Chapitre 13 - SACHA

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Un silence pesant règne dans la pièce tandis que j'affronte mon père du regard. Je mets toute ma haine dans ce simple échange, et j'essaye de lui faire comprendre combien je le déteste pour ce qu'il a fait. Il a exploité mes désirs, mes qualités, mon âme d'enfant... toutes mes ressources, et quand je n'ai plus rien eu à lui offrir, il m'a laissé tomber comme de si je n'étais rien.

- Ne me regarde pas comme ça, mon fils. Après tout, sans moi, tu ne serais pas ici.

Il assène ça avec un tranquilité satisfaite et je peux presque voir les vagues d'assurance qui suintent hors de son corps. C'est la première fois que j'entends sa voix depuis de longues années, mais c'est bien une chose qui ne m'avait pas manquée. Exactement les mêmes intonations, exactement le même dédain, exactement la même expression méprisante sur son visage. Je ne peux pas nier que la ressemblance entre nous est frappante, du moins l'était-elle encore plus jusqu'à ce que je me teigne les cheveux. Je dois avouer que c'est en grande partie pour me démarquer de mon père que je l'ai fait. Mon blond naturel m'a d'abord inspiré la fierté, puis le dégoût et la honte. Je ne veux aucun trait en commun avec ce monstre.

Et pourtant, à bien y réfléchir, ne suis-je pas exactement comme lui ? J'ai, à peu de choses près, fait à Astrid les mêmes choses qu'il m'a faites. Je lui ressemble plus que je ne veux me l'avouer.

- Je te regarde comme j'en ai envie. Je ne suis pas plus ton fils que tous les autres. Tu m'as répudié. Je t'ai répudié. Nous n'avons plus rien à nous dire.

Il part d'un rire sarcastique qui résonne horriblement dans la chambre, renversant la tête en arrière avant de s'arrêter brusquement.

- Je ne parle pas qu'au sens biologique, petit ingrat. Je veux tout simplement parler de ta place que tu crois si prestigieuse. Depuis plusieurs mois maintenant je me bats pour que tu restes capitaine de la DFAO malgré toutes tes erreurs. Tes échecs font le tour du globe, Sacha, et sans moi, tu n'existerais déjà plus.

Je suffoque.

Ça ne peut pas être vrai.

Je ne peux pas y croire.

Et pourtant, tout prend enfin sens dans ma tête. Evidemment. Comment ai-je pu imaginer un seul instant que je restais à la DFAO parce qu'ils avaient besoin de moi ? Mon père poussait et pousse sûrement toujours derrière. Sans lui, mon incompétence aurait eu des répercussions depuis longtemps. Je ne sais pas ce que je dois penser de ces dernières révélations. En même temps je le hais encore plus pour ce qu'il a fait, et en même temps je ne peux empêcher mon coeur de se gonfler d'espoir. Mes rêves de petit garçon refont surface : et si... et s'il m'aimait quand même ? Et si ces dernières années n'avaient été que de la façade, ou comme une sorte de punition pour endurcir mon caractère ? Ça serait bien mon père, mais au moins, il aurait fait ça pour mon bien. Parce qu'il tient encore à moi.

Mais je sais que j'ai tort de nourrir de tels rêves, et mon père me le confirme une fois de plus en m'écrasant sous son talon sans aucune pitié :

- Tu n'imagines pas l'enfer que je vis depuis des années. Tu m'as discrédité. Je n'ai jamais eu aussi honte de ma vie. Les autres Leaders ne me faisaient déjà plus confiance parce que je n'avais pas protégé suffisament l'avion. Mais maintenant, je suis complètement au fond du trou : ta récente disgrâce retombe sur moi avec encore plus de poids. Tous me méprisent pour tes actes. Selon eux, je n'ai même pas été capable de produire un bon soldat, alors un bon dirigeant ?

