26.

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C’est elle qui, la première, engagea plus avant la conversation, faisant ainsi montre d’une attention à mon égard qui me donna plus de forces encore, là où j’étais déjà nanti d’une confiance miraculeuse. Elle s’enquit du résultat de mes démarches d’échange et sembla presque désolée lorsque je lui appris qu’elles n’avaient pas pu aboutir, faute des preuves de ma bonne foi. Cette empathie sincère, cependant, me causa d’abord plus de trouble qu’elle ne me procura de joie. Je ne pouvais y répondre qu’en louvoyant entre la vérité et le mensonge. Etait-ce là une façon de la remercier de sa sollicitude ? Je n’eus heureusement pas le loisir de me tourmenter très longtemps. Je la rassurai en lui disant que ce n’était que partie remise et qu’il me serait aisé de revenir une autre fois, avec le ticket de caisse en main. J’ajoutai même, au comble de l’audace retrouvée, que cela me donnerait alors l’occasion d’avoir à nouveau le plaisir de la saluer...

Elle encaissa cette déclaration intempestive avec un petit rire discret, presque gracieux, avant de me jeter un regard d’une intensité formidable, broché d’espièglerie et de connivence joyeuse, qui me pardonnait déjà l’empressement maladroit avec lequel j’avais décoché ce compliment liminaire et me donnait licence pour en dispenser d’autres qui ouvriraient la brèche vers un aveu irréparable.

Je déposai mon livre sur son comptoir. Fallait-il que je fusse gonflé d’une hardiesse sans commune mesure ? Il me revint en mémoire la déconvenue de ce jour d’avant noël où j’avais été confronté pour la première fois à cette situation, maintenant presque familière, et je tirai à profit cette expérience douloureusement acquise pour tâcher de sciemment encourager le geste qui avait alors incidemment provoqué l’effroyable débâcle dans laquelle je m’étais ensuite misérablement englué. Je poussai posément le livre vers elle, ma main appelant sa main, et ne quittai pas son visage des yeux. Savait-elle que je la priais ainsi de s’en venir effleurer ma peau et de conclure en cela un pacte silencieux comme pour reformuler l’arrêt d’une jurisprudence initiale qui avait été incontestablement bâclée ?

La manoeuvre échoua. Non sans m’avoir remercié de la prévenance que j’avais ainsi marquée à son égard – dont j’espérais qu’elle ne lui paraîtrait pas si exagérée, obséquieuse voire, que ce qu’elle avait été en vérité –, elle posa sa main au bord de la tranche supérieure du livre pour le tirer doucement à elle avant de le saisir plus franchement et de le soumettre à l’identification de son lecteur optique. Probablement dois-je lui en savoir gré. Eût-elle répondu à cette grossière provocation que je me fusse sans doute trouvé Gros-jean comme devant et que l’affaire eût une nouvelle fois tourné au fiasco, me laissant là transi d’une stupeur incapacitante et ne trouvant finalement de salut que dans une fuite inféconde. Mais je gage qu’elle ne se rendit pas même compte de cette puérile manœuvre car le « merci » qu’elle m’adressa en guise de réponse n’était pas moins accort et pas moins cordial que le « re-bonjour » lumineux qui l’avait précédé. Il était même réchampi d’une aménité toute particulière, à l’intonation presque onctueuse et cependant sans outrance, quasi subliminaire, qui fit monter encore d’un cran l’intensité dramatique de cette scène capitale.

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