11 - Convergence

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Vaisseau-Capsule 1
Parking de la brigade des Indivis

— Je vous l'avais bien dit ! J'avais raison de craindre une action de ce type ! s'emporte Paul en s'engouffrant dans le véhicule blindé.

— Je ne comprend pas, s'insurge Karim en lui emboitant le pas. J'ai bien vérifié les protocoles, la connexion était valide.

— Et bien, les faits ne mentent pas. Vous êtiez là, aux premières loges : la communication directe avec la tête de l'amirauté a été piraté !

Paul se prend à deux fois pour boucler sa ceinture, Karim se cale entre deux militaires en armure et le glisseur démarre en trombe.

— Ce n'est pas possible, gémit Karim tandis que le char pousse ses propulseurs au maximum, c'était une connexion directe, personne n'est capable de pirater en temps réel avec ce niveau de réalisme.

— Changez de registre et rendez-vous à l'évidence, ordonne Paul en cognant la portière du plat de la main. Toutes nos sécurités sont brisées, plus aucune communication n'est sûre ! Pire, notre ennemi a réussi à se faire passer pour l'Amiral et on y a vu que du feu ! On ne peut plus faire confiance à aucune transmission.... À plus personne, en fait.

— Vous exagérez, cela voudrait dire que leurs compétences sont supérieures à la notre, réagit vivement le cybernéticien.

— Et bien, acceptez le comme tel. Et c'est bien ce que je compte dire à mon oncle, bien que cela ne va pas le rendre plus aimable.

— Vous allez le rencontrer maintenant ? s'inquiète Karim. C'est ce qu'il vous a demandé tout à l'heure.

— Non, explique Paul en se remémorant le visage lugubre de l'amiral quand il a compris que son canal privé avait été détourné. Il y a plus urgent, mon oncle attendra. Ces... intrus possèdent maintenant la seule chose qu'il leur manquait : la liste des personnes absentes de la clinique au moment de l'attaque. Ce qui renforce mon intuition : un membre régulier de l'hôpital a un rôle clé dans l'affaire. Probablement quelqu'un qui aurait dû se trouver dans l'incubateur cible de leur attaque.

— Il n'y a qu'un seul individus qui répond à ce critère, remarque Karim en soulevant son intercom. Un dénommé Benedict Vert-Otok, un apprenti purgeur qui vit dans la bordure.

— Oui, je connais la liste par coeur, acquiesce Paul. Je ne sais pas si Furio l'a déjà rencontré, il est en tête de sa liste. On va directement chez lui, ajoute-t-il.

Karim se sent comprimé entre les deux exosquelettes. Il s'appuie sur celui de gauche pour compenser un virage serré du tout-terrain et se confond en excuse. Paul lui lance un regard courroucé et le cybernéticien se plonge dans son intercom. Analyser les logs de la communication verolée lui permettra peut-être de se calmer.

— Commandant, lâche Karim en s'arrêtant sur une ligne de son écran. J'ai un truc bizarre au sujet de l'attaque informatique, apparement, c'est une IA complexe qui s'est arrogé les permissions.

— Laissez-moi deviner, grince Paul Carter-Yoko, c'est la même qui s'en est pris au directeur de l'usine aéronautique, aux chaînes de production, à la clinique génomique et c'est la même qui a été intégrée aux kystes des exosquelettes ennemis ?

— Oui, mais ce n'est pas ça que je voulais vous montrer. Les accréditations sont étonnantes... Les entrées indiquent que l'IA de notre adversaire possède une empreinte cognitive... Une empreinte cognitive valide.

— C'est impossible, une IA de ce type n'existe pas, réplique le commandant Carter-Yoko. De Furio vous le confirmera si vous avez un doute. C'est probablement une nouvelle preuve de leur capacité à contourner nos systèmes de protections.

Le cybernéticien ouvre la bouche pour s'expliquer, mais Paul, agacé, lève la main pour le faire taire. Le militaire ne veut pas en entendre plus.

***

Lankagh - Bordure
Quartier du Fer-blanc

Naomi regarde la porte grise devenue muette. La fenêtre lumineuse qui crachait des images tremblotantes s'est tue, Vert-Otok a coupé sêchement la communication. Pourquoi a-t-elle l’impression qu'il a pris peur ? Naomi hésite et regarde autour d'elle. Le spot enchassé dans le coin du blafard une lumière bafarde plombe l'atmophère, elle peine à trouver la silouhette du soldat qui l'accompagne.

