53.

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De retour sur mon palier, je trouvai ma porte entrebâillée et, l’espace d’une seconde, je crus avoir été victime d’un cambriolage. Un subit affolement me saisit à la pensée que l’auteur de cette effraction avait peut-être emporté mon portefeuille. En rebroussant chemin dans le hall de l’immeuble, quelques instants plus tôt, j’avais commencé d’échafauder une sorte de scénario de la dernière chance et je m’étais convaincu de la nécessité de procéder à une fouille méthodique de l’appartement et de tout ce qui s’y trouvait. En premier lieu, j'avais donc projeté de déballer tout le contenu de mon portefeuille afin de m’assurer que je n’y avais pas glissé mon glorieux accessit, sans y prendre vraiment garde, à un moment ou à un autre. En m’imaginant me l’être fait dérober, je craignis surtout de voir s’évanouir le plus crédible espoir que j’avais de retrouver mon précieux sésame. Je n’eus pas même une considération pour toutes les tracasseries auxquelles ce larcin m’eût exposé. Je ne songeais qu’à mon ticket de caisse…

Je repris cependant mes esprits très rapidement en pénétrant dans l’appartement. Mon portefeuille se trouvait à sa place, sur une étagère de la bibliothèque, dans le petit panier d’osier où j’avais coutume de le déposer. Je m’en saisis avec la brusquerie d’un toxicomane qui retrouve sa seringue après une abstinence forcée et je procédai immédiatement à l’examen minutieux de chacune de ses poches, de chacun de ses rabats et jusqu’aux porte-cartes que j’écartai exagérément pour en distinguer le fond. Je ne trouvai rien. Machinalement, je répétai l’opération une seconde fois mais le résultat ne fut pas plus fructueux. Ironie du sort, j’allais donc maintenant devoir mettre tout l’appartement sens dessus dessous, accomplissant en cela l’œuvre du voleur présumé dont j’avais soupçonné le forfait !

Je passai ainsi près d’une heure à ouvrir tous les tiroirs et les placards de la chambre au salon, déplacer tous les meubles derrière lesquels le ticket aurait pu glisser, fouiller toutes les poches des vêtements de mon armoire, feuilleter tous les livres et journaux que j’avais pu lire ou manipuler ces derniers temps et que j’avais soigneusement rangés quelques heures auparavant. Mais il me fallut bien me rendre à l’évidence : mon Graal était effectivement perdu et je l’avais sans doute moi-même jeté dans les oubliettes de mon propre destin ! J’aurais dû être pour le moins courroucé à l’encontre de ma désinvolture – qui ne l’aurait pas été en pareille circonstance ? – et probablement aussi m’admonester en usant de tous les noms d’oiseaux que je méritais de porter mais je n’en fis rien. J’étais abattu, littéralement, au point que je dus m’asseoir sur le siège le plus proche – qui se trouva être le tabouret de mon piano – afin de ne pas chanceler comme un pantin désarticulé. J’eus l’impression extrêmement désagréable d’être soudain dénué de toute force, comme si l’ensemble des muscles de mon corps s’étaient subitement arrêtés de remplir leur office. Puis une sensation étrange de lente suffocation vint accroître l’angoisse qui bientôt s’ensuivit. Il me semblait avoir de plus en plus de difficulté à respirer normalement. Je cherchai alors à relever mon pouls ainsi que j’avais appris à le faire quelques années auparavant en suivant un cours de secourisme dispensé par la protection civile. J’avais beau palper cependant, je ne parvenais pas à détecter ce battement vital qui m’eût peut-être rassuré. Je déplaçai mes doigts sur toute la largeur de la face interne de mon poignet, je m’appliquai à en moduler la pression ou en modifier l’inclinaison mais le chant de mes artères refusait résolument de résonner jusqu’à eux. Je crus alors sentir une pâleur muette envahir doucement les arpents de mon âme et il me vint en tête la folle idée de la mort s’approchant comme une délivrance. Le dos appuyé contre le clavier de mon piano, je luttais pour ne pas choir devant Elle et l’accueillir avec un minimum de dignité lorsque j’entendis retentir le glas funeste qui se devait de l’accompagner…

Au bout de trois, quatre ou peut-être cinq sonneries, j’émergeai de mon songe morbide et je compris que le téléphone était en train de sonner. La foudre m’eût-elle frappé à ce moment précis qu’elle n’eût pas provoqué un réveil plus renversant ! En un éclair, donc, j’avais retrouvé toute ma vigueur et tous mes sens. Le téléphone sonnait. Était-ce elle ?

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