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Je passai les deux jours qui suivirent dans un état oscillant sans raison de l’hébétude la plus profonde et la plus débilitante à l’exultation la plus exubérante et la plus puérile. Inutile de dire que mon travail en pâtit sérieusement. À tel point que je devins incapable de mener convenablement à son terme la moindre de mes diverses séances quotidiennes. Une heure entière de concentration était la limite au delà de laquelle toute constance dans l’effort me paraissait un obstacle insurmontable devant lequel j’eusse rapidement baissé les bras, sans même éprouver le désir d’un quelconque sursaut, si j’avais seulement eu la force de dépasser cette piètre limite. Ces deux jours furent ma première camisole. Et s’ils n’avaient pas précédé les fêtes de noël et le traditionnel réveillon qui m’appelait auprès de ma famille, il est probable que d’autres leur auraient succédé et que j’aurais sombré dans la plus incapacitante déréliction.

Cette parenthèse providentielle me permit ainsi d’échapper à une culpabilité mortifère qui aurait sans doute fait son lit de ces manquements consécutifs à la féroce discipline dont je ne manquais pas de me targuer en toutes circonstances et qui me procurait tant de fierté et de satisfaction.

Lorsque je rentrai chez moi, le soir du vingt-cinq décembre, j’éprouvai un sentiment étrange mêlé de sensations indéfinissables dont je ne savais pas dire si elles étaient plus proches de l’inquiétude que du soulagement. Le trajet en voiture, presque une heure durant, se déroula sans que je m’en rendisse seulement compte. Tout ce temps-là, mon esprit avait plané au dessus de moi, tel l’Aigle royal ayant quitté son aire en quête de sa proie, épousant les ascendances, superbement tranquille dans un mouvement dont on pourrait croire qu’il ne se réalise qu’à la seule fin de nous régaler – nous qui ne sommes rien que les esclaves impotents de la pesanteur terrestre – de sa grâce majestueuse et diaphane. J’avais quitté ma famille, encore tout émoustillée par les réjouissances et le plaisir d’être réunis, et je m’étais retrouvé chez moi, comme par enchantement, comme téléporté. Ce sentiment inconnu, qui m’assaillit en introduisant la clef dans la serrure de la porte de l’immeuble, était sans doute l’avatar de cette heure d’absence au cours de laquelle mon âme s’était exonérée de son devoir de coïncidence avec mon corps, lequel, tout occupé qu’il avait été à passer le temps, m’avait tout de même ramené à bon port.

En pénétrant dans l’appartement, où je m’étais trois jours durant littéralement morfondu, je compris qu’il me fallait aller à sa rencontre. Aller résolument vers elle. À elle. Qui m’avait offert son merveilleux sourire...

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