17.

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Les jours qui suivirent, je sombrai. Trois jours sans fin que je tâchai, en y parvenant mal, de peupler de travail et d’ascèse. Paradoxalement, la période était aussi propice à la solitude qu’à la grégarité. Au temps de noël, chacun retrouve les siens, s’en abreuve autant qu’il est possible et l’on rejoue tous ensemble les heures bénies d’une communion familiale qui appartient pourtant au passé. Chacun ne se consacre plus qu'à ses proches et le téléphone cesse de sonner comme par miracle. Moi, dans le silence du mensonge véniel que j’avais servi aux miens pour gagner la quiétude où je voulais me réfugier, je m’enlisais dans le doute. À plusieurs reprises, d’ailleurs, je me sentis une singulière communauté de destin avec ces moines désabusés, ayant perdu la foi mais n’ayant pas eu le courage de défroquer, qui se résignent à leur égarement autant qu’ils se raccrochent à une existence laborieuse et sans histoire, rythmée par mille petites habitudes confortables et confinée entre les quatre murs rassurants de leur cellule. Chaque heure qui passait, cependant, me pesait davantage. J’avais l’impression d’être écrabouillé...

Curieusement, je ne pensais plus à elle. Comme si les affres dans lesquelles je m’enfonçais inéluctablement n’étaient propices à aucun autre spectacle que ce grotesque théâtre de chimères morbides et d’ombres grotesques où la beauté de son visage et la douceur de son sourire n’avaient nulle place. Je ruminais des pensées ténébreuses. Je songeais aux absents, me remémorais les circonstances malheureuses de leur disparition et me souvenais de la tristesse que leur départ avait provoquée. Plus inquiétant encore, j’anticipais la mort de certains de mes proches, pourtant bien vivants, en imaginant parfois des agonies que n’eût pas réprouvées le dramaturge le plus froid. Je peignais mon âme de noirceur.

Quant à mon travail, sans doute a-t-il heureusement rempli l’office d’un salutaire dérivatif à cette force mortifère des assauts de quoi mon corps, ainsi, n’eut pas à se défendre. Je ne saurai sans doute jamais quel bénéfice réel mon art aura tiré de ces heures assourdies mais je crains fort que ce bénéfice soit à passer par pertes et profits, au registre des pertes. Un automate d’horloge helvétique, tambourinant sur sa cloche, aurait sans doute mieux profité que moi de ces exercices et de ces interprétations exécutés en enfilade et là où son toucher s’en fût trouvé sinon amélioré, tout du moins conforté dans son exactitude, le mien commença de se gâcher. C’est probablement à cette insensible mais inexorable dégradation de mon jeu que je dois de m’être trouvé alerté de ma chute. Tel le baromètre de mon âme, mon oreille un temps trompée entendit bientôt la discordance produite par les bruits avant-coureurs d’une catastrophe et je fus averti, en temps utiles, des dangers que j’avais encourus.

Quelle étrange alchimie que celle qui produit ses effets dans le coeur de l’homme sans cesse exposé à la houle labile de l’existence au gré de brises ou de vents dont chacun voudrait savoir prédire et l’origine et la force à venir, tantôt bercé comme un canot sur un lac baigné de soleil, tantôt malmené comme un navire au creux d’une tempête australe. Cette alerte, lancée par la plus inattendue des vigies, me sauva du désespoir et lorsque je l’entendis, en plein milieu d’une après-midi aussi laborieuse que pénible, elle mit un terme à ce qui commençait de prendre les allures d’une vertigineuse descente aux enfers. Quelle manivelle magique, quels ressorts secrets une main providentielle actionna-t-elle alors pour que du fond de mon désespoir, je trouvasse la force de me relever et de reprendre la barre pour affronter les éléments ? Qui le sait me le dise que je lui rende grâces car voici qu’en quelques heures à peine je retrouvai mon courage prodigieusement décuplé, semblable à une voilure gonflée par des vents enfin maîtrisés, et je me redressai.

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