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Le dernier jour de cette année-là était un vendredi, c’est-à-dire le dernier des jours ouvrés dans mon agenda de travail hebdomadaire. J’aurais dû, par conséquent, le consacrer aux traditionnels exercices de virtuosité que je réservais à ma dernière séance d’étude de la semaine. Mais le caractère spécial de cette ultime journée de l’année tout autant que l’ambitieux programme de choses que j’avais finalement prévu de faire du matin jusqu’au soir m’autorisèrent à n’éprouver aucun scrupule lorsque, vers neuf heures du matin, j’émergeai des brumes du sommeil près de deux heures après ce qui constituait l’horaire habituel de mon lever. Cela ne m’était pas arrivé depuis bien longtemps. Et en me levant, je fus surpris de me trouver frais et dispos, pourvu d’un appétit formidable et, curieusement, aussi euphorique qu’un enfant impatient le matin de noël. Je pris donc un copieux petit-déjeuner avant de me lancer dans le grand ménage que presque deux semaines d’un dangereux laisser-aller domestique avaient rendu absolument nécessaire pour que je pusse recevoir mon ami sans me couvrir de honte.

Est-ce à cette occasion que, sans me rendre compte du sacrilège que j’étais en train de commettre, j'égarai le ticket de caisse, ce sésame au moyen duquel elle m’avait ouvert les portes d’un possible destin amoureux ? Je ne le saurai jamais. Ce matin-là – mais peut-être s’est-il agi d’un autre moment, dans d’autres circonstances, qui sait ? – ce talisman inestimable disparut de ma vie aussi incompréhensiblement qu’il y était apparu. Cela aurait pu n’avoir cependant que bien peu de conséquences puisque je connaissais déjà son numéro par cœur. Mais je sais aujourd’hui que cette occurrence déplorable mit en branle le dernier des engrenages de cette mécanique funeste qui faillit, quelques jours plus tard, me plonger dans les affres éternelles de l’impitoyable folie.

Evidemment – et si tant est qu’elle se produisit effectivement de cette façon – je ne pris pas immédiatement conscience de cette disparition. J’avais passé un grand coup d’aspirateur dans toutes les pièces, rangé toutes les affaires qui traînaient un peu partout, jeté tous les bouts de papier, prospectus et résidus d’emballages éparpillés aux quatre coins de l’appartement, flanqué le contenu des poubelles de la cuisine et de la salle de bain ainsi que de la corbeille du coin bureau que j’avais aménagé dans ma chambre au fond d’un grand sac de courses en plastique que distribuaient encore allégrement, à cette époque, tous les commerces de France et je me mis pour finir à récurer évier, lavabo, baignoire et cabinet avec une frénésie toute opératique. L’heure de partir pour le rendez-vous que j’avais fixé à mon ami approchant, je me résolus à jouer la scène finale de cette opérette débridée en donnant un bon coup de serpillère sur les carrelages de la cuisine et de la salle de bain avant de refermer la porte derrière moi, l’âme légère, mon petit sac à dos – qui me servait de sac à tout faire – sur l’épaule et ma poubelle à la main. Avant de quitter l’immeuble, je mis cette dernière dans le bac collectif destiné à cet usage et je m’en fus, d’un pas alerte, vers ma voiture, avec laquelle je rapporterais peut-être mon nouveau « joujou » dans le courant de l’après-midi à venir…

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