20.

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J’entrai dans l’arène. Une fois passés les portiques de contrôle, j’avisai un agent de la sécurité et me dirigeai vers lui pour exposer mon cas. À peine m’eut-il entendu prononcer le mot de « remboursement » qu’il m’enjoignit de me présenter à l’accueil, dont les comptoirs se trouvaient derrière lui, pour le retour ou l’échange de mes articles. L’échange... Voici que la machine, déjà, se grippait. J’avais imaginé mon plan de bataille en basant toute ma rhétorique sur un argumentaire destiné à obtenir le remboursement d’un achat effectué par un membre de ma famille. Je n’avais tout simplement pas pensé qu’à défaut de la preuve de cet achat, il me serait tout juste possible d’en réclamer l’échange, plutôt que le remboursement, ce qui hypothéquait encore davantage ma capacité à récupérer mon bien à l’issue de la manoeuvre. En prenant place dans la file d’attente – si j’étais assurément le seul à vouloir me défaire d’un cadeau que j’avais été plus que ravi de recevoir, j’étais loin d’être le seul à souhaiter procéder à une transaction de cet ordre – je pris également conscience de la survenue d’une seconde complication, plus grave encore que la première : l’accueil se trouvait au rez-de-chaussée alors que les caisses, qui étaient la scène vers quoi toute l’action tendait, étaient au premier étage. L’affaire tournait au fiasco !

Installé dans ma file d’attente, j’eus le loisir d’examiner la question à tête reposée. Ce n’était pas à elle que j’allais avoir affaire et toute ma stratégie se trouvait mise à mal par cette fâcheuse imprévoyance dont je ne devais me plaindre qu’à moi-même. Instigateur à la petite semaine, j’avais élaboré les plans d’une embuscade jusque dans ce que j’avais cru être ses plus insignifiants détails et j’avais tout d’un coup l’impression désagréable d’avoir été floué par les menées d’une perfide adversité qui refermait maintenant sur moi les mailles d’un filet plus grand que le mien. Il ne me restait plus d’autre solution, pour sortir de ce mauvais pas, que de m’en remettre à l’inspiration d’une audace sans calcul et sans préméditation. Je n’avais jamais été très doué pour l’improvisation, préférant le rassurant confort de la partition à l’angoissant défi de cet exercice périlleux, et voici que je devais m’y affronter ici, de manière imprévue, en n’ayant pas d’autre choix que foncer dans le tas ou fuir. Dans les films de cape et d’épée, le héros confronté à cette familière alternative choisit invariablement de foncer dans le tas. Sans doute parce qu’il sait qu’ainsi les choses finissent toujours par s’arranger. Ce jour-là, j’étais d’Artagnan et il ne serait pas dit qu’une complication d’une si dérisoire mesure eût été de nature à constituer un obstacle notable dans le cours de ma geste héroïque.

Guettant une seconde d’inattention de l’agent de sécurité à qui je m’étais adressé, je m’apprêtai à m’éclipser discrètement de ma file d’attente pour bondir vers les escalators menant au premier étage dès la première occasion. Comme cela nous arrive à tous en pareille circonstance, la situation aiguisait en moi les dards d’une certaine tendance à la paranoïa. J’eus l’impression qu’il devinait mes projets, me suspectant d’avoir mis en oeuvre quelque manoeuvre dilatoire pour préparer un forfait à venir, et qu’il me lorgnait du coin de l’oeil en cherchant à n’y paraître rien. Quelle formidable machine à inventer des histoires que l’esprit de l’homme, sans cesse imaginant ce qu’il ne peut pas voir et prêtant aux actions les plus anodines les mobiles les plus improbables ! Il n’était en vérité pas plus occupé à me surveiller qu’il ne semblait enclin à accomplir sa besogne avec le zèle que ses employeurs eussent souhaité le voir afficher et lorsqu’il me tourna le dos pour répondre à la requête d’un client visiblement déboussolé, je me faufilai promptement, slalomant avec une feinte nonchalance entre les uns et les autres, pour atteindre la première marche de l’escalator qui m’eut bientôt soustrait à sa dangereuse inquisition. Je reprenais les choses en main et revenais à mon plan. J’irais la voir, elle, en faisant mine d’ignorer ce que je savais déjà et ce premier assaut me renseignerait peut-être sur ce que je brûlais de savoir depuis que je l’avais revue : me reconnaissait-elle ?

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