Il s'esclaffe comme si la situation lui paraissait drôle et balaie l'air de sa main. L'enfer qu'il a vécu ? Il n'a quand même pas dit ça ? Et moi ? Il songe à moi des fois ? Bien sûr que non. Mon père ne s'est jamais soucié d'autre chose que de lui-même. Et il m'a transmis ce défaut haïssable que maintenant j'arbore avec presque autant de fierté que lui.

- En quoi ça t'importe, de toute manière ? Tu vas essayer de me faire croire que tu ne pouvais pas tout simplement me laisser tomber ? J'aurais été réduit à un simple soldat sous les ordres des autres... et alors ? Au lieu d'associer ton nom au mien, tu aurais juste pu me laisser tomber dans l'oubli, et personne ne se serait souvenu de cette histoire au bout de quelques mois!

- Parce que tu crois vraiment que la politique fonctionne ainsi ? Un évènement humiliant reste dans les mémoires! Au final, c'est presque mieux que l'Organisation t'aie eu. Tu n'as vraiment pas l'âme d'un Leader.

- JE NE SUIS PAS UN ÉVÈNEMENT HUMILIANT!!

Je lui hurle ce que je contiens depuis tout ce temps, mais ça ne semble même pas l'effleurer. Jamais il ne pourra me comprendre. J'aurais dû le voir bien avant. Il est pourtant l'être le plus proche de moi, celui qui me ressemble le plus au monde, mais quelque chose nous oppose fondamentalement : cette "disgrâce" qu'il me reproche d'avoir fait peser sur ses épaules.... Et pourtant, comme j'aimerais qu'il réalise que moi aussi, j'ai payé le prix fort! Comme j'aimerais qu'il comprenne que le coupable, ce n'est pas moi mais l'Organisation! Pourquoi est-il aveugle à ce point ? J'aurais pu faire tellement de choses en tant que Leader de Paris! J'aurais atteint mon objectif de pouvoir, je l'aurais surpassé! Mais non. Astrid m'a tout pris.

- Tu n'as pas besoin de comprendre, Sacha, reprend mon père, indifférent. Juste de faire ce qu'on te diras à l'avenir. Essaye de ne pas m'humilier plus que tu ne l'as déjà fait.

Il se penche vers moi et appuie ses mains sur le lit, à quelques centimètres de moi. Je peux sentir son haleine sur ma figure, mais mon éclat m'a déjà trop épuisé pour que je fasse quoi que ce soit.

- Je t'offre une chance inespérée. J'ai réussi à maintenir ta position en tant que capitaine, au péril de mon propre succès. J'ai tout sacrifié pour toi. Ne gâche pas mes efforts. Tu ne veux pas m'avoir en tant qu'ennemi. Collabore, et nous aurons tous deux beaucoup à y gagner. Demain, tu retourneras en caisson de guérison pour accélérer ta remise sur pied. Dans quelques jours, tu devrais pouvoir marcher normalement à nouveau. Je veux que tu sois apte à participer au bal. Je suis venu exprès à Paris pour cette occasion, et je compte bien sur ta présence également. Christian tolère encore un de tes échecs, estime-toi heureux.

Walter se rélève sèchement et s'apprête à partir quand je l'interromps :

- Nous aurons tous deux beaucoup à y gagner ? répété-je. Mais je ne comprends pas, si je suis si stupide, indigne et inutile comme tu le dis, qu'est-ce que je peux bien avoir à t'apporter ?

Sa tête pivote très légèrement dans ma direction et il me lance un bref coup d'oeil que je n'ai pas le temps d'analyser avant de me tourner définitivement le dos.

- Si tu échoues encore, je m'assurerai personnellement que ton sort soit pire que la mort, Sacha. Tu n'as plus le droit à l'erreur! lance-t-il, menaçant, par-dessus son épaule.

Quelques secondes plus tard, il est déjà à la porte. Je n'ai pas le temps de l'arrêter, juste de crier un énième appel auquel il ne répondra jamais, comme à tous les précédents :

- Réponds-moi! RÉPONDS-MOI!

Mais il est déjà trop tard.

Mon père s'est évaporé.

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