé, le Rouage s’apprêtait à le tancer vertement pour son erreur d’estimation quand un bruit étranglé les détourna de leur discussion. Les rouages de son cœur manquèrent de se figer, autant que faire se peut chez un être de métal. Trop occupé par la situation, il n’y prêta pas attention. Il poussa un sifflement d’alerte, le regard tourné vers un coin sombre de la caverne.

— Explication : un lavique. C’est de ça que je…

Kexek se tut, réduit au silence par un geste péremptoire de son supérieur. Sur un autre signe du Mécanoïde, un soldat dégaina une arme de poing dotée d’un cristal de Givrepierre. Sans perdre de temps, il tira dans la direction qu’on lui désignait. Le projectile chargé en magie du givre fit mouche. Une petite explosion retentit à l’impact, suivie d’un crissement grinçant où se percevait plus de haine que de douleur. Le ver de lave gros comme un bras qui jaillit soudain de son trou miroitait et dégageait une vapeur épaisse. Un éclat flamboyant luisait sous la gangue de glace qui l’enserrait. Kalax se tourna vers le tireur.

— Constat : il essaie de se réchauffer. Recommence.

— Oui.

Une deuxième détonation se fit entendre. Bientôt, le parasite gisait, gris comme la pierre et dur comme elle, au milieu d’un cercle de Mécanoïdes perplexes.

Que faisait un lavique si près de la surface ? D’ordinaire, ces parasites se traînaient dans les galeries les plus profondes et les moins fréquentées, cherchant les veines les moins protégées. Dès que l’un d’eux trouvait un point faible, il rongeait la paroi du canal fragilisé, s’y lovait en excrétant une roche friable pour reboucher le trou derrière lui. Il se nourrissait ensuite du sang du monde jusqu’à ce qu’un Mécanoïde vînt exterminer la vermine.

La présence d’un tel monstre à cet endroit semblait indiquer qu’ils étaient plus nombreux que d’habitude, cette année.

— Ailikx, préviens le Gardien en personne. Explication : il va falloir renforcer les défenses du Cœur et envoyer des Nettoyeurs partout. Nous sommes face à une invasion lavique d’une rare ampleur.

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