35/ Montée à la citadelle

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 "Vr…Vraiment ? s'étrangle-t-elle. Mais pourquoi ?!

Le ton est surpris puis incisif, presque violent.

 - Je ne sais pas...j’ai l’impression que l’on me pousse dans le dos…

 - Mais…Mais tuer Draac’Vio ne nous aidera pas à repousser une invasion, nous avons besoin de lui ! crie-t-elle en se relevant péniblement.

 Elle fait jouer ses ailes devant Markal, les assouplissants après la traversée. Elle fulmine et ne comprend pas. Pourquoi son ami veut éliminer l’empereur, la personne la mieux placée pour combattre les extra-planaires ?!

 - Vrael…Commence Markal. Ce que je ressens n’est pas une simple intuition. C’est une force, quelque chose de puissant. Je dois me rendre aux côtés de Draac’Vio. Ce qu’il adviendra ensuite, je n’en sais rien. Mais je dois au moins m’entretenir avec lui.

Elle regarde longuement l'homme en qui elle faisait confiance encore quelques secondes auparavant. Elle finit par dire 

 - Le moment venu, ne compte pas sur moi pour t’aider... J’essaierai de ne pas t’empêcher de faire ton devoir. Mais sache que si tu n’as pas une solide raison pour justifier ton geste...

 Elle ne termine pas sa phrase. Ce qui la rend encore plus lourde de sous-entendus aux yeux du guerrier.

 - Je ne sais pas, je ne sais plus... Plus nous nous rapprocherons de la citadelle, plus ce sentiment progresse et devient évident. Dans le désert d’Horarem, je souhaitais seulement voir l’empereur. Maintenant…

 - Allons-y ! tranche Vrael. Nous sommes ici à cause ou grâce à toi…Je ne sais quelle formulation employer à présent… Mais j’espère pour toi que nous ne courrons pas après une chimère pendant que nos amis meurent peut-être au combat.

 Les mots frappent le guerrier en plein ventre. Son cœur se serre, pendant une poignée de secondes, il a du mal à respirer. Ses yeux s’embuent, il est perdu, accablé. Il refoule ses larmes, avale sa salive, et sans un mot se met en route, sur le petit chemin qui serpente jusqu’à la citadelle.

 Il marche d’un pas rapide, décidé à distancer la jeune fille. Inutilement, car elle s’assied de nouveau sur le sable de la plage. Elle rumine face à la mer.

Il me faut quelques instants toute seule, pense-t-elle. Que je réfléchisse à tout ça.

 Elle s’installe plus confortablement, pour faire le point sur la situation. Incapable de réfléchir rationnellement, ses pensées dérivent.

J’ai risqué nos vies pour nous amener ici…Carseb, Fitz, Thanis, toute La Guilde fait face pendant que…Pendant qu’on va assassiner la sentinelle ! C’est un régicide, qu’est-ce que je fais là !?

 Elle éclate en sanglot et se prend la tête dans les mains. Le vent léger, caresse sa peau luisante. Il la rafraichit, après l’intense effort qu’elle a fourni. Elle relève la tête, froncant les sourcils. 

Arrête de pleurer. Tu n’es pas une chouineuse. D’abord dans le désert, maintenant ici...La vie ne te feras pas de cadeau...Tu ne peux pas te faire submerger par tes émotions si rapidement. Les évènements sont ce qu’ils sont, tu n’y peux rien, et te lamenter ne fera pas avancer les choses.

 La vue de la mer semble l’apaiser. Le roulis des vagues, réguliers et réconfortant l’aide à se calmer. Elle tire le bouclier qui est dans son dos. Elle se retrouve face à Pelor, son dieu qui semble la dévisager. Prise de honte, elle le range et se lève, rageuse.

 - Je vais le rattraper, et nous irons voir tous deux la sentinelle ! dit-elle à haute voix. Là-bas, nous...nous aviserons…Mais dorénavant, fini les pleurs et les larmes !

 Revigorée et résolue, elle se lance à la poursuite de Markal. Elle court sur le chemin de terre, soulevant des volutes de poussières à chaque pas. Elle repose ainsi ses ailes, qui ont déjà beaucoup trop travaillé pour aujourd’hui. Elle a aussi envie d'une course endiablée, dans les lacets qui grimpent vers le palais impérial. Assez rapidement, dû à la raideur de la pente, elle souffle, transpire et ses mollets lui brûlent.

