12 - Je suis bénévolent

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Langkah - Bordure
Quartier du Fer-Blanc

Le glisseur dévale l’avenue à toute allure dans un vrombissement électrique. Les quatre exosquelettes s’échappent de sa carlingue alors qu’il est toujours en mouvement : ils s’élancent, se réceptionnent avec souplesse et se précipitent à l’entrée du bâtiment tout en activant leurs armes d’assaut.

Le blindé bascule sur son axe et ses suspenseurs se chargent de plasma blanc lorsqu’il pile contre le trottoir. Paul Carter-Yuko pose un pied au sol et tâte le manche de son foudroyeur contre sa hanche. Il regarde autour de lui, le temps d’apercevoir quelques passants courir pour se protéger dans les allées perpendiculaires. Stationné à quelques mètres de là, il reconnait sans peine le glisseur anthracite marqué du logo à tête d’éléphant ailé : il s’agit d’un petit véhicule autonome de l’amirauté, utilisé pour transporter deux personnes et capable de supporter le poids d’un exosquelette. Furio en a emprunté un pour mener son enquête ; le matricule correspond d’ailleurs à son dossier, elle se trouve déjà sur les lieux. L’absence de son garde du corps rassure quelque peu le commandant, elle est partie à la rencontre d’Orca-Nino avec son escorte, ce qui est sage vu le contexte.

Karim se porte à sa hauteur en réajustant sa veste.

— Naomi est encore là, remarque le scientifique en jaugeant le blindé.

— Ça ne fait aucun doute, grommelle Paul en avançant d’un pas décidé vers l’entrée de l’immeuble. Capitaine, demande-t-il à l’exosquelette dont l’épaulette est ornée d’une bande rouge, avez-vous réussi à entrer en contact avec madame de Furio ?

— Non mon commandant, grésille sourdement le soldat. Nous n’arrivons pas à établir de communication.

À l’abri du hall, Paul active son module holographique sous-cutané et vérifie la géolocalisation des balises militaires. Naomi est une civile, qui de surcroit ne s’est pas équipée d’extensions numériques, il ne pourra pas la suivre avec les applications embarquées par défaut sur son intercom. En revanche, le soldat qui l’accompagne devrait apparaitre sur la carte dynamique qui s’affiche au creux de sa main. Ce n’est pas le cas, même son armure de combat reste invisible ; c’est comme s’il avait disparu de la surface de la planète. Cette situation ne lui dit rien qui vaille, le militaire devrait se trouver dans les parages et son absence lui fait craindre le pire : si leur ennemi pilote une IA capable de falsifier les transactions privées de l’Amiral, elle est également susceptible de pirater et de brouiller leurs systèmes. Tous leurs systèmes, même les plus élémentaires.

— Bien, préparez-vous, indique-t-il à son escouade. Nous entrons en jeu. Rappelez-vous, nous avons affaire à des forces inconnues, considérez-les comme hostiles.

— Commandant ? s’élève la voix hésitante de Karim.

— Vous, réplique Paul sans même se retourner, restez dans le blindé, personne ne sait comment ça va tourner.

— Merci, répond le scientifique, rassuré.

Et tandis que Karim se calfeutre dans le glisseur de l’amirauté, Paul resserre les plaques de son armure légère et les monstres de céramique vérifient une dernière fois leurs équipements.

***

— Pardon ? s’exclame Naomi en dévisageant Daphné.

— Je ne suis pas un échec, je suis bien consciente et je ne permettrai à personne d’en douter ! revendique la jeune femme débraillée.

Elle se penche en avant et s’appuie de toutes ses forces sur la table de basse pour se redresser. Daphné se soulève et gémit, ses genoux flageolant sous l’effort.

— Tais… toi, croasse Carine, peinant à reprendre son souffle. Mais, tais-toi !

La technicienne tend le bras vers l’enveloppe vide qui, dans un réflexe, esquive le geste et se rattrape contre le mur. Naomi reste bouche bée pendant que Carine tombe lourdement du sofa, Benedict se prend la tête entre les mains et se lamente de plus belle.

— Pas question, réplique Daphné en se redressant avec fierté. Regardez ! Je tiens debout, et j’ai décidé de le faire ! C’est une preuve que je ne suis pas une enveloppe vide !

— Tu n’es pas… Une enveloppe vide ? répète Naomi frappée de stupeur.

