Chapitre 2 - ASTRID

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Ici, tout commence et finit toujours par une sonnerie, aussi répétitif que cela puisse paraître.

Mais la vérité, c'est que la situation dans laquelle je me trouve actuellement découle simplement d'une succession de circonstances particulières.

La vérité, c'est que quand l'alerte incendie a résonné, je n'avais pas encore de plan précis.

La vérité, c'est que je n'avais pas l'intention de m'évader aujourd'hui, parce que ce Sanctuaire est totalement hermétique de l'intérieur.

Et la vérité, c'est que sans cette chance incroyable dont je bénéficie depuis le bal, je serais restée coincée ici pour l'éternité.

*

L'Heure de Séduction avait déjà commencé quand nous l'avons entendu. Ce bruit strident qui résonnait par phase, une alternance entre le fort et le plus doux. Ce n'était pas la sonnerie habituelle, non, les notes étaient différentes. Aucune de nous n'aurait pu se tromper sur ce point là.

Nous avons tendu l'oreille, et, chacune à notre tour, nous avons remarqué les trois gyrophares qui diffusaient, au rythme de l'alarme, une lumière rouge agressive. C'était hypnotique, cette lumière qui pulsait sous nos yeux grands ouverts. Aucune de nous ne comprenait de quoi nous étions victimes. Et puis soudain, j'ai fait le lien. J'ai réalisé.

Une alarme incendie, comme dans les entraînements dont nous bénéficions dans les Résidences.

Le feu.

Il fallait fuir.

Alors j'ai crié.

- Un incendie! C'est une alarme incendie, il y a le feu!

Je ne sais pas d'où me venait ce soudain excès de courage, mais je suis sortie de l'ombre pour répéter mon avertissement tout en courant partout où je pouvais dans le jardin. Et malgré ma disgrâce aux yeux des autres femmes, une à une, elles m'ont écoutée et se sont rassemblées près de moi. Jamais encore personne ne m'avait suivie de la sorte. Jamais une telle foule ne m'avait écoutée avec autant d'attention. Jamais je n'avais eu autant de responsabilités sur mes épaules. Là-bas, dans cet endroit dont aucune n'était jamais sortie à part moi, j'étais la seule à avoir conscience de la gravité de la situation. Parce que si mes congénères ne reconnaissaient pas ce bruit, cela signifiait qu'elles n'avaient jamais eu d'entraînement ou de procédure d'évacuation. Et, conclusion logique, si les hommes prenaient le risque de nous prévenir, cela voulait dire que la situation était vraiment dangereuse. Où le feu avait-il démarré ? Etions-nous directement en danger ? Et surtout, était-il volontaire ? Un incendie ne se déclenche pas comme ça, par accident, en claquant des doigts, dans un des endroits les plus sécurisés au monde.

Quelque part, au fond de moi, je savais qu'une personne haut placée était reponsable de tout ça, et je priais secrètement pour que ce soit l'Organisation. Je ne pouvais pas empêcher l'espoir de gonfler mon coeur. Je me répétais en boucle qu'ils étaient enfin venus à mon secours. J'oubliais qu'ils n'étaient pas au courant de la réussite, bien que partielle, de ma mission. Je ne pensais qu'à une seule chose : c'est fini. C'est fini. Tout est fini.

Et ironiquement, je n'avais jamais eu aussi tort. Les femmes commençaient à s'impatienter, leurs yeux pleins d'espoir tournés vers moi, certaines commençant déjà à se désintéresser. Je ne devais pas oublier qu'un incendie, même volontaire, restait dangereux, surtout pour autant de personnes confinées dans le même espace clos. On allait forcément venir nous chercher. Ils ne nous alerteraient tout de même pas juste pour nous inquiéter ? J'essayais de me persuader que c'était un avertissement destiné à nous rassembler en un même endroit, mais la peur commençait également à ramper sous ma peau, transmise de femme en femme jusqu'à moi.

Et à peine quelques secondes plus tard, le calme relatif que j'avais réussi à instaurer a volé en éclats. La panique a pris le contrôle, toutes s'éparpillant dans des directions différentes avec des cris et des hurlements terrifiés en essayant de trouver une issue. De l'aide. Ce n'est qu'à ce moment là, alors que la zizanie la plus totale régnait déjà dans le jardin, qu'ils ont surgi par l'unique entrée, l'unique sortie du Sanctuaire.

Des dizaines et des dizaines d'hommes armés jusqu'aux dents, casqués, équipés, comme si nous étions de dangereux prisonniers. J'aurais juré qu'il y en avait au moins deux pour chacune d'entre nous. Ils nous ont toutes emmenées, certaines dans les protestations, d'autres dans le soulagement, la plupart encore complètement sonnées et confuses. Sans que je m'en rende compte, on m'a également encadrée, mais cette fois les gardes étaient au nombre de trois ; ils avaient dû recevoir des ordres spéciaux pour moi. Bien qu'elle ait été provoquée, j'avais démontré certaines capacités lors de ma dernière évasion. Je leur faisais peur à cause de ce regard différent que j'avais. D'ailleurs comme Alyzée, Shaïma et, à plus petite échelle, Cassie. Je ne les avais plus revues depuis le bal, en tous cas pas dans le jardin. Je m'inquiétais pour elles, mais je les soupçonnais de m'éviter exprès. Comme je m'en doutais, ma discussion avec Sacha n'était pas passée inaperçue.