 Au détour d’un lacet, elle est saisie par la beauté du paysage. Elle s’arrête un instant, pour reprendre son souffle et contempler la mer. La fine plage de sable blanc s’enfonce dans les eaux turquoises entourant l’île. Vrael s’est arrêtée sur un large promontoire de terre, face au soleil qui s’élève au-dessus de l’étendue d’eau. Le ciel est sans nuage le panorama est à couper le souffle.

 Soudain, elle sent un lien froid et sinueux s’enrouler autour de son cou. Elle est violemment tirée vers l’arrière, fait un vol plané de quelques mètres en tombe lourdement sur le dos. Elle en a le souffle coupé. Elle cherche son air, mais rien n’entre dans ses poumons. Une douleur atroce lui serre la gorge et l’empêche de respirer. Elle tâtonne, des deux mains et sent une fine chaîne en train de l’étrangler. Elle tire de toutes ses forces, mais rien n’y fait. Un voile laiteux se dépose sur sa vision quand elle commence à perdre connaissance.

 Ses deux mains tombent progressivement. Aussitôt qu’elles touchent le sol, ses deux poignées sont plaqués par une force inouïe. Elle sent le contact froid de deux autres chaînes qui la maintiennent. Sans tarder, ses deux jambes subissent le même sort. La jeune fille est clouée au sol, quand soudain, l’étreinte autour de sa gorge se fait moins insistant. Dans un sursaut, elle avale une goulée d’air qui lui fait reprendre pleinement contact avec la réalité. Cette bouffée de fraîcheur est vite estompée par le coup qu’elle reçoit dans l’estomac et l’étranglement qui reprend de plus belle.

 Sur son ventre, est maintenant accroupi une créature humanoïde, entourée des chaînes qui la maintiennent au sol.

 - Saloperie... de… Kyton…murmure-elle faiblement avant que sa vision ne s’estompe, derrière le même voile laiteux que précédemment.

 Elle n'a aucun doute quant à la race de son agresseur. Il est fidèle au description qu'on en fait.

 Elle se sent perdre connaissance, quand la pression autour de son cou se fait une nouvelle fois moins pressante. La bouffée d’air frais est moins plaisante que la première fois, à cause de la créature lui écrasant la poitrine. Cela lui permet néanmoins de ne pas s’évanouir. Le Kyton approche son visage du sien. Quelques gouttes du sang de la créature lui tombent dessus.

 - Votre monde nous appartient, lui susurre-t-il à l’oreille. Vos terres tombent dans nos mains et votre misérable île va subir le même sort. Nous sommes trop nombreux !

 Vrael trouve la force de cracher au visage de la créature. Elle atteint le monstre sur la joue droite. Le crachat s’accroche, pendant un temps, à sa peau, mais la gravité est trop forte. Sa propre salive retombe sur la jeune fille. Le Kyton sourit. Un sourire mauvais et cruel qui glace Vrael. La pression autour de son cou se fait sentir de plus belle. Mais cette fois-ci, au lieu de simplement l’empêcher de respirer, la douleur devient insoutenable. Le diable à chaînes n’essaye pas simplement de l’étrangler, comprend-elle. Il va essayer de lui trancher la tête. Sa tête va sauter comme le bouchon d’une bière qu'on aurait trop secoué ! Elle rue des quatre fers, tentant de se libérer, mais rien à faire. Elle est fermement clouée au sol.

 Alors qu’elle commence à confier son âme à Pelor, c’est la tête du Kyton qui saute. Dans un geyser, le sourire cruel disparait, remplacé par un flot de sang ininterrompu qui se déverse sur la jeune fille. Ses membres sont libérés, elle saute sur ses pieds et se retrouve face à Markal, arme en main, suant et haletant.

 Ne se contrôlant plus, elle se jette dans ses bras. Il accepte l’étreinte, bien qu’elle soit couverte de sang poisseux. Elle lui adresse un sourire radieux.