Elle se tourne vers le purgeur, abasourdie. Celui-ci se veut suppliant et au bord des larmes :

— Ce n’est pas ce que vous croyez ! Je peux tout vous expliquer ! Je ne voulais pas la sortir, mais hier à la clinique, la situation est devenue flippante, ils… Ils ont tiré partout, mais je jure que je n’y suis pour rien, je ne les ai même pas vus et je n’ai pas réfléchi, j’ai…

— Bordel, ferme-la ! Tu cherches à mourir ou quoi ? s’emporte Carine en serrant les poings.

L’éclat de voix de la technicienne brise d’un seul coup l’atmosphère tendue du salon. Benedict se laisse glisser contre le mur pour se recroqueviller, le visage tiraillé par l’angoisse. Daphné fait un pas de côté et se soutient contre la paroi, luttant pour se maintenir droite. Carine halète, les joues cramoisies. Elle prend une grande inspiration et se lève doucement pour se diriger vers Naomi. L’Intra-M s’écarte un peu et jette un regard nerveux en direction de la porte d’entrée. Carine lui en bloque l’accès.

— Béné n’y est pour rien, assène la technicienne d’un ton abrupt. Mais je crois qu’à ce stade, on vous doit des explications… Je vous supplie de laisser Benedict en dehors de tout ça, ce n’est qu’un pauvre Extra qui n’a rien à voir avec ce bazar à la clinique. Il a paniqué, ce n’était pas son intention de voler une enveloppe.

— Bien sûr, murmure Naomi en se passant la langue sur les lèvres. Je n’ai pas bien compris le problème, mais je ne vois pas bien le rapport avec mon affaire… Vous me dites que votre amie est une enveloppe vide ?

— C’est faux ! glapit Daphné.

La jeune femme trébuche, mais elle se reprend et se laisse tomber dans le canapé, épuisée. Carine croise les bras sur sa poitrine et vient se camper à ses côtés, à l’affut du moindre geste suspect de l’enveloppe vide et bien décidée à la faire taire par tous les moyens.

— J’étais à la clinique hier, au moment de l’attaque, renchérit le purgeur en secouant la tête. Nous vérifions l’injection de conscience d’une patiente, mais celle-ci n’a pas fonctionné correctement. En réalité, les médecins n’ont pas inséré la bonne empreinte cognitive… L’enveloppe possède un autre profil… Et ses fonctions motrices sont à priori désynchronisées. Elle présente tous les éléments d’un échec.

— Attendez, reprend Naomi en pointant du doigt Daphné qui n’a plus la force de s’opposer aux affirmations du purgeur, vous êtes en train de me dire que cette personne n’en est pas une ?

— Oui, acquiesce Benedict en soupirant. C’était à moi de traiter son cas. Je n’avais pas terminé le test VK2 quand les terroristes ont débarqué, mais les valeurs de bases n’étaient pas bonnes. Aucune chance qu’elle soit consciente.

Daphné grogne une nouvelle fois devant les déclarations de l’Extra-M et Naomi découvre avec surprise le visage implorant du pantin animé. « je ne sens pas bien » murmure-t-elle, et effectivement, la jeune femme tourne de l’œil, la respiration raccourcie. Naomi frissonne, mal à l’aise devant l’idée répugnante que représente Daphné. Elle avait entendu parlé de ces choses : un artefact pareil à un humain, une fraude, un ersatz dérangeant bien trop proche de la réalité, mimant des émotions sans être capable de les ressentir. Côtoyer une telle aberration l’embarrasse, l’écœure presque. Mal à l’aise, elle s’oblige alors à se détacher de Daphné pour se concentrer sur le purgeur prostré dans son coin.

— Vous étiez donc bien présent au moment de l’attentat, reprend-elle. Dans ce cas, je suis bien contente de vous avoir retrouvé, savez-vous que vous êtes sans doute la seule personne survivante ? Votre déposition devient capitale pour la brigade des indivis.

Benedict déglutit. Le souvenir des soldats abattant froidement les civils remonte à sa mémoire. À ses yeux, l’aspect essentiel de son témoignage n’est pas évident, pas pour son avenir personnel en tout cas. En ce qui le concerne, les informations que l’Intra-M consigne sur son terminal ressemblent furieusement à une sentence à mort.

