14 - Le détourneur

14 minutes de lecture

Langkah — Bordure

Quartier de la Nouvelle Goutte

— Carine, tu m’avais juré que tu ne recommencerais plus !

— Mais c’est vrai Béné, je t’assure que je ne trempe plus là dedans, je suis clean depuis plusieurs mois maintenant, s’exclame la technicienne.

— Alors, dis-moi comment tu connais la nouvelle planque de Jorge Massimof. La dernière a été démantelée par la police… l’année dernière ! Bon sang, il est affilié au Triumvi !

Benedict est devenu rouge de colère et d’appréhension. Il serre les poings de crainte depuis que son amie les a conduits dans une galerie creusée à même la colline, étroite et basse de plafonds, où s’entassent de nombreuses échoppes bondées et pleines à craquer de marchandises. Il y a de tout, ici : des vêtements élimés à côté des piles de textiles techniques sous vide, des bidons huileux de gula, des cristaux mordorés de sels, quelques étals de fruits et légumes visiblement sortis tout droit des serres coloniales — mais pas par la porte principale —, et surtout, des enchevêtrements de câbles électriques et des composants électroniques qui s’élèvent jusqu’à hauteur d’homme. C’est une de ces boutiques clandestines qui les intéressent, apparemment spécialisées dans les pièces détachées et les modules robotiques, dont les marchandises entassées tiennent les murs et se déversent quelque peu sur la surface de l’allée centrale. C’est le logo à l’entrée du commerce qui a fait tiquer Benedict : les lettres « J » et « M » combinées, rouge sur fond noir, taguées à la va-vite.

— Tu sais que ça peut te coûter très cher ! reprend-il, alors que Carine enfonce le bouton vert posé en évidence sur le comptoir.

— Je n’ai plus rien refourgué à Jorge depuis des plombes, lâche-t-elle. Mais des collègues l’approvisionnent encore, c’est pour ça que j’ai toujours des échos… Béné, je te jure : je suis réglo.

Une bille chromée volante de la taille d’un poing apparait de sous l’établi lorsque le carillon retentit. Elle se positionne à hauteur de visage, scrute attentivement les nouveaux venus de son œil de verre poli, puis s’enfuit à l’arrière de la boutique.

— J’ai entendu parler de ce Massimof, annonce Paul. C’est un détourneur, un des principaux de la Goutte, qui possède tout un réseau spécialisé dans le recel de pièces volées. Alors comme ça, vous détournez du matériel  ?

— Je ne détourne rien… maugrée Carine. Je ne fais que récupérer des cartes à puces sur la chaîne de recyclage. Il y a des gens qui paient bien pour mettre la main sur des modules intercom ou des interfaces d’authentification en état de marche.

— Pirater des composants certifiés par l’amirauté est illégal, vous pouvez être accusée d’usurpation d’identité, renchérit le commandant d’un ton neutre.

— Mais je ne détourne rien ! Franchement, si une machine arrive jusqu’à la benne, c’est bien que plus personne n’en veut, non ? Et puis ne cherchez pas à me faire la morale, j’vous verrai bien à l’usine… Quand il faut boucler les fins de mois, les barrettes qu’on gagne ici sont les bienvenues… Oh et puis ; je m’en fous de ce que vous pensez.

Énervée, Carine se détourne de ses compagnons et fourrant ses mains dans les poches. Comme personne ne semble pressé de les accueillir, elle soulève rageusement la porte du comptoir et passe de l’autre côté pour rejoindre l’arrière-boutique. Benedict la suit avec inquiétude, abandonnant les deux Intra-M et l’enveloppe vide au milieu des clients de la galerie. Naomi regarde Carter-Yuko, qui soutient toujours Daphné d’un bras passé sous son épaule.

— Je crois que l’on ferait mieux de rester avec eux, hasarde-t-elle.

Paul hausse les sourcils puis l’invite à pénétrer dans le commerce clandestin de pièces « récupérées ».

***

— Carine ! s’écrit une voix nasillarde lorsque la technicienne franchit le chambranle de la porte. Ma petite recycleuse préferée, quelle surprise ! Tu reprends du service ? Que fais-tu ici avec ton pote Benedict, monsieur propre sur lui ? Gamin, je ne t’oublie pas tu sais, et si tu changes d’avis, je suis toujours intéressé pour du matos de cliniques génomiques.

Benedict devenu blême s’apprête à se défendre, mais Carine lui fait signe de laisser tomber.