 - Tu m’as sauvé, merci ! Tu es arrivé juste à temps, je croyais que c’en était fini de moi…

 - Ces créatures sont sournoises et discrètes…De vrais assassins, je n’ai rien vu ou entendu

 - Comment as-tu su alors ? demande-t-elle dubitative. Je n’ai pas crié, tout est allé très vite, tu n’étais pas là et pourtant tu m’as sauvé…

 - Un...pressentiment, dit-il en souriant à la jeune fille. Crois-moi ou non, mais le même pincement au cœur que j’ai ressenti dans Horarem. J’ai eu la conviction que je devais faire demi-tour au plus vite, et c’est là que je t’ai trouvé…

 - Markal…Je…Je suis désolée. Je ne voulais pas être si…virulente, finit-elle dans un souffle. Tout ça me dépasse. Je ne peux pas revenir sur ce que je t’ai dit sur la plage, j’avais peur j’étais surprise mais…

 - C’est oublié, coupe Markal. Ne t’inquiètes pas, je suis tout aussi dépassé que toi par les évènements. Je ne suis même pas sûr de ce que nous allons trouver là-haut…Mais si nous voulons réussir, nous devons agir ensemble.

 Elle acquiesce de la tête et sourit. Ils s’avance sur le promontoire, face à la mer. Vrael s’époussète, arrache une feuille d'un buisson et tente de se nettoyer au mieux le visage du sang du Kyton.

 - La présence de ce diable sur cette île est préoccupante, dit Markal sans quitter la plage des yeux. Comment sont-ils arrivés ici ? Tordek nous a dit que c’est impossible sans les golems. Cela m’étonnerait qu’il soit venu en bateau…Il n'aurait pas pu passer la ceinture.

 Il se gratte la tête, quand devant ses yeux, un éclair rouge crépite sur la plage.

 - Hee merde, murmure-t-il pour lui-même. Vrael ?!

 Elle s’approche et tous deux sont témoins de la scène qui se déroule sur la plage. Du portail qui vient de s’ouvrir, sort un flot d’humanoïdes plus ou moins grands.

 - Il faut se dépêcher, ordonne Markal. Dans la citadelle, nous serons protégés par les mages de Parovenia. Ici nous sommes vulnérables. Tu peux nous transporter encore une fois ?

 - Non, répond-elle. Je n’ai jamais volé chargée si longtemps, et j’ai peur que je ne réussisse pas encore longtemps à nous porter. Je pourrais m’écrouler de fatigue dans les airs, ce serait regrettable…

 - Nous irons donc à pieds, fonçons !

 Ils s’élancent dans le chemin qui serpente le long de la colline. Markal est en tête, Vrael le suit de près. Il ne leur reste que la moitié de la distance à parcourir. Poussée par le danger qui les poursuit, Vrael n’a jamais couru aussi vite. Ils arrivent au bout d’une dizaine de minutes sur le plateau qui mènent au portail de la citadelle.

 - Nous y sommes ! crie Markal. Derrière cette grille, nous serons en sécurité.

 Ils se précipitent, côte à côte, sur l’étendue de terre. Arrivés à une dizaine de mètre de la grille, les deux amis sont repoussés par un mur invisible. Lancés à grande vitesse, ils se frappent violemment le front et rebondissent. Ils s’étalent de tout leur long. Vrael est la première à se relever, elle s’approche prudemment, les mains placées devant elle. Elles ne tardent pas à rencontrer une surface froide et lisse, invisible.

 - Une protection magique, grogne-t-elle.

 - Comment est-ce qu’on traverse ça ? demande le guerrier alarmé en se relevant lui aussi.

 - On ne peut pas, soit on nous ouvre un passage, soit il faudrait de puissants mages pour percer une brèche.

La nouvelle assome le guerrier qui se met à hurler.

 - Ouvrez-nous !!

 Marteler la protection magique n’émet aucun son, ils arrêtent donc vite de s’épuiser pour seulement s’égosiller.

 - Ouvrez, au nom d’Huzumil, hurle Markal.

 - Ça ne mène à rien, se lamente Vrael.

 Elle tire son bouclier et commence à le lacer autour de son bras.

 - Qu’est-ce que tu fais ? s’alarme son ami.

 - Si on nous interdit d’entrer, je ne mourrai pas sans combattre, c’est hors de question.

 A la fin de sa phrase, un puissant battement d'aile se fait entendre. Comme celui que fait la jeune fille en volant, mais dix fois plus fort. Les deux amis se regardent, ils ne lisent que de la détresse dans le regard de l'autre. Un fracas se fait entendre, qui fait trembler la terre. Ils se retournent lentement. Au milieu d’un cercle de terre soufflé par l’impact, se tient accroupie un monstre grand comme deux hommes. Il a deux bras et deux jambes, mais c’est bien tout ce qui le rapproche de l’humain. Cerné de flammes, il est monumental et pourvu d’ailes noires et lisses comme une peau de nouveau-né. Après s'être relevé, il les rabat autour de lui, formant ainsi une cape grotesque. Des écailles rouges lui font office de peau. Son sourire méprisant dévoile une rangée de crocs desquels coulent une substance verdâtre.