***

Les quatre exosquelettes s’engouffrent dans l’escalier en file indienne. Malgré leur taille, ils gravissent les marches sans faire le moindre bruit et se fondent dans la pénombre de la cage. Personne dans les parties communes, pas un son ne vient les perturber dans leur ascension. Paul leur emboite le pas, la main posée sur la plaque dorsale de son prédécesseur, regardant furtivement la carte holographique du bâtiment qui s’illumine entre ses doigts. L’indicateur de l’escorte de Furio ne s’affiche toujours pas, pire, alors qu’ils atteignent le deuxième palier, toutes les balises de son escouade disparaissent subitement. Les communications de l’armée ne sont plus fiables et l’aveuglement de tous les capteurs de présence et de localisation ressemble bizarrement à ce qui s’est passé à la clinique, quelque temps avant l’attentat.

La colonne se fige.

— Commandant, je détecte un exosquelette actif à l’étage supérieur, explique le premier militaire en utilisant une liaison directe. Il n’est pas en mode furtif, statut RAS, son matricule correspond au capitaine Kay.

— C’est bien Furio, répond Carter-Yuko soulagé. Annoncez-vous, ajoute-t-il sur le même canal, et rejoignons-les.

Le brigadier s’exécute et reprend la marche. Sur le palier, l’officier les attend à l’affut, comme un énorme scarabée recroquevillé sur lui même. Il y a peu de place sur le perron, les deux premiers exosquelettes le dépassent et viennent se positionner de part et d’autre de la porte, bouchant pratiquement tout le volume de l'endroit. Paul se décale et remonte les autres soldats arrêtés dans l’escalier et s’accroupit face à l’escorte de Naomi.

— Mon commandant, grésille le brigadier en hochant lentement le casque de son armure.

— Madame de Furio n’est pas avec vous, constate Carter-Yuko.

— Elle s’entretient avec Orca-Nino qui est bien vivant, explique l’insecte de céramique. Je suis les conversations et observe les moindres capteurs biologiques. Elle est un peu stressée, mais n’a rien à craindre pour l’instant.

— Combien sont-ils ? demande Paul en parcourant rapidement les analyses géographiques que transfère le militaire à toute la brigade.

— Trois individus en plus de Furio, estimation de la dangerosité : inexistante pour l'instant. Le purgeur Orca-Nino, l’autre occupante des lieux Carine Teck-Janson, une technicienne de l’usine de recyclage, ainsi qu’une enveloppe vide.

— Une enveloppe vide ! s’exclame Paul en oubliant de baisser le ton.

— Oui, Orca-Nino s’est rendu coupable d’un crime de catégorie 2 en exfiltrant un corps défectueux de la clinique, réplique le soldat sans broncher. J’attends la fin de l’entrevue et je procéderai à son arrestation.

Paul ferme les yeux. Une enveloppe vide là où elle ne devrait pas se trouver, escamotée par un purgeur officiant dans l’incubateur ciblé par l’attaque ; un schéma commence doucement à se dessiner et les conclusions ne sont pas réjouissantes.

— C’est pire que ça, murmure le commandant. Il risque d’y avoir du grabuge, nous devons à tout prix sécuriser les lieux. Préparez-vous à intervenir.

***

Karim trépigne sur la banquette du glisseur blindé. Bien que les meurtrières laissent filtrer un peu de lumière, l’habitacle ressemble à une cage de métal particulièrement agressive. Cette sensation est renforcée par le plafond étroit et oppressant ; le cybernéticien a l’impression d’être seul, abandonné en terrain hostile.

— Tu ne peux pas arrêter complètement les suspenseurs ? demande-t-il à l’IA de la machine.

Le bourdonnement électronique incessant du véhicule et les vibrations qui remontent dans le siège lui tapent sur le système.

— Négatif, réplique le glisseur. Opération en cours, je dois pouvoir évacuer les troupes en cas d’incident.

Karim soupire et déplie son intercom pour essayer de penser à autre chose. Mais son terminal ne répond pas, aucun signal ne semble émettre. Étonné, il demande à l’IA de déployer la projection holographique embarquée, mais les parois du blindé renvoient les mêmes erreurs de communications. C’est comme si toutes les transmissions du véhicule s’étaient tues.

— C’est normal ? s’inquiète-t-il à voix basse en touchant plusieurs fois l’interface lumineuse.

— Non, monsieur, répond l’IA en pensant que la question lui était adressée. Les télco holos ne fonctionnent plus depuis dix minutes. Ces pannes généralisées sont rares, mais elles arrivent de temps en temps dans la bordure. Pas de soucis, mes fonctions autonomes de bases restent intactes.

Karim ne partage pas l’indifférence de l’IA et se penche sur la vitre blindée pour tenter de voir quelque chose. Que ce problème technique survient maintenant allume toutes ses alarmes mentales.

