Chapitre 5 - EXTERIEUR QG de l'Organisation

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Un jeune homme aux bouclettes brunes entortillées et aux yeux nuages si semblables à ceux d'une jeune fille qui se trouve à des centaines de kilomètres de là, se tient la tête entre les mains. Devant lui, une assiette pleine de nourriture reste intacte. Il est assis seul à une table de ce qui semble être un réfectoire. Autour de lui, des dizaines d'hommes parlent, rient, mangent et font bourdonner la pièce d'une vie certes pas toujours joyeuse, mais jamais défaitiste.

Allen semble être la seule personne à ne pas participer aux conversations. Tandis que des paroles s'échangent même entre les tables, un cercle de silence semble s'être formé autour de lui. Personne ne l'approche, personne ne le dérange. Quelques un lui jettent parfois des regards tristes emplis de compassion, mais on ne s'aventure jamais à l'aborder. Plusieurs ont déjà essayé, tous ont pu entendre les cris qu'ils ont récoltés. Depuis, le jeune métis est isolé du reste du monde, perdu dans ses pensées. Il perd petit à petit l'appétit et la joie de vivre, repense à cette place vide à côté de lui qui devrait être occupée. Qui n'aurait jamais dû être désertée.

Il se repproche toutes ses erreurs, tous ses oublis, s'enterre sous des reproches bien trop lourds à porter pour une seule personne. Mais qui pourrait le convaincre de se séparer de ses remords ? La seule personne qui en aurait le pouvoir est loin, très loin. Et il ne cesse de penser à tout ce qu'il aurait dû faire, tout ce qu'il aurait pu faire, pour la retenir près de lui. Son Astrid. Son amie de tous les jours, sa confidente... Celle qui ne l'a jamais abandonné, jusqu'à il y a quelques mois. Celle qu'il n'a retrouvée après des mois de séparation que pour mieux la quitter de nouveau. Celle qui lui tenait compagnie dans les pires moments, mais qui aujourd'hui manque à l'appel.

Le jeune homme tend la main vers son verre en métal posé près de son assiette, toujours inentamée, hésite un instant, finit par saisir le gobelet. Il le fait tourner entre ses doigts jusqu'à créer une spirale d'eau à l'intérieur de laquelle il plonge son regard, à défaut de pouvoir y noyer ses sombres réflexions. Il regrette, se souvient, mais ça ne la ramènera pas. À cours de patience, il finit par tapper brutalement le verre contre la table métallique, empoigne son plateau, se lève et s'éloigne dans l'indifférence générale. Personne ne le remarque, et pourtant, dans cet endroit, tout le monde se connaît. Tout le monde le connaît, lui encore plus que tout autre. Lui le frère d'Astrid. Lui le seul à pouvoir calmer son tempérament de feu, le feu folet qu'elle ne cesse jamais d'être. Une vague amère le traverse à cette pensée. Un feu folet ? Ce n'est pas l'impression qu'il a eue, en la retrouvant il y a un mois déjà. Tout a changé en elle, il ne lui reste guère plus que les capacités physiques : un tir d'une précision remarquable et un don pour tuer. Mais tout ça, ce n'est pas le plus important.

Lui, ce qu'il veut, ce n'est pas une guerrière, c'est sa soeur, et il n'abandonnera pas avant de l'avoir retrouvée... complètement. Pas que son enveloppe charnelle, mais aussi ses souvenirs, le pétillement de ses yeux, son envie de se battre, tout ce qui faisait d'elle la dernière femme libre au monde. Il repense à sa réaction quand il lui a annoncé qu'elle n'était pas la seule. Cette espoir vite étouffé dans ses prunelles, une éclaircie dans l'orage, comme si elle n'osait pas y croire trop longtemps. Ses mains qui se tordaient sous l'angoisse. Et puis surtout, la joie. Le soulagement. Tant d'émotions positives, débordantes, qui ne prouvaient que plus le désespoir dans lequel elle vivait depuis des mois.

Les larmes lui montent aux yeux.

Il lève la tête vers le plafond, la peur s'imisce dans ses illusions.

Il se demande s'il a ne serait-ce qu'une chance de la revoir.

Il se demande pourquoi il l'a laissée partir une nouvelle fois.

Il se demande pourquoi personne ne comprend sa peine.

Il se demande si elle pense à lui.

Les mètres défilent sous ses pieds, mais il n'a pas l'impression de marcher sur un sol dur. Il est ailleurs, avec elle, du temps où elle était encore là avec lui. Ses yeux brillent de joie, le rêve prend le pas sur la réalité.

Les unes après les autres, les têtes se tournent vers lui et le silence se fait dans la salle comme une rumeur qui se propage. Plus un son ne filtre, comme par magie, mais ce brusque changement ne semble même pas l'atteindre. Tous les yeux le fixent, mais il ne s'en rend pas compte. Il continue sa marche, perdu au-dessus d'un orage qu'il est le seul à connaître.

Un sourire étire ses lèvres.

Un murmure parcout l'assemblée.

Sur une table solitaire étrangement vide et évitée, non loin de là, un gobelet en métal accroche le regard de par sa banalité, oublié par un être trop torturé pour penser à autre chose qu'à l'objet de ses illusions. Au fond de cet objet si commun, l'eau tourbillonnante s'est apaisée.

Aucune ride ne perce sa tranquilité.

L'orage s'est calmé.

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