47.

3 minutes de lecture

La solution proposée par mon voisin était finalement une honorable façon de me sortir de cet inconfortable cas de conscience. J’avais, à cette époque, réussi à mettre un peu d’argent de côté et consentir à cette dépense imprévue ne risquait pas de me mettre dans une situation délicate. Je pris donc la résolution d’obtempérer et je me promis d’aller, dès le lendemain, rendre visite aux marchands d’instruments de musique pour faire sans tarder l’acquisition de ce piano « diplomatique » que mon voisin m’avait convaincu d’adopter.

Il était presque sept heures du soir et, sans trop me faire d’illusions, je décidai de prendre les devants en téléphonant au magasin auquel j’avais l’habitude de confier la tâche d’accorder ou, plus rarement, de réparer mon vieux Gaveau. J’avais vu les pianos électroniques apparaître et prendre de plus en plus de place dans la devanture de cet établissement depuis quelques années déjà et je savais qu’un large choix de modèles m’y serait proposé. Par chance, on me répondit immédiatement. Le propriétaire avait déjà baissé le rideau et il aurait donc tout le loisir de me renseigner sur l’objet de ma requête. Lorsqu’il m’annonça le prix des premiers exemplaires, cependant, je fus un peu déstabilisé. Je ne m’étais pas imaginé devoir débourser une pareille somme. Et si mes économies y suffisaient largement, elles allaient tout de même se trouver diminuées dans une mesure que je n’avais pas envisagée…

Je lui fis part de mes réserves et il me suggéra aimablement de considérer la possibilité de me tourner vers le matériel d’occasion. Pour la moitié du prix du neuf, je pouvais encore prétendre à l’achat d’un piano d’excellente qualité avec une garantie certes réduite à six mois mais qui m’assurait d’éviter toute mauvaise surprise. Il avait d’ailleurs « rentré » un Roland de très bonne facture en début de semaine. Son technicien devait y faire une petite réparation car plus aucun son n'était émis par les haut-parleurs de l’instrument mais il serait disponible dès le milieu de la semaine suivante. Le prix qu’il m’annonça se révéla plus conforme au budget que je m’étais imaginé devoir y consacrer et, sans réfléchir plus avant, je le priai immédiatement de me le réserver en lui promettant de m’en venir le voir dès le lendemain. Il me rassura sur ce point. L’appareil était encore dans l’atelier et il y avait peu de risques pour qu’un client voulût en faire l’acquisition avant moi ! Le lendemain étant le trente-et-un décembre, il me proposa de passer entre midi et deux pour éviter la coutumière affluence que connaissait son enseigne à l’approche imminente des événements festifs, et tout particulièrement du réveillon du jour de l’an. Je le remerciai pour cet utile conseil et nous convînmes d’un rendez-vous à treize heures trente.

L’évocation du réveillon du jour de l’an me rappela opportunément que j’avais promis à mon ami de lui donner une réponse sans équivoque dans la soirée quant à la proposition qu’il m’avait faite à ce sujet. Échaudé par ma première tentative infructueuse, je ne me sentais plus, à cette heure, nanti des forces nécessaires pour la rappeler, elle, afin de l’inviter à passer cette soirée avec moi et j’aurais été bien malavisé de préférer une désolante solitude à la chaleureuse compagnie de mon ami fidèle. En outre, mon refus de toute société en pareille occasion aurait inévitablement eu pour corollaire de le condamner lui aussi et pour le coup, malgré lui, à un réveillon d’anachorète. Nul doute alors que je me fusse longtemps reproché cette indélicatesse.

Je profitai donc d’avoir le téléphone en main pour composer le numéro de mon ami afin de nous mettre d’accord. Tout en enfonçant les touches de l’appareil, je songeai que j’allais certainement avoir besoin d’un opportun coup de main pour transporter mon piano électronique jusque dans l’appartement si d’aventure je me décidais à faire l’acquisition d’un modèle qui me convînt dès le lendemain et lorsque mon ami décrocha son téléphone, à l’autre bout du fil, je lui proposai de nous retrouver en ville vers la fin de la matinée pour déjeuner ensemble avant d’accomplir, en prélude à la soirée du réveillon, une « mission » un peu particulière que je pris un malin plaisir à rendre aussi mystérieuse que possible. Amusé, il accepta sans chercher à savoir de quoi il retournait exactement et nous nous en tînmes là.

Ce qu’il advint de la fin de cette soirée, je ne m’en souviens pas. Je gage que, empêché de jouer et terrassé par la fatigue, je me couchai de bonne heure et dormis d’un sommeil de plomb jusqu’au lendemain matin sans que rien de notable ne se produisît entre-temps.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire Baptiste Jacquemort ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0