— Pouvez-vous m’expliquer pourquoi vous êtes entrés dans mon labo sans y avoir été invité ? Ce ne sont pas des manières.

— Salut Jorge, déclare la technicienne en plissant des yeux pour s’habituer à la pénombre de l’atelier. Personne n’a répondu. Alors je suis entrée, car je craignais te voir t’enfuir par une porte dérobée.

La voix grave étouffe un rire grinçant :

— Ah, ah, toujours aussi amusante… Mais je n’apprécie pas trop que tu débarques sans m’avertir au préalable. Avec des têtes inconnues, encore moins. C’est fâcheux.

Une table racle contre le sol et une silhouette fluette bouge dans l’obscurité. Jorge Massimof surgit de l’ombre, vieil échalas émacié aux yeux brunis par le krys, il avance gauchement en se pliant pour passer sous les charpentes métalliques qui soutiennent le plafond bas de la pièce encombrée. Le détourneur se gratte le cou d’une main couverte de cambouis et s’essuie lentement sur son tablier de cuir.

— Surtout quand tu ramènes des Intras chez moi, dont un indivis, rajoute-t-il lorsque Paul apparait dans l’ouverture à la suite de Benedict. Même si l’état pouilleux de son bout d’uniforme parle pour lui : il n’a pas l’air dans sa meilleure forme. Qui est-ce, un nouveau renégat ? chuchote-t-il d’une voix traînante. Soldat, votre visage m’est familier, on se connait ?

Le commandant fait mine de n’avoir rien entendu et hoche la tête pour saluer le détourneur. Jorge sourit de toutes ses dents, avec un rictus étrange qui étire sa peau parcheminée sur ses os saillants. Ses yeux calculateurs s’illuminent d’une lueur avide tandis que Paul assied Daphné sur un fauteuil de l’entrée que Benedict débarrasse d’une pile de cartouches numériques usagés. Naomi se fait toute petite et vient se caler entre le squelette désossé d’une armure de chantier poussiéreuse et un établi surchargé des entrailles éventrées d’un drone.

— Alors, dis-moi, Carine, poursuit le vieil homme. D’habitude, t’n’as pas besoin d’une escorte pour m’apporter des pièces à recycler. À moins que tu ne connaisses quelques difficultés ? Laisse-moi deviner, je suppose que ce sont eux qui t’en posent, non ? ajoute-t-il en pointant négligemment les deux Intra-M et l’enveloppe vide.

— On doit faire désactiver nos modules perso, déclare la technicienne en faisant face à Jorge.

— Tu veux dire : tes implants ? s’esclaffe le détourneur. Et tu me demandes ça avec un indivis dans la place ? Franchement, t’es gonflée.

Le vieil homme rit tout seul et s’approche d’un bureau calé contre un mur.

— La réponse est : non, ajoute-t-il en s’asseyant négligemment sur un tabouret.

— Ton prix sera le mien, nous avons besoin de falsifier nos profils !

— Oh, mais ça je l’ai très bien compris ! susurre-le détourneur. Mais je sais aussi que ça chauffe dehors, que ce n’est pas le moment de se faire choper à faire sauter des certificats gouvernementaux. T’n’aurais pas les moyens de toute façon de t’offrir mes services.

— Moi je les ai, déclare Paul en haussant le ton, agacés des manières du vieil homme. Si vous nous aidez, je vous garantis que vous serez grassement rétribué et que l’on pourrait même passer l’éponge sur un certain nombre de vos… activités peu recommandables.

— Vous êtes éloquent, et bien sûr de vous. Mais je ne vous crois pas, réplique Jorge en claquant la langue. Tout Intra que vous êtes, vous ne pouvez pas vous offrir mes services ; l’état de votre uniforme me dit que vous connaissez quelques difficultés actuellement.

— Vous avez un lecteur d’authentification ? demande le commandant en guise de réponse.

Jorge plisse les yeux et hoche lentement la tête. Il pointe une petite boite translucide suspendue à l’entrée de l’atelier, Paul la détache et active le capteur optique à son sommet.

— Il n’est pas connecté à la sphère ?

— Bien sûr que non, miaule le détourneur. Vous me prenez pour qui ?

Paul acquiesce et passe son poignet au-dessus de la machine. Celle-ci s’illumine et le commandant la lance à Jorge qui l’attrape à la volée.

