Primara est déjà haute dans le ciel et la chaleur de Secondara passe au dessus des murailles. La vie dans les rues semble au ralenti : beaucoup de magasins sont fermés aujourd'hui.

C'est donc le meilleur jour pour Klük et ses gars pour délivrer leurs marchandises aux différents commerçants. Depuis les premiers rayons de Primara, ils s'activent tous à travers Noxus. Résultat, la journée n'est qu'à sa moitié et le bateau est presque vide.

Ce matin, Klük ne travaille pas seul : comme convenu la veille, Solembum l'aide. Et il doit dire qu'il n'est pas déçu du Félinet ; sous son aspect un peu frêle, il possède une force plutôt correcte. Le Nain peut facilement lui laisser les colis trop grands pour ses petits bras. De plus, le Félinet est vraiment de bonne compagnie : s'il parle peu, il sait écouter et possède une curiosité débordante.

En effet, Solembum découvre le monde urbain. Si le bruit, les odeurs et les gens l'ont dérangé dans un premier temps, il a fini par trouver ce mélange plutôt agréable. Le sourire des gens qu'il livre avec le Nain lui apporte une immense satisfaction : il se voit déjà travailler tout les jours avec Klük.

Mais un détail vient noircir ce tableau : la pauvreté. Il ne s'en était pas aperçu de suite : quelques habitants se trouvaient déjà dans les rues dès l'aube, mais Solembum n'en avait pas tenu rigueur. Peut être était-ce seulement des marginaux ? Mais rapidement, les rues s'étaient remplies. Pas de gens les parcourant, mais de dizaines de pauvres âmes assises par terre, les bras en forme de bol, attendant de l'argent.

"Allez boule de poils, direction le quartier des riches !"

Il ne reste plus qu'un colis à délivrer, à la mairie. Klük vient de donner l'ordre à ses gars d'appareiller le navire : lui et le Félinet seront revenus d'ici la nuit tombée et Klük veut partir à l'aube. Pas la peine de s'éterniser ici. Il regarde Solembum attraper le paquet, convaincu que cet étrange personnage est tout sauf dangereux : il a pris la décision d'accepter le Félinet à bord. Celui-ci lui demande :

"Le quartier riche ?"

En se mettant en marche, Klük lui répond :

"Au delà du troisième cercle de murailles. Ce n'est pas là bas que tu trouveras des sans abris."

En avançant, Solembum remarque qu'encore plus de gens sont dehors, demandant l'aumône.

"Pourquoi ne les aides-tu pas, comme tu as aidé Solembum ?"

"Crois moi ou non, mais j'ai demandé à chacun d'eux s'ils voulaient embarquer vers un meilleur avenir. Mais voilà le plus triste : ils ne veulent pas quitter Noxus. Cette ville leur a tout pris, boulot, argent, foyer... Mais ils l'aiment. Va comprendre."

"Solembum les comprend plus qu'il ne te comprend toi. Être autant attaché à ses racines c'est un sentiment très... Félinet. Par contre, il n'a pas l'impression que tu partages ce point de vue."

"Pas pour Noxus, c'est vrai. Ni pour n'importe quelle autre ville d'ailleurs. Mon foyer, c'est mon navire, mon équipage. L'océan et ses merveilles, l'horizon et ses mystères. Et putain, il n'y a rien au monde que j'accepterais pour vivre en ville."

Pendant un court moment, seul le bruit de leurs pas semble briser le silence ambiant. La curiosité du Félinet réveillée, Solembum reprend :

"Alors pourquoi revenir ? Solembum est persuadé que tu peux vivre en mer et trouver les ressources dont tu as besoins ailleurs. Pourtant tu es ici, à ré approvisionner tout ces gens. Il ne pense pas que c'est une question d'argent : au moins un quart des citoyens auxquels nous avons rendus visites ne t'ont payé qu'avec un sourire. Alors, pourquoi revenir ? "

Klük ne répond pas de suite et Solembum a peur de l'avoir vexé. Pourtant, au bout d'un long silence, le Nain explique :

"J'ai vu des horreurs ici. Et beaucoup d'ordures. Qu'importe le sexe, qu'importe la race et qu'importe l'âge, il y en a toujours un pour se croire supérieur et profiter des autres. Et ça, c'est ce qui m'a fait partir. À l'inverse ... "

Il s'arrête, forçant le Félinet à en faire de même. D'un signe de tête, il lui montre un couple de Nains, un petit garçons entre eux, accroché à leurs bras.