La rue semble déserte, une intervention de l’armée n’encourage personne à s’aventurer dans le coin. Le hall d’entrée où ont disparu les membres de la brigade est tout aussi vide, même le krysté qui végétait sous le porche s’est évanoui. Karim se penche et lève la tête ; les fenêtres du bâtiment sont closes, elles renvoient l’image des toits opposés et réverbèrent la lumière crue de l’immense soleil de la planète. Karim plisse les yeux, une ombre a brièvement occulté l’éclat des vitres. Le cybernéticien s’appuie sur le siège pour tenter de regarder de l’autre côté du glisseur. Le mouvement venait du coin de la rue, une tache sombre bougeait sur la corniche de l’immeuble.

Le sang de Karim se fige : deux exosquelettes rouges se tiennent debout sur la margelle, observant en retrait l’avenue en contrebas.

— Alertez le commandant ! hurle-t-il à l’intention de l’IA en pointant les monstres de céramique. Vous ne voyez pas les armures là-haut ?

— Négatif, répond le véhicule, mes capteurs n’indiquent aucun danger, je n’identifie aucune forme hostile dans un rayon de 500 mètres.

— Passez-moi Carter-Yuko, en communication directe, supplie Karim, il faut le mettre en garde !

— Impossible, réplique le blindé, je vous rappelle que toutes nos transmissions sont coupées.

Karim jure et ouvre rageusement la porte.

— Pour votre intégrité personnelle, je vous suggère de rester dans mon habitacle, annonce l’IA tandis que Karim se précipite sans réfléchir vers l’entrée de l’immeuble.

Sur le toit du bâtiment d’en face, les deux exosquelettes reculent de plusieurs pas. Puis comme un seul corps, ils activent leurs servomoteurs et s’élancent dans le vide.

***

La baie vitrée du salon explose dans un millier d’éclats de verre, défoncée par une silhouette gigantesque. Benedict hurle dans la déflagration, le bras en travers du visage pour se protéger des coupures. Naomi s’écroule sur ses jambes, le souffle coupé, la masse l’a frôlée en renversant tout sur son passage. Dans une vision effrayante, la boule rouge se déploie et un exosquelette rutilant se redresse au milieu de la table basse en morceaux. L’armure terrifiante se déplie, grande jusqu’au plafond, entrelacs de câbles et de plaques de céramiques surmontés d’un casque chitineux. Les deux lueurs vertes de ses capteurs optiques pivotent et le monstre dévoile ses membres griffus.

Terrorisée, Carine enjambe l’accoudoir et s’écarte, Benedict demeure prostré ; Daphné reste avachie sur le canapé, sans force, les yeux dans le vague. C’est alors que l’exosquelette la remarque et perd toute attitude agressive. Il se tourne vers elle et lui tend la main comme pour l’inviter à le suivre.

***

Les capteurs de tout l’appartement se sont brouillés dans un vacarme effroyable, et les hurlements de l’autre côté du mur ne laissent place à aucun doute. Paul lance l’attaque :

— Allez, allez, allez !

L’exosquelette à droite de la porte l’enfonce d’un coup d’épaule ; le battant éclate sous son poids et le militaire se réceptionne dans l’entrée avec facilité. Le deuxième soldat ne perd pas une seconde, il lève son fusil d’assaut et sans hésiter, décharge son arme sur l’exo rouge. Le robot recule sous les impacts. Le premier brigadier se redresse et, lorsque son camarade réajuste son tir, il déclenche ses servomoteurs pour se projeter contre l’ennemi. Ce dernier l’attend en position de garde, le choc est brutal, les deux armures enlacées percutent le bar, arrachant toute la kitchenette du mur. Paul en profite pour se glisser dans l’embrasure.

— Évacuez les civils ! crie-t-il à ses hommes pour couvrir les fracas des exosquelettes en plein combat.

L’appartement est comme soufflé par une explosion. Des bourrasques chaudes issues de la baie éventrée tourbillonnent et renversent tous les bibelots de la pièce. À quelques pas, Paul repère Naomi, tétanisée, qui regarde sans comprendre deux brigadiers en armure s’écharper avec un titan écarlate. Il lève sans ménagement la jeune femme hébétée tandis qu’un militaire porte secours aux Extra-M.

— N’oubliez pas celle-là ! ordonne-t-il en indiquant le corps abandonné de Daphné sur le canapé.

Un soldat obtempère, la soulève dans ses bras métalliques et se presse vers la sortie pour retrouver ses coéquipiers. Carter-Yuko les laisse passer puis se dépêche de gagner la porte à son tour en tirant Naomi dans son sillage.