Tout le reste s'est déroulé dans un brouillard confus. Ma sensibilité aux émotions des autres, encore accrue par la confusion qui mélangeait tous les sentiments les uns aux autres, me débordait. Je n'arrivais plus à gérer toutes ces émotions sur tous ces visages, qu'ils soient masculins ou féminins, et surtout, je ne parvenais plus à faire le tri entre les miennes et celles des autres. Ce phénomène étrange de perdition ne m'était encore jamais arrivé, aussi ne savais-je pas comment l'endiguer. Alors, quand j'ai enfin pu recommencer à respirer de l'air pur, après cet éternel moment pendant lequel mes poumons étaient remplis de boue, j'ai ouvert les yeux sur la salle de bal sans savoir comment j'étais arrivée là. Les émotions, grouillantes et envahissantes, commençaient à peine à refluer.

Depuis, toujours entourée par les trois mêmes gardes, j'attends, en compagnie des autres femmes du Sanctuaire. Nous pouvons toujours entendre l'alarme stridente résonner au loin, étouffée par les murs en béton épais. Elle ne s'est pas arrêtée une seule fois depuis qu'elle s'est déclenchée et je m'y habitue presque, comme un élément du décor, surtout maintenant qu'elle est assourdie. Comme je reprends mes esprits petit à petit, je me rends maintenant compte de l'opportunité extraordinaire que cet incendie représente. M'échapper en ce moment est dangereux : je pourrais me retrouver piégée par le feu, sans personne pour me venir en aide. Mais en même temps, attendre une autre occasion serait stupide, surtout si elle n'arrive jamais, ce qui est très probable. Je dois choisir entre les flammes et les soldats, qui, avec la situation présente, sont peut-être plus dispersés et moins attentifs. À bien y réfléchir, ce n'est pas vraiment un choix. Je sais déjà ce que je préfère.

Avec une longue inspiration décidée, je me mets à regarder autour de moi avec plus d'attention. Je sais déjà où se trouve ma porte de sortie : l'entrée que le Leader a empruntée avec Alyzée à la fin du bal, pour venir se placer devant son ascenseur. C'est un pari risqué, mais qu'est-ce qui ne l'est pas ? Il me suffit de me débarasser de mes gardes discrètement, et dans la cohue générale, personne ne remarquera que je suis seule. Mais je dois faire vite : plus le temps file, plus l'agitation se tasse. Et plus le feu est maîtrisé, du moins je le suppose. Il est évident que le Gouvernement nous maintiendra ici le moins possible. Je voudrais observer les soldats mais ils ont les yeux fixés sur moi en permanence. Leur calme militaire ne m'offre aucune prise, et aucune idée ne me vient en tête rapidement. Alors je tente le tout pour le tout.

- Oh mon dieu, crié-je, mais avec tout le vacarme, on m'entend à peine. Cette fille...

Je force un bégayement, ils n'ont pas l'air de s'apercevoir que je simule tout. Je pointe mon doigt sur un poit invisible parmi la masse humaine tandis que leurs sourcils se froncent de plus belle. Mais ils ne semblent pas décider à me lâcher une seule seconde du regard.

- Elle est en train de mourir! Aidez-la, vite, je vous en supplie...

Je me jette sur le plus proche et m'accroche à sa veste de toute la force de mon corps. J'essaye de l'entraîner vers le bas pour montrer encore plus mon désespoir. Et enfin, il cède. Ce n'en est qu'un sur les trois, mais ça me suffit. Il vient de m'offrir une ouverture, même si elle ne dure qu'un instant.

- Il n'y....

Mais il n'a pas le temps de finir sa phrase. Dans le plus grand silence, je lie mes deux mains, exposant mon coude en avant, et le projette violemment contre sa tête. Un craquement satisfaisant m'apprend que son nez vient de se casser. Les autres n'ont pas le temps de réagir que déjà je me jette à travers la foule. Et pour une fois, ma petite taille m'est plus qu'utile : au milieu de tous ces corps géants, je disparais aisément, me faufilant là où personne d'autre ne peut me suivre. En quelques secondes, mais déjà trop longues à mon goût, je suis de l'autre côté de la salle, en face de la porte qui a laissé le Leader entrer avant-hier à peine. Je ne réfléchis même pas au fait qu'elle s'ouvre sous la pression de mes mains alors qu'elle devrait être fermée ; je ne me rends même pas compte de la facilité désarmante avec laquelle je viens de semer mes trois gardes ; je ne soupçonne pas quelque plan retorse de la DFAO ; non, tout ce qui m'intéresse, c'est le couloir brillament éclairé qui s'étend à présent devant moi.

Je me mets à courir de toutes mes forces. Parfois, je croise une intersection, et mon instinct me dicte de toujours aller tout droit. C'est d'ailleurs ce que je fais. Jusqu'à ce que je percute violemment un corps sorti de nulle part. Essouflée, sur les nerfs, je me reprends rapidement, prête à me battre au corps à corps avec lui s'il le faut, quand je me rends compte que cet homme n'est autre que....

.... Sacha.

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