 - Un Diantrefosse, seigneur des neuf enfers, l’un des généraux en chef des légions démoniaques, récite Vrael précipitemment. Dans quelques instants, son aura de terreur va nous envelopper, nous n’aurons d’autres choix que de fuir ou littéralement mourir de peur. Seul les armes bénies comme mon épée peuvent le blesser, nous n’avons aucune chance.

 Markal, dans un geste désespéré plonge la main sous sa cuirasse. Il en ressort le médaillon de La Guilde et le brandit devant la citadelle. Rien ne se passe, pas un bruit, pas un éclair, rien.

 Markal, de rage et de désespoir frappe la barrière invisible. Son poing fend l’air, il est emporté par son coup et avance d'un pas.

 - Vrael !! hurle-t-il.

 Il tire la jeune fille à lui, derrière le portail magique. Il s’assure que le barrage surnaturel soit de nouveau hermétique derrière eux. Sa main rencontre une surface dure et transparente, il pousse un soupir de soulagement.

 Le Diantrefosse, derrière eux rugit. Il lève les bras au ciel, et celui-ci se couvre aussitôt de nuage d’une intense noirceur. Des nuages, déferlent une pluie de météores en feu. Des boules de la taille d’un tonneau chutent du ciel. Ils foncent à toute allure, entourés d’un halo de flammes incandescentes. D’instinct, les deux amis se couvrent le visage de leurs bras, mais rien ne se passe. A l’impact, les météores sont littéralement absorbés par le dôme magique. Aucun bruit, aucune secousse, alors qu’au dehors, l’apocalypse semble se déchaîner.

 Le ciel est devenu complétement noir plongeant l’île dans la pénombre. Il est zébré par les éclairs rougeoyants des météores. Un fort vent se lève, les arbres sont sur le point de se faire arracher. Le Diantrefosse paraît rugir, mais aucun son ne parvient à l’intérieur de l’enceinte protégée. Derrière lui, apparaissent des formes, difficilement discernables dans l’obscurité. Celles-ci se rapprochent rapidement, et Vrael peut maintenant facilement les identifier. Des Kytons, des Gélugnons, des Cornugnons et bien d’autres espèces de démons dont le nom lui échappe.

 La citadelle est cernée par les forces démoniaque.

 Soudain, un déluge de glace s’abat sur les envahisseurs. Des pieux gelés jaillissent du haut de la citadelle. Les mages de Parovenia ripostent. Certains démons sont fauchés par la fureur des éléments, déchaînés par les érudits. Des souffles glacés, des lances de givre, des tempêtes de grêles... L’assaut est si puissant que bientôt les envahisseurs se retrouvent enveloppés d’un blizzard gelé. Seul le Diantrefosse reste visible, entouré de flammes. Il lève une patte griffue, dans une explosion de feu et un nuage de fumée, toute la glace se vaporise. Les lances gelées surgissant du ciel sont instantanément pulvérisées par la chaleur créée par le seigneur des neufs enfers. De nombreux cadavres de démons gisent déjà au sol, quand des élémentaires de terre et d’air apparaissent, cernant les envahisseurs.

 Les deux amis n’ont pas le temps de voir la suite, ils sont interpelés par une voix familière. C’est Tordek qui les appellent depuis l’entrée de la citadelle. Ils accourent vers lui, se détournant du combat titanesque qui se déroule au dehors. A peine arrivés, le nain les agresse verbalement.

 - Que faites-vous ici ? Comment êtes-vous arrivés ici ? C’est quoi ce bordel ??!

 Il avait hurlé cette dernière question, sa voix partant ridiculement dans les aigues.

 - Nous devons absolument voir Draac’Vio, dit précipitament Markal. L’empire tout entier est menacé !

 - Par les démons ?? Ventre-Saint-Girs, jure-t-il, mais qu’est-ce qu’ils foutent ici ?!

 - On n’en sait pas plus que vous, essaye de dire calmement Vrael. Ils ont surgi dans Horarem, et nous avons accouru. Markal DOIT voir l’empereur !

 - Nous devons faire vite, acquiesce le nain. Mais Draac’Vio…

 - Quoi ?! crient en cœur les deux amis.

 - Il…Il est gravement malade...Suivez-moi !

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