— PAUL ! interpelle une voix rocailleuse.

Le commandant se fige et se retourne, le dos glacé. L’appartement est devenu silencieux, seules les bourrasques de vent chargé de sels sifflent à ses oreilles. Face à lui, l’exosquelette rouge le détaille de toute sa hauteur, comme la statue d’un coléoptère monstrueux. Il est amoché, son casque enfoncé et maculé d’huile laisse apparaître des fuseaux de fibres éventrés alors qu’un de ses capteurs optiques fume et grésille, à moitié arraché de sa cavité oculaire. Il titube sur ses jambes, l’une d’entre elles est pliée selon un angle improbable et toute la protection en céramique de son épaule gauche a disparu. L’exosquelette cahote en grinçant, tenant dans ses griffes acérées le bras d’une des armures de combat. Il traine le buste désarticulé au sol, tandis que les corps des deux hommes gisent à ses pieds, immobiles, couverts de fluides écarlates et de cendres pourpres.

— PAUL, ajoute le monstre abîmé en avançant encore un pas. JE SUIS BÉNÉVOLENT.

Paul déglutit et s’enfuit en soutenant Noami. La jeune femme a repris ses esprits, ils dévalent l’escalier interminable ; au-dessus de leurs têtes, les claquements sourds du titan résonnent lorsqu’il franchit le palier. Les deux Intra-M surgissent dans la lumière et trébuchent dans la poussière.

Des tôles se froissent et des battements suraigus leur déchirent les tympans. Plusieurs glisseurs sont renversés, balayés par un exosquelette de céramique cramoisie qui se démène comme un démon furieux. Les indivis ont ouvert le feu pour le garder à distance. Peine perdue, un brigadier n’est déjà plus qu’un pantin enflammé encastré dans le véhicule blindé de l’amirauté. Ne comptant que sur son courage, son acolyte engage l’ennemi au corps à corps ; il ceinture le plastron du titan et encaisse les tirs à bout portant de son adversaire. En retrait, le dernier militaire épaule son fusil d’assaut, se maintenant à l’écart pour protéger les civils de sa large carapace.

Paul évalue la situation : ses deux hommes prennent le dessus, le monstre rouge s’effondre sous les coups de boutoir répétés qu’il peine à éviter. Une forme ensanglantée attire soudain son attention, coincée sous un glisseur défoncé ; le commandant reconnait la silhouette de Karim, inanimé, face contre terre.

Mais, alors qu’il se précipite à son secours, un grincement retentit, à limite du supportable. Les gestes des deux brigadiers se figent, leurs articulations crissent et leurs servomoteurs gémissent. Le soldat aux prises avec le monstre ennemi s’immobilise complètement, le poing levé, tandis que son collègue qui mettait en joue le scarabée de métal s’effondre de toute sa hauteur. Leurs propulseurs décompensent d’un bloc et des fluides mauves giclent aux jointures des plaques de céramique.

Un blocage zéro, s’alarme Paul. Les exosquelettes de la brigade subissent un blocage zéro, les armures deviennent inopérantes ! Ils sont même capable de faire ça ? Le titan rouge décroise les bras et repousse négligemment son adversaire qui s’écroule dans la poussière. Il tente de bouger, mais il reste enchâssé dans le glisseur où le brigadier l’avait projeté. Ce contretemps ne laissera qu’un court répit aux fugitifs, il ne lui faudra que quelques minutes pour se défaire complètement de la carcasse du véhicule.

— Si vous voulez une chance de vous en sortir, suivez-moi ! s’exclame Carine, plus rapide que les autres pour comprendre la situation.

Naomi ne se fait pas prier et s’engouffre dans la ruelle qui longe l’immeuble. Paul jette un œil à Karim ; le scientifique ne se relèvera pas. Il jure, tourne les talons et rattrape le bras de Benedict avant que ce dernier ne s’enfuie à son tour.

— Toi, tu m’aides à la porter ! assène-t-il en montrant le corps de Daphné étendu à ses côtés. Le purgeur s’exécute de mauvaise grâce et les deux hommes entraînent l’enveloppe dans la ruelle étroite.

Autour d’eux et dans toute les rues de Langkah, les panneaux d’affichage holographique crachent de la neige. De grandes lettres capitales clignotent désormais à la vue de tous :

JE SUIS BÉNÉVOLENT

JE SUIS BÉNÉVOLENT

JE SUIS BÉNÉVOLENT

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