— Paul Carter-Yoko ! Grand chef de la brigade des indivis ! s’exclame le vieil homme en découvrant l’identité de son interlocuteur sur l’écran du lecteur. Ça pour une surprise ! Mais que fait un membre de la Famille dans ma modeste boutique ?

Benedict et Naomi sursautent et dévisagent le militaire, estomaqué par la révélation du détourneur. La brigade des indivis qui a débarqué chez eux était pilotée par le patron en personne. Paul ne bronche pas, et se contente de hocher le menton silencieusement. La technicienne fait un pas de côté comme pour s’écarter du soldat et jette un œil en direction de Naomi, suspicieuse.

— Toi aussi tu fais partie de cette clique ? s’inquiète l’extra en se penchant vers la jeune femme.

La scientifique, gênée, secoue la tête en signe de négation.

— Sérieusement ? Vous n’étiez pas au courant que votre gars, là, c’est une huile ? ajoute le détourneur en se frottant les mains. En tout cas, vous gagnez en intérêt.

— Ce n’est pas votre problème, gronde le militaire. Je vous demande de modifier mon module et ceux des deux Extras. Je valide une transaction pour le détournement et nous partons. Je ne discuterai pas le prix, faites-vous plaisir.

— Et les deux autres, elles n’en ont pas besoin de mes services ? sourit le contrebandier en montrant Naomi et Daphné du menton.

— Pas vraiment, répond Naomi en secouant la tête. Par contre quelque chose à boire et à manger, pour notre amie, là… Elle en a besoin.

— Prends ce que tu veux chez mon voisin dans la galerie, réplique le détourneur en dépliant ses jambes sous son bureau. Tu lui diras de mettre ça sur le compte de Jorge. Acceptez ça comme un maigre effort commercial par rapport à ce que vont vous coûter les détournements de trois modules sous-cutanés. Les autres, restez avec moi.

***

Naomi, morose, attend assise sur le coin du comptoir principal. Elle a repoussé sans ménagement la carcasse d’un robot majordome pour se faire de la place — elle n’imaginait pas que ces petites poupées gigognes puissent être aussi complexes —, et tend un nouveau biscuit olivâtre à Daphné.

L’enveloppe vide a repris des couleurs, la cannette fraîche de dogger qu’elle avale goulument y est sans doute pour quelque chose. Daphné se goinfre littéralement, elle engouffre un à un les gâteaux épais que lui donne la scientifique. Elle cesse de mastiquer lorsqu’une pièce métallique tombe dans son dos, mais reprend de plus belle quand elle reconnaît Benedict sortir de l’atelier. Le purgeur ramasse les plaques qu’il a renversées puis rejoint les deux femmes attablées.

— Désolé, s’excuse-t-il, c’est un foutoir ici.

Le jeune homme grimace et se masse le poignet droit. Une longue bande rouge lui traverse l’avant-bras et lui zèbre le dos de la main. Il la secoue avec insistance, réajuste le pansement à la base de son pouce et redescend lentement la manche de sa veste.

— Ça fait mal ? demande Naomi par politesse.

— Ça brûle un peu au bout des doigts, c’est tout… Mais pas autant que lorsqu’on injecte le module. Jorge dit que ça sera pire dans une heure : le remplacement de la puce se passe sous anesthésie donc pour l’instant je ne sens pas grand-chose. Selon le module, ajoute-t-il en caressant le tatouage holographique, je m’appelle Gabriel maintenant…

Benedict joue distraitement avec une pilule d’antalgique. Il attrape une des cannettes de dogger ramenées par Naomi et avale le médicament d’une rasade. Daphné regarde avec envie la boite colorée que le jeune homme porte à ses lèvres.

— Tu as la tienne, réplique-t-il.

Pour seule réponse, l’enveloppe vide ramasse rapidement les quelques biscuits que Naomi a posés sur la table et les couvre de son bras.

— Je te les laisse, les painsels, c’est dégueulasse de toute façon.

— Je n’ai jamais rien mangé d’aussi bon, répond Daphné avec la bouche pleine et les joues parsemées de miettes.

Le purgeur hausse les épaules et termine sa boisson d’une traite.

— T’es le premier à passer ? demande Naomi alors que Benedict cherche une poubelle ou jeter la boite. C’est pas un rapide, Massimof.

— Oui, le commandant, là, il n’avait pas confiance… Et puis il a quand même essayé de négocier quand le vieux lui a donné son prix. Il a perdu un temps fou. Vous comptiez nous le dire quand, qu’il faisait partie de la Famille ?