— Capitaine, glisse-t-elle à l’ombre démesurée qui attend dans la cage d’escalier. Etes vous capable de me dire si cet homme est dangereux ?

Le monstre de céramique grimpe silencieusement les dernières marches et se cale contre la paroi du mur, à distance des capteurs de zones de l’appartement. Il pose la paume de son gantelet sur la paroi et se concentre.

— L’appartement est étroit, grésille le militaire. Trois personnes ; un homme, deux femmes. Pas de formes de vie supplémentaire.

— Les pensez-vous dangereux ? s'inquiète la jeune femme.

— Je ne détecte aucune masse suspecte, pas de silhouette d’armes particulières. Si c’est ce qui vous préoccupe, le risque est minime.

— Je n’ai rien à craindre selon vous ? Il n'avait pas l'air ravi de me voir... Si j'insiste, qu'ils s'énervent et qu’ils m’attaquent, qu'est ce que je fais ?

— Je suis là pour ça, répond calmement l'enorme insecte de céramique. Vous pouvez entrer seule dans cet appartement sans crainte ; je peux neutraliser toute la zone avant que le premier ne lève la main sur vous.

Naomi prend une grande inspiration et souffle lentement pour se calmer. Elle rabat une mèche de cheveux derrière son oreille et prend son courage à deux mains : elle passe la main sur la sonnette holographique.

***

— Benedict, madame de Furio insiste, reprend l'IA de l'appartement. Elle souhaite s'entretenir avec vous. Est-ce que je la fais entrer ?

— Qu'est ce que je fais ? Blémi Benedict en se prennant la tête entre les mains.

— Pas de panique, calme Carine en levant la main en signe d'apaisement. Elle sait que tu aurais dû te trouver à l'incubateur, mais elle ne t'attendait pas ici. À mon avis, c'est peut-être lié à l'attaque, mais pas forcément à cette histoire d'enveloppe.

— C'est pas moi qu'ils viennent chercher ? gémit le jeune homme.

— Réfléchi, Béné ! C'est pas une section d'assaut qui vient défonser notre porte, mais une Intra qui à l'air paumée. Elle ne donne vraiment pas l'impression d'être à ta poursuite.

— Mais si tu ne fais rien, ça va avoir l'air bizarre, ose Daphné en se tournant vers Benedict.

Le purgeur et sa colocataire dévisage l'enveloppe vide.

— On ne peut vraiment pas la faire taire ? s'inquiète Carine en faisant les yeux ronds. Même pas pendant quinze minutes ?

Benedict secoue la tête, abattu. Le pantin leur renvoit un sourire franc, Carine prend une grande inspiration et se précipite dans le couloir au coin de la pièce. Elle revient au bout de dix secondes, un tas de vêtement dans les bras.

— Fais la rentrer, réplique-t-elle en jetant une large cape par dessus les épaule de Daphné. Invente un truc n'importe quoi, dis que t'es pas allez à la clinique, que tu te sentais pas bien. Il faut à tout prix la faire dégager puis qu'on se débarrasse de ce machin.

— Je ne suis pas...

— Et toi, ferme là, assène fermement Carine à l'enveloppe qui tente de se rebiffer. Béné t'a sorti de ce foutoir, tu peux bien l'aider un peu ? Tiens toi tranquille, ne dis rien et on t'écoutera peut-être.

Daphné se renfrogne, tandis que Carine lui essuie rageusement les traces de gras sur le crâne. Benedict se rapproche de la porte et ferme les yeux. Ses mains tremblent et sa gorge devient sèche. Finalement, il donne un coup sec sur le battant, tandis que sa camarade se cale dans le sofa à côté de Daphné.

***

La porte glisse dans un chuitement, laissant passer un trait de lumière.

— Excusez moi madame, annonce une voix mal assurée. Nous avons quelques petits problèmes en ce moment, je suis désolé. Que puis je faire pour vous ?

Naomi pose son regard sur le visage de Benedict Vert-Otok, mal rasé et brillant de sueur. L'Extra-M semble se recroqueviller, ses yeux sombres deviennent fuyants et son sourire d'acceuil s'efface rapidement. Noami ne peut s'empêcher un geste de recul : l'homme est hirsute, débraillé et quelque peu crasseux, comme s'il s'était roulé dans la poussière ces deux derniers jours. Le col de sa veste est d'ailleurs déchiré et ses mains sont couvertes de tâches brunes douteuse. On a l'impression qu'il s'est battu. La jeune femme se reprend et lisse sa manche de la main pour se donner une contenance.