"À l'inverse, j'ai aussi vu beaucoup d'amour. Des gens prêt à s'entraider. Des rires, des regards. Et ça, c'est ce qui me fait revenir. Non je ne veux pas, et ne peux pas vivre ici, mais bordel, j'aime ces habitants. De plus, la misère s'étendant jour après jour, mon rationnement fait du bien aux plus petits commerces. Je ne peux malheureusement pas les sauver, d'autres s'en chargeront, mais je peux au moins les aider, un peu."

Solembum sourit : au fond, le comportement du Nain n'est pas très éloigné de celui des Félinet ; les gens de Noxus étant son clan. Les deux hommes continuent leur marche vers le troisième cercle, atteignant enfin les portes du deuxième. Chacun perdu dans leurs pensées, ils sont soudainement interrompus par une voix féminine :

"Klük ! Bah dis donc, tu l'as trouvé où ce marin ? Il n'est pas commun, tu voudrais pas nous le présenter je pense que certains de mes filles ou de mes garçons voudront passer quelques heures avec lui !"

Les deux hommes s'arrêtent, Klük atteint d'un fou rire et Solembum ne sachant que dire. Une Orc les toise avec un immense sourire. Reprenant son souffle, le Nain finit par répondre :

"Nous avons du travail Mala, mais je te l'amènerais après avec plaisir s'il est décidé !"

Une fois reparti, Solembum interpelle Klük :

"Le Félinet doit avouer qu'il n'a pas bien compris la situation."

"Ahah, vous n'avez pas de bordels dans vos montagnes ?"

"De quoi ?"

"Ahah, de bordels. Ôte moi d'un doute boule de poils, vous pratiquez le sexe ?"

Surpris par la question du Nain, le Félinet est pris à son tour d'un fou rire. Reprenant son sérieux, il répond :

"Si ce n'était pas le cas, notre race aurait disparu !"

"Mais, vous couchez ensemble seulement pour vous reproduire, ou alors vous êtes assez décoincés pour faire ça par plaisir, par moment ?"

A nouveau, Solembum laisse échapper un rire bruyant.

"Certains le font même à plusieurs, vois-tu ! Ce n'est pas parce que nous agissons pour l'intérêt du clan que nous ne sommes pas capable de prendre du plaisir personnel. Tant que celui ci ne nuit pas au bien être de la tribu."

Klük se passe la main derrière la tête, gêné.

"Désolé pour ces questions boule de poils. Je dois avouer que ta race m'intrigue."

"Ahah, ne t'excuse pas. Solembum comprend. Mais à l'avenir, évite de nous prendre pour une race arriérée ou trop "coincée", pour reprendre tes mots. D'ailleurs, je t'invite même à éviter le surnom boule de poils. Ceci sera aimable de ta part. "

Le Nain sent la vexation du Félinet dans sa voix et s'en veut terriblement. Il sait qu'il n'est pas le plus fin du monde et cela lui a déjà valu quelques cicatrices.

"Désolé mon vieux, tu ne m'y reprendras plus."

Solembum sourit, confiant quand à l'avenir. Klük était la meilleure rencontre qu'il pouvait faire.

*****

Il leur a fallu presque le reste de la journée pour atteindre la porte Sud du troisième cercle. Alors que Primara est presque passée sous la muraille, Klük et Solembum se trouvent devant les gardes, qui regardent le Félinet avec insistance.

"On nous a signalé qu'un individu étrange était rentré en ville, je ne pensais pas qu'il était avec toi, Klük."

"Il est non seulement avec moi Alban, et il va également rentrer avec moi chez les bourgeois que tu gardes"

Si le garde est vexé, il n'en laisse rien paraître.

"Pas de grabuge Klük."

Les deux hommes rentrent. Ils ont à peine le temps de passer la porte que le corps de Solembum se met à bouillir. Hurlant de douleur, le Félinet tombe à genoux.

Soudain, le monde explose.