— Est-ce que ça a beaucoup d’importance ? murmure Naomi en aidant Daphné à décapsuler une nouvelle cannette. Ce n’est pas comme si l’on avait eu l’occasion de faire connaissance dans de bonnes conditions. Je pense qu’il y a plus urgent… Et sa fortune nous ouvre quelques portes tout de même, vous ne pouvez pas le nier.

— En tout cas, rumine le purgeur en baissant la voix, nous ne pouvons pas rester longtemps dans les parages. Massimof est dangereux. La promesse de vingt-cinq mille barrettes de votre patron le retient pour l’instant. Mais dès que le transfert aura été réalisé, il ne faudra plus rien attendre de lui, si ce n’est des ennuis.

— Seul, comme ça, il n’a pas l’air bien méchant, tempère Naomi.

Benedict regarde la jeune femme assise bien droite sur son tabouret. La naïveté de l’Intra est confondante.

— Ce n’est pas parce que tu ne vois personne, que le bonhomme est sans défense. Et puis, il a le bras long, il a ses entrées au Triumvi, il navigue en eau trouble. Je ne serai pas surpris que nos identifiants soient déjà partagés avec le reste du syndicat.

— Okay, dès que l’on a fini avec lui, on dégage d’ici, acquiesce la scientifique. De toute façon, il faut que l’on rejoigne la caserne de la brigade, c’est à mon avis le seul endroit sûr que nous avons. Les vaisseaux-capsules sont suffisamment protégés, ces exos n’oseront pas s’y attaquer.

— Ils ont bien réussi à bousiller la clinique génomique… remarque Benedict, amer. Elle est pourtant dans le périmètre des capsules.

La remarque du purgeur fait mouche et la scientifique laisse apparaitre un visage déconfit. Daphné engloutit un biscuit et sourit franchement à ses deux compagnons.

— Benedict, demande-t-elle, tu dois terminer mon VK2.

— Là, tout de suite, je ne peux pas, refuse le jeune homme fatigué. Et je ne crois pas que cela soit utile, non.

— Pourtant je suis synchronisée maintenant, il n’y a plus d’inquiétude à avoir pour ça. Regardez-moi !

Daphné saute sur un pied et se maintient en équilibre. L’enveloppe vide semble ravie de ses prouesses, elle avance sans se tenir au comptoir et fait le tour de la pièce d’un pas alerte.

— Regardez, je marche seule ! s’exclame-t-elle une nouvelle fois.

— Tu es sûr de ton coup ? murmure Naomi en regardant la jeune femme pieds nus en cape orange faire des aller-retour dans la boutique. Je veux dire… Elle ne m’a pas l’air si absente que ça…

— Pratiquement certain, hésite Benedict. Plus le test dure longtemps avec un patient, plus les résultats d’un VK2 s’affinent… D’accord, je n’ai passé que quelques minutes à la contrôler, c’est vrai… Mais les rapports initiaux étaient mauvais, donc même si la marge d’erreur est importante, cette enveloppe n’aurait jamais atteint le score requis pour être conscient.

— Le fait que ce n’est pas le bon profil cognitif qui a été injecté ne peut pas expliquer ces écarts ?

— Pas uniquement, répond Benedict. Un VK2 ne marche pas comme ça. Tu te rappelles des questions de Carine sur l’empreinte cognitive ? Et bien Daphné en possède une. Son empreinte cognitive est valide. C’est un prérequis essentiel et suffisant pour passer le test, et les purgeurs se moquent bien du processus physique qui supporte ce kyste.

— De quelle manière fonctionne-t-il ?

— De façon très simple, annonce Benedict en se tournant vers la scientifique attentive. Tu sais que l’on ne peut pas accéder à la conscience phénoménale de son voisin. Personne ne le peut. En revanche, nous avons des indices de sa présence, nous les utilisons en permanence pour prévoir les réactions de notre voisinage. Nous tous, qui sommes des êtres vivants conscients, évaluons de manière empirique nos interlocuteurs, naturellement. Nous devenons les interprètes des sentiments de notre entourage.

— Tu veux dire que l’on s’appuie sur notre propre vécu pour valider celui d’un autre ?