— J'en suis navré, monsieur, répond-elle sur un ton qu'elle souhaite suffisament posé. Je proposerai bien revenir plus tard, mais j'ai quelques questions à vous poser... Rien de grave, explique-t-elle en voyant l'Extra-M se rabougrir encore plus. J'en ai pour cinq minutes et m'en vais, promis.

Benedict lève les yeux et se redresse pour observer derrière son épaule. Une voix étouffée s'élève, que Naomi n'arrive pas à saisir, puis le visage du jeune homme revient dans l'encadrement.

— C'est en lien avec la clinique ? demande-t-il dans un souffle.

— Oui, par rapport à l'attaque de la veille. Nous interrogeons tous les membres de l'hôpital génomique, c'est la procédure, en cas de, heu...

La voix de Naomi s'éteind. Vraiment, l'improvisation, ce n'est pas son fort. Elle devait interroger les proches de personnes de personnes disparus dans l'attaque. Du moins c'est ce que lui à dit le commandant Paul. Elle possède une courte liste de noms et une courte liste de questions, c'est tout. Bon sang, elle n'a jamais fais ça ! Ce n'est pas son travail, son expertise à elle, ce sont les IA, pas les actions policières. Elle ne s'attendait pas à tomber nez à nez avec l'un des supposés disparus de sa liste, pourquoi le commandant est il devenu paranoique à ce point ? Il aurait pu demander de l'aide à n'importe qui, sa brigade est pleine de gens capables, avec un résultat bien meilleur. Elle se fiche de savoir que les exosquelettes de la brigade des Indivis mettent les Extra-M dans l'embarras.

— Écoutez... supplie Naomi sentant la méfiance de son interlocuteur s'intensifier. J'ai rien contre vous, j'ai juste quelques questions à vous poser, c'est tout. Je n'ai pas envie de rester plus longtemps ici... Alors vous me laissez entrer, je fais ce job pourris qui consiste à remplir un formulaire, et je me tire. Ça vous va ?

Benedict plisse les yeux. Naomi ouvre les mains en signe de bonne volonté. Finalement le purgeur soupire et s'écarte. Il ouvre la porte en grand et invite l'Intra-M à entrer. Naomi le gratifie d'un sourire fragile et presse le pas, de peur qu'il change d'avis. Benedict se penche pour observer le couloir puis referme le battant derrière la jeune femme. Il n'a pas vu la lourde silhouette de l'exosquelette tapie dans l'ombre de la cage d'escalier.

***

Carine regarde la nouvelle-venue entrer à pas précipités dans le salon, le visage tendu. Elle presse son intercom des deux mains contre sa poitrine, se racle la gorge et pince un sourire à son intention.

— Boujour, dit elle d’une voix claire.

Carine hoche la tête en retour et murmure un salut. Daphné semble l’avoir écouté et n’ajoute rien, elle se contente de sourire béatement. Benedict les rejoint en grattant du pouce la paume de son autre main : Carine le connais par coeur, il est en proie à une vive tension. Naomi de Furio manque de superbe au milieu de leur appartement de la bordure, elle semble abattue. Elle reste droite, incapable du moindre geste, comme si l’endroit la rebutait. Un colère sourde gagne Carine. Leurs appartement est défraichi, certes, mais ils l’entretiennent aussi bien qu’ils le peuvent, leurs meubles ne sont pas si pourris que ça. Ils ne peuvent pas grand chose contre les poussières de sels qui s’infiltrent partout, pas quand les robots d’entretiens ont désertés le quartier depuis des années. Alors le jugement qu’elle croit lire dans les yeux de l’Intra-M lui déplait fortement et si elle se permet la moindre appréciation mal avisée, elle se fera une joie de la dégager de chez elle.

Le purgeur s’assoit dans le fauteuil disponible, se rend compte que l’Intra-M doit rester debout, se confond en excuse en se relevant, mais Naomi repousse maladroitement son invitation à prendre sa place. Elle s’écarte d’un pas et vient se caler près de la fenêtre toute proche de la porte d’entrée. Béné se rassoit, se rend contre de l’incongruité de la situation, se lève à nouveau et vient s’adosser au bar qui sépare la pièce de la kitchenette. Ils restent tous les deux debout.

