16.

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Une fois la porte close, sans réfléchir un instant à ce que je faisais, je me jetai sur l’annuaire des Alpes-Maritimes. Je voulais y trouver son numéro de téléphone mais, naïvement, je ne pris pas garde de ce que je ne savais d’elle rien de plus que son prénom, et encore fallait-il qu’il fût escamoté. Lorsque je l’ouvris en commençant à balayer les pages pour trouver celles couvrant la commune de Nice, je me rendis compte de mon inadvertance grossière. N’était-ce pas un comble ? Alors que j’étais enfin parvenu à faire preuve de cette résolution qui est la condition nécessaire à la réalisation de son propre désir, voici que je m’affrontais à un écueil douloureux et cruel là où j’aurais dû être récompensé. Mais la méthode manquait singulièrement de rigueur et, n’eût été cette inspiration subite, laquelle n’était sans doute rien que le fruit de l’enthousiasme en quoi ma prise de conscience soudaine s’était naturellement traduite, j’aurais commencé par prendre le temps d’examiner la situation avec un peu plus de recul afin d’établir une stratégie cohérente et réaliste.

Le dépit que j’éprouvai à la suite de cette stupide improvisation ne dura que quelques instants. En rangeant les disques, les partitions et les vêtements que j’avais trouvés au pied de l’arbre à l’occasion de ce noël à nul autre pareil, j’échafaudais déjà mon plan de bataille. Il n’y en eut pas qu’un. De nombreux scénarios investirent mon esprit au cours de cette singulière rumination cérébrale et tous avaient le mérite délicieux – quoique ce mérite-là fût bien présomptueux – de se poursuivre au delà de l’expectative pour se conclure invariablement de la façon la plus avantageuse. Chaque fin, et cela quelle que fût la stratégie adoptée, me voyait hériter de son ravissant sourire, comme en récompense à mes efforts méritoires et sincères. Mais la rêverie n’allait pas plus loin. Son sourire conquis, une autre scène commençait. Une autre approche, pas moins fantaisiste que la précédente, et voilà que je gagnais à nouveau mon inestimable salaire.

Au bout d’une heure peut-être – ces instants me parurent une éternité, mais fugace, doucement consumée par le feu de ma hardiesse impromptue – j’écrivis enfin l’acte ultime et décisif de la pièce que je m’étais récitée. Le temps : demain ou après-demain, ou bien un jour de la semaine qui s’achevait ; le lieu : le grand bazar des biens culturels où elle travaillait ; l’action : j’irais à sa caisse, muni de l’un des cadeaux que l’on m’avait offerts et dont je savais qu’il avait précisément été acheté là, m’enquérir de la possibilité de faire un échange. L’incapacité dans laquelle je me trouverais de produire la moindre preuve d’achat me donnerait un prétexte à engager la conversation et puis...

Et puis je me retrouverais sans doute aussi décontenancé que la première fois ! Mais, au moment même où je me rendis compte de l’incomplétude de mon projet, je fus surpris de constater que cette perspective peu glorieuse m’amusait. Et si elle m’amusa, me portant aux lèvres un sourire mystérieux, c’est sans doute parce que j’imaginai soudain que ma timidité deviendrait, au moment opportun, un atout de circonstance, lequel, au bout du compte, serait décisif. Je la rêvais ainsi. Charmée par la témérité maladroite d’un soupirant timide.

Hélas ! mon amusement ne dura que le temps d’un sourire. Et c’est le téléphone qui, en retentissant soudain, mit un terme à mes doux rêves de conquêtes. Je ne répondis pourtant pas. Mais un fil se rompit dans le cours de mes pensées et ma soirée prit alors une tout autre tournure.

Je ne saurai sans doute jamais pourquoi ce banal événement produisit un effet aussi désastreux. Le fait est cependant que cette série de sonneries monocorde et parfaitement régulière brisa l’élan par lequel je m’étais laissé allé à divaguer. Il y a, du rêve à la réalité, un fossé qui peut parfois, lorsque le rêve est hardi et la réalité impitoyable, prendre les allures d’un gouffre infranchissable. Pour moi, le glas avait sonné de mon courage. Comme un signe du ciel, il avait averti mon coeur de ce deuil impromptu et, mon coeur tout soudain mis en berne, mon âme s’était renfrognée. Curieuse coïncidence.

Mes aimables rêveries, donc, cédèrent bientôt la place à une insidieuse forme de mélancolie. Petit à petit, une sourde tristesse s’instilla en moi dont j’allais, trois jours durant, constater avec une étonnante pusillanimité la perfide avancée. Pareille à un magma de lave visqueuse qui, parvenu à la surface, se transforme progressivement en un flot faussement débonnaire et que rien n’arrête, elle commença de se répandre sur les arpents désertés de mon âme. Mon courage avait succombé. Mon optimisme avait fui. Ainsi de l’enthousiasme et de la joie puérile que j’avais éprouvés quelques instants auparavant en étant le spectateur amusé de mon destin fantasmé. Ainsi des douces images que ma rêverie avait engendrées.

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