— Effectivement, nous sommes tous, pour ainsi dire, des experts en la matière ; aucun algorithme ne nous arrive à la cheville pour juger de la conscience, et le VK2 utilise cette particularité. Dans le fond, le test est simple. Nous présentons au sujet des éléments chargés émotionnellement : peur, joie, dégout, colère, tristesse. Des trucs intenses. L’objectif est de susciter des réactions fortes liées au ressenti, au vécu, afin de permettre au patient de montrer l’effet que ça fait, d’exprimer, de vivre ces émotions. Puis nous menons deux analyses en parallèle, l’une effectuée par un algorithme spécialisé, l’autre par un purgeur entraîné. Chacun cherche à prévoir la réaction du ressuscité. Si l’ordi fait aussi bien que l’humain, ou si l’écart est trop faible entre les deux projections, le de-nouveau-né est recalé, déclaré enveloppe vide… et purgé. C’est le problème avec Daphné, ses premières réactions collaient beaucoup trop aux prédictions de la machine.

Daphné continue de tourner énergiquement dans la boutique, avec une extraordinaire concentration. Elle tape des talons, les bras tendus le long du corps et les poings crispés. Elle a l’air en dehors du temps, investi d’une énergie débordante.

— L’interprète humain et vraiment meilleur qu’une IA ? questionne Naomi en se retournant vers le purgeur.

— Oui, et heureusement, s’exclame Benedict. Imagine qu’un algorithme soit en mesure de prévoir tous tes faits et gestes, même ceux que tu considères comme intimement soumis à tes émotions et à ton libre arbitre. Pourrais-tu juger que ta conscience est quelque chose de tangible ? Qu’elle n’est rien d’autre qu’un artefact étrange lié à un processus physique, une simple illusion ?

— Ce serait bouleversant… Et perturbant, reconnaît Naomi tout en replaçant une mèche de cheveux derrière son oreille.

— Exactement, acquiesce Benedict en s’étirant. Non, aujourd’hui, la présence d’un interprète conscient est essentielle, et toutes les expériences vont en ce sens. Et c’est tant mieux.

Au-dessus de leurs têtes, un écran holographique crache toujours le même discours sibyllin : « je suis bénévolent ». Soudain, le message disparait dans un flash lumineux, attirant tous les regards, même celui de Daphné pourtant plongée dans son monde. Des images de Langkah viennent le remplacer. D’abord floues, les vidéos s’affinent, à tel point que l’on peut désormais reconnaître de nombreux quartiers de la ville. La majorité des prises de vue proviennent de caméras de surveillance, elle dévoile des zones entières de la colonie, principalement aux abords des vaisseaux-capsules ou à l’intérieur de lieux névralgiques : les centrales électriques, l’aéroport, les industries chimiques… Un point commun à tous les images glace d’effroi Naomi : chaque holovidéo s’attarde sur un groupe de brigadiers en armures, ou des exosquelettes militaires en faction. Ces derniers sont tous immobiles, quand ils ne se sont pas écroulés dans la poussière comme des pantins auxquels on aurait coupé les fils. Certains fument, tous sont recouverts d’une huile mauve qui bout hors des interstices de leurs plaques de céramique, tandis que leurs hôtes essaient tant bien que mal de s’extraire de leurs carcasses neutralisées.

Un message tourne en surimpression au-dessus de chaque hologramme :

L’amirauté n’est plus

Je contrôle toute la colonie

Entre vous, soyez bienveillants

Pour tous, je suis bénévolent

Puis, toutes les machines de la boutique se mettent à clignoter et à biper brusquement.

— C’est quoi ce bazar ! sursaute Paul en s’extirpant de l’atelier au moment où le matériel électronique reprend vie.

Le militaire est suivi de Carine et de Jorge qui ferme la marche. Le vieux détourneur, renifle et sors un module réseau de sa poche.

— Le signal télécom est revenu, grince-t-il en donnant une pichenette à son écran. Et ça, ça n’arrange pas vos affaires, ajoute-t-il en pointant un doigt décharné vers l’hologramme.

Ce dernier cesse de défiler. Lentement, ses lettres blanches s’effacent, remplacées par une nouvelle phrase. Les vidéos s’estompent, puis le contour d’une personne se dessine dans les airs.

— Et j’espère que vous avez une explication pour ça également, gronde Massimof.

Naomi tremble de tous ses membres et Paul étouffe un juron. Car il n’y a aucun doute : sur tous les écrans connectés à la sphère, le buste de Daphné flotte, souriant, presque rieur.

Daphné sera ma voix

Écoutez Daphné

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire David Campion ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0