— Je suis désolée de vous déranger, finit par annoncer Naomi de Furio en dévisageant ses trois interlocuteurs. J’ai quelques questions à poser à monsieur Vert-Otok au sujet de l’hôpital génomique et je m’en vais.

Les deux Extra-M acquiescent silencieusement, l’enveloppe vide les observe attentivement puis reproduit le même geste de la tête.

— Je me sentais pas bien, c’est pourquoi j’étais pas à la clinique hier, déclare Benedict sur un débit trop rapide.

Naomi hoche la tête et allume l’écran de son intercom pour commencer à enregistrer son interview.

— Pourquoi faites-vous cette enquête ? demande Carine d’un ton brusque, faisant sursauter Naomi. Votre identifiant indique que vous êtes une experte IA, pas de la police de l’amirauté. Vous avez le droit de faire ça ?

— Vous avez raison, bredouille l’Intra-M. J’ai… une accréditation de la brigade des indivis, et pour ce qui est de l’enquête… attendez.

Naomi lit avec attention son intercom puis se tourne vers la technicienne :

— « l’attaque de la clinique n’a pas été revendiquée. Elle a été perpétrée par un groupe inconnu, mais cette opération a été préparée minutieusement avec de gros moyens techniques. Nous cherchons des indices auprès des personnes fréquentant la clinique de manière régulière pour identifier ces individus ».

— De la brigades des indivis ? Vous cherchez des coupables ? blêmit Benedict en se redressant.

— Non, non ! s’exclame la jeune femme. Pas du tout, je ne suis pas de la police ! Je fais partie d’un groupe de recherche, à cause de mon domaine d’expertise et…

Les épaules de la jeune femme s’affaisse. Naomi se rappelle le discours du commandant Carter-Yoko demandant de tout garder confidentiel, mais elle n’est pas une militaire. Elle éteint l’écran de son module réseau et le range dans la poche intérieur de sa cape.

— Écoutez, je travaille sur des réseaux informatiques, je ne connais pas grand chose d’autres. C’est la seule chose qui m’intéresse et les « gros moyens techniques » dont je parlais concerne également des capacités informatiques, à grande échelle. Je souhaite simplement vous demander si vous avez repéré des comportements anormaux dans votre entourage. Pas forcément venant de la part de personne que vous connaissez, mais également de votre environnement. Avez vous remarqué des fonctionnements étranges à votre travail ?

Benedict hésite :

— Je ne suis pas sûr…

— Vous travaillez apparement aux incubateurs… Ces dernières semaines, tout se passait bien ?

— Oui… Peut être un nombre un peu trop élevé d’enveloppe vide…

Carine le fait les gros yeux et Benedict se mord les lèvres et jette furtivement un regard vers Daphné muette depuis le début de la conversation.

— Ah bon ? Ce sont des injections de conscience ratées, c’est ça ? appuie Naomi sans se rendre compte de l’agitation de son interlocuteur. Beaucoup plus que prévue ? Qu’elle est la dernière renaissance qui n’a pas fonctionné, vous pouvez me la décrire ?

— Et bien… grimace Benedict en se passant la main sur la nuque.

Malgré lui, il ne peut détacher l’enveloppe vide des yeux. Carine secoue lentement la tête en esquissant un « non » silencieux des lèvres.

— Je ne suis pas foirée ! s’exclame l’enveloppe vide, comprenant le sous-entendu du purgeur.

— Pardon ? sursaute Noami.

L’intra-M porte son attention sur la plus jeune des deux femmes blotties dans le sofa. Dans la coin de la pièce, elle n’avait pas fait attention à elle et ne remarque que maintenant son aspect affreux. Elle découvre sa tenue dépareillée, son visage sale et les genoux crasseux qui dépassent de la cape nouée à la va-vite autour de son cou. La technicienne en salopette réagit vite, elle la pousse violemment de l’épaule puis tente de la faire taire en lui collant la main à la bouche. Sa voisine la repousse sans ménagement en lui donnant un coup de coude bien placé : la technicienne se plie en deux, le souffle coupée, laissant la jeune femme se redressée triomphante.

— Je ne suis pas foirée ! réplique-t-elle une nouvelle fois, défiant du regard un Benedict au bord